07 février 2012

Teilhard de Chardin: "ici un marxiste et là un chrétien..."

Prenez en ce moment même, les deux extrêmes autour de vous: ici un marxiste et là un chrétien, tous deux convaincus de leur doctrine particulière, mais tous deux aussi, on le suppose, animés radicalement d'une foi égale en l'Homme. N'est-il pas certain - n'est-ce pas là un fait quotidien d'expérience - que ces deux hommes, dans la mesure même où ils croient (où ils sentent chacun l'autre croire) fortement à l'avenir du Monde, éprouvent l'un pour l'autre, d'homme à homme, une sympathie de fond, - non pas simple sympathie sentimentale, mais sympathie basée sur l'évidence obscure qu'ils voyagent de conserve, et qu'ils finiront, d'une manière ou de l'autre, malgré tout conflit de formules, par se retrouver, tous les deux, sur un même sommet ? Chacun à sa façon, sans doute, et en directions divergentes, ils pensent avoir résolu, une fois pour toutes, l'ambiguïté du Monde. Mais cette divergence, en réalité, n'est pas complète ni définitive, aussi longtemps du moins que, par un prodige d'exclusion inimaginable ou même contradictoire (parce que rien ne resterait plus de sa foi !) le marxiste, par exemple, n'aura pas éliminé, de son matérialisme, toute force ascensionnelle vers l'esprit. Poussées à bout, les deux trajectoires finiront certainement par se rapprocher. Car, par nature tout ce qui est foi monte; et tout ce qui monte converge inévitablement.
 
Pierre Teilhard de Chardin, Conférence donnée le 8 mars 1947.Oeuvres complètes, Editions du Seuil, 1959, Tome 5