03 avril 2017

Pour présenter une proposition politique, Garaudy savait prendre de la hauteur (4/4). La jeunesse, les femmes, Marx et le christianisme...


Oskar Kokoschka. Les émigrés. 1916-1917

A la jeunesse il est possible de donner bien d'autres moyens
d'expression que la moto ou la drogue en lui offrant des raisons de
vivre, un avenir, et le pouvoir de le construire.
Le changement le plus radical doit venir des femmes, pour les
raisons que nous avons suggérées dans le premier chapitre : il ne
s'agira plus seulement de considérer, enfin, à l'inverse de notre
absurde « comptabilité nationale », le travail fait par elles à la maison
comme un travail « productif » et de le rétribuer comme tel ; il ne
s'agira plus seulement de revendications sectorielles d'égalité, ou
d'abolition de vieux tabous traditionnellement imposés aux femmes,
ou de privilèges masculins. Le problème, très au-delà d'une égalité
abstraite, est celui d'une véritable relève du pouvoir de décision et de
création à tous les niveaux de l'économie, de la politique, de la
culture, non point pour se contenter d'établir un équilibre numérique,
statistique, dans la répartition des leviers de commande, mais pour
changer en son principe même le fondement humain de nos sociétés,
faussé et perverti, depuis la fin du néolithique, par une hégémonie
masculine sans partage.
A celles qui créent les hommes il appartient de les changer.
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Le chemin qui nous reste à parcourir, à partir des tombeaux vides et des dieux morts, pour entrevoir ce que sera l'homme du troisième millénaire — l'homme capable, d'ici vingt ans, de remonter le terrible courant de l'entropie historique, de devenir un « mutant », c'est-à-dire un agent et un poète de cette mutation de la vie, un homme habitant déjà un monde encore à naître, et habité par lui —, ce chemin est encore immense pour découvrir l'univers au centre de nous-mêmes et nous-mêmes au coeur de l'univers.
Si, comme l'écrivait l'un des plus éminents théologiens du Concile
de Vatican II, le Père Rahner, « l'histoire est le seul lieu où se
construit le Royaume de Dieu », il serait temps d'en tirer les
conséquences : au lieu de ne voir les combats de la terre ne se
dérouler que dans une « vallée de larmes », dévaluée par rapport à un
certain « au-delà », ou de ne voir dans la foi qu'un « opium du
peuple », au coeur même de ces combats dont elle est le levain, il
devient chaque jour plus clair qu'en Occident la révolution ne sera
vraiment révolutionnaire que si elle intègre la dimension chrétienne
de la transcendance et que la foi ne sera vraiment la foi que si elle
intègre les dimensions historiques, sociales, et militantes du
marxisme.
Le révolutionnaire devient un bureaucrate lorsqu'il ne conçoit
l'avenir qu'à travers le passé.
L'homme de foi devient un « intégriste » lorsqu'il confond la foi

avec la culture ou les institutions à travers lesquelles elle s'est

historiquement incarnée.
Créer des « mutants », c'est combattre cette double sclérose. Et
d'abord en recueillant, dans le passé sans frontière de l'humanité, ce
qui portait les germes vivants de notre avenir.
Vivifié par toutes ces flambées du divin à travers quatre continents,
un socialisme, en Occident, ne peut échapper au dogmatisme stalinien
— et aux inquisitions qui découlent inéluctablement de ce
 dogmatisme — que s'il sait s'ouvrir à l'infini de la foi
Je ne prétends pas avoir résolu tous les problèmes, mais je suis sûr
que nous y aideront des millions d'hommes et de femmes venus de
toutes les sciences, de tous les arts, de tous les partis, de tous les
syndicats, de toutes les Églises, pour accomplir le grand projet, celui
qui dit à tous : il est encore temps de vivre, il est possible de vivre
autrement, et qui fait naître aussi la nouvelle croissance et la nouvelle
espérance.
[…]
Ainsi pourra être réorientée une politique de principe, ayant sa
source à la base, puis, cette inversion opérée, aboli, dans les cinq ans,
le régime présidentiel, pour restituer le pouvoir à ceux-là seuls qui en
sont actuellement dépossédés et d'où il doit émaner : les communautés
de base.
Il importe de savoir si le peuple de France est animé de la volonté
de vivre autrement.
Combien, parmi ce peuple, ont décidé d'ouvrir une route inédite

vers l'avenir et de courir le risque de la rupture et de la création?
[…]
Conclusion du livre "Appel aux vivants".Extraits. Pages 388 à 396
mai 1979