28 août 2012

Ombres et lumières, Roger Garaudy



 Un homme extrêmement lucide qui se laisse aveugler par le coeur.
Helder Camara (il parle ici de son ami Roger Garaudy dans une lettre à lui adressée le 14 septembre 1979 et citée dans le livre "Mes témoins", Editions A Contre-Nuit, p 58)



  Roger Garaudy mort, sa trace demeure. Avec les inévitables jeux d'ombres et de lumières car "il n'est pas toujours facile de savoir où est le mal où est le bien"(1).
     "Je ne peux plus vous faire d'autres cadeaux que ceux de cette lumière sombre
      Hommes de demain soufflez sur les charbons
                             A vous de dire ce que je vois "(2).

     Comme ces paroles s'appliquent bien à l'engagement de Roger Garaudy, appel constant à la vie, à la résistance et à l'invention de l'avenir. Il fallait bien convoquer un poète communiste français puisqu'aucun des dirigeants actuels du parti communiste français n'a eu le courage de dire ne serait-ce que quelques mots sur celui qui fût non seulement l'ami de Louis Aragon, de Paul Eluard et de Maurice Thorez - pour ne citer qu'eux - mais surtout pendant vingt ans l'un des principaux dirigeants de leur parti, avant que la bande à Marchais n'en soit le fossoyeur ainsi qu'il l'avait compris dès 1968.


     Les dirigeants du PCF n'ont pas pardonné à Garaudy d'avoir eu raison avant eux par exemple sur l'Union Soviétique, et les anti-communistes d'avoir été stalinien "des pieds à la tête" comme il le disait lui-même. Le communisme comme idéal: l'URSS patrie du socialisme, le dévouement des militants, l'exemplarité des dirigeants d'un parti qui à l'époque ne voulait pas être et n'était pas "un parti comme les autres". Le communisme comme repoussoir: la dictature, les procès, l'écrasement du Printemps de Prague et la "normalisation". Garaudy a participé à l'espérance communiste pour le pire comme pour le meilleur, mais il a su rompre avec le pire. Trop tard pour les uns, trop tôt pour les autres. Ombres et lumières ! Mais pourquoi ne voir dans le marxiste que le stalinien, et non par exemple l'homme du dialogue avec les chrétiens et l'homme d'un "marxisme du 20e siècle".

     Après le communisme "réel", le retour aux sources: "Le socialisme et le communisme ont été défigurés et discrédités par l'expérience stalinienne et ses séquelles. Le socialisme et le communisme [...] ont donné un visage à l'espérance des hommes [...] Ce visage de la plénitude humaine dans toutes ses dimensions. Vivre selon la loi fondamentale de l'être: l'amour. La Croix m'en a appris les renoncements. La Résurrection les dépassements. Je suis chrétien." (3)

     Le dialogue chrétiens-marxistes devient un élément du plus vaste dialogue  des cultures et des civilisations. Et l'on moque la naïveté de Don Quichotte de Garaudy - dont il est fier -, on dit qu'il enfonce des portes dont l'avenir montrera qu'elles n'étaient pas si ouvertes que ça, mais on n'argumente pas contre lui. Il participe au débat politique en France, à des conférences dans le monde entier, il écrit des livres qui "se vendent bien" (4), mais il ne fait pas, il ne fait jamais ce que le système médiatico-politique attend de lui.

     Comme il serait plus "convenable" en dénonçant l'URSS comme n'étant pas socialiste qu'il se rallie au capitalisme rebaptisé "libéralisme" pour s'accaparer la référence à la liberté ! Mais il continue à se battre "pour un socialisme à visage humain", selon la belle formule des communistes tchécoslovaques, contre ce qu'il appellera plus tard le "monothéisme du marché". Comme il serait plus convenable en prenant ses distances d'avec le PCF qu'il rejoigne les héraults de l'anti-marxisme, mais non il défend le marxisme "méthodologie de l'initiative historique" et non "recettes de cuisine pour les gargotes de l'avenir" ou catalogue de lois immuables.

     Ayant rejoint l'Islam avec la Bible sous un bras et le Capital sous l'autre, il rallie ainsi en 1982, après l'éclatement de l'URSS, le camp du "nouveau Satan", celui de la religion majoritaire des exploités et des opprimés du monde.  Mais le musulman, comme le marxiste et comme le chrétien, ne fait pas ce que les "docteurs de la foi" attendent de lui.
     Dénonçant, et avec quelle vigueur, toutes les "théologies de la domination" (juives, chrétiennes, islamiques) il indispose fortement les intégristes de tous poils.
     Commencé avec le procès de son article dans "Le Monde" sur l'agression israélienne au Liban - qu'il gagne contre la LICRA - et parachevé avec le procès des "Mythes fondateurs de la politique israélienne" - qu'il perd -, son emmurement étouffe désormais pour le grand public la parole d'un homme qui a pourtant tant à dire. N'oublions pas, à notre époque où les intégristes sont pour l'Occident le danger principal ici et ses meilleurs alliés là-bas à l'Orient et en Afrique, qu'entre les deux dates Roger Garaudy a démonté l'argumentation de tous les intégrismes, de ceux de l'Occident (marxisme dogmatique, monothéisme du marché) à ceux de l'Orient (sionisme maladie du judaïsme et  "islamisme maladie de l'Islam") (5).

     La "shari'a" - la "Voie" - confondue avec le "fiqh" - le droit historiquement limité, et c'est la décadence de l'Islam. Comme il y eut avec Esdras et Jérémie la décadence du judaïsme prophétique en "loi". Comme il y eut décadence du christianisme de Jésus en Constantinisme à Nicée (6). Et, toute proportion gardée, comme il y eut décadence du marxisme en catalogue de prêt-à-porter, comme il y a décadence de l'histoire en histoire "officielle" avec ses lois qui en figent le contenu. Pourtant, si une révolution est bien, ainsi que la définit  Garaudy, pour une société ce qu'est une conversion pour l'individu - "changer le but et le sens de la vie " - alors elle a aujourd'hui "plus besoin de transcendance que de déterminisme" (7).

     Les idoles, toutes les idoles doivent être brisées (8). Des mythes doivent être déconstruits. Roger Garaudy s'y est essayé toujours avec courage face aux risques encourus, mais parfois - rarement mais parfois - imprudemment. Comme le rénovateur Luther, à qui on a parfois comparé Garaudy, commit la faute de prendre le parti des princes allemands contre la révolte des paysans, le rénovateur Garaudy commit la faute de contester le chiffre de 6 millions de juifs victimes d'Hitler (9), chiffre pourtant admis - avec certes des variantes, mais faibles - par tous les historiens (10). La contestation, elle-même contestable, de ce chiffre, comme celle de la réalité des chambres à gaz, n'apportent d'ailleurs rien à la démonstration de l'instrumentalisation du génocide des juifs au service de l'Etat d'Israêl, de sa politique, et de la politique américaine "hungtingtonienne" (le "choc des civilisations") dans cette région, démonstration qui avait été déjà faite dans "L'affaire Israël" (11). Ombres et lumières !

     Sans l'ignorer, ne pas réduire Roger Garaudy à "L'affaire des Mythes" si l'on veut comprendre le sens de son oeuvre. Ne pas en faire un "gourou" à l'abri de l'erreur. Mais, adaptant une formule qu'il cite souvent, savoir trouver et ranimer la flamme sous la cendre, telle est la vocation de ce blog.
     "Tout ce que je dis de Dieu, c'est un homme qui le dit" (12) aimait à dire Garaudy. Et bien, en ce qui me concerne, tout ce que je dis de Garaudy, c'est un homme qui le dit, un homme simple, "de la base", que les actes et les livres de Garaudy accompagnent depuis ses 20 ans en 1968. Ni universitaire, ni historien amateur, ni théologien ou philosophe, je ne prétends pas à l'exhaustivité, ni même à l'objectivité. Mais je ne mettrai de voile ni sur la lumière pour en atténuer l'intensité et la portée ni sur l'ombre pour la soustraire aux regards. Toutes les collaborations sont les bienvenues.



(1) Aragon, Les poètes
(2) idem
(3) dernières lignes de Parole d'homme, 1974
(4) Par exemple Appel aux vivants (1979) et sa suite Il est encore temps de vivre (1980)
(5) Voir par exemple Intégrismes, 1991
(6) Sur ces sujets, voir notamment Biographie du 20e siècle, 1985
(7) L'avenir, mode d'emploi, 1998; Le XXIe siècle, suicide planétaire ou résurrection ?, 2000; etc.
(8) Sa volonté d'être incinéré, au grand dam des intégristes, ne participe-t-elle pas elle aussi de cette exigence ?
(9) Les mythes fondateurs de la politique israélienne, 1998
(10) Par exemple Raul Hilberg, La destruction des juifs d'Europe, 1ère édition 1988, 2éme 2006. [ Mais le Grand Larousse 2015 égratigne le "dogme des 6 millions"; à l'article "antisémitisme"(page 89), il est écrit: "De 1940 à 1945, au nom de l'idéologie national-socialiste, entre 5 et 6 millions de juifs d'Europe sont exterminés". Note ajoutée le 19/01/2015]
(11) 1983
(12) Karl Barth

Photos:  - A Caracas
            - Au Bureau Politique du PCF
            - Avec deux amis de toujours, l'Abbé Pierre et Don Helder Camara
            - A Moscou avec la petite Françoise