23 septembre 2016

L'odeur des cimetières, par Roger Garaudy


Goya. Scène d'Inquisition. 1808

Des cimetière des espérances. Des espérances mortes: celle du socialisme qui, depuis un siècle, donnait un visage aux rêves de ceux qui vivent sous le talon de fer des oppressions sociales et coloniales, perverti par ceux-là mêmes qui prétendaient le réaliser dans l’histoire et le maintenir en copiant les modèles de croissance de ses pires ennemis, et les prostitutions politiques de ceux qui ont vendu leur pays. Les fossoyeurs ont triomphé. Ceux qui, d’Adam Smith à Von Hayek, ont voulu exclure de l’histoire les volontés des hommes pour qu’ils s’abandonnent aux dérives du marché comme seules régulatrices de toutes les relations humaines, ont proclamé « la fin de l’histoire ». Ce monothéisme du marché, conduit à la mort de l’homme après celle de Dieu.
Alors ont pullulé sur les ruines, comme des champignons vénéneux, les maffias et leurs charognards. Les chômeurs, les exclus, les mendiants, par millions, ont erré dans les rues, comme dans tous les pays où le « libéralisme totalitaire », c’est-à-dire la « restauration du capitalisme », a conduit à accumuler la richesse à un pôle de la société et la misère à l’autre.
Une autre espérance, deux fois millénaire, celle du message libérateur de Jésus, illumina, il y a bientôt cinquante ans, le ciel des chrétiens, avec les ouvertures sur le monde du concile de Vatican II du grand pape Jean. Elle est aujourd’hui, elle aussi, une fleur des ruines, depuis la « restauration d’une théologie de la domination », celle du constantinisme et du paulinisme. Elle est marquée par l’acharnement de la Curie romaine (en connivence avec la C.I.A.) contre la théologie de la libération en Amérique latine, l’absolution donnée à l’Europe colonialiste, depuis les déclarations de Jean-Paul II, à Compostelle, puis à Saint-Domingue, appelant «évangélisation» de l’Amérique le génocide indien. Il résume cette régression dans son Catéchisme de 1992.
Enfin la grande tradition humaine de libération des esclaves du colonialisme, celle de Bartholomé de Las Casas, de Victor Schœlcher, de l’abbé Grégoire, de Gandhi, de Mandela, de dom Helder Camara, est reniée par une Église redevenue monarchique et plus « romaine » qu’ « universelle ». L’intégrisme fondamental et premier du colonialisme, visant à imposer au monde entier son économie, sa politique, ses armées, sa culture et sa religion, en niant et en s’efforçant de détruire toutes les autres, triomphe, en cette fin de siècle, dans les intégrismes et les nationalismes les plus fanatiques.
La foi d’Abraham, attestée par le sacrifice suprême, annonçait l’alliance de Dieu avec «toutes les familles de la terre». Elle est supplantée par un nationalisme sauvage remplaçant le Dieu d’Israël par l’Etat d’Israël, vouant celui-ci à la conquête de « l’espace vital », à la « purification ethnique », à la division du monde en « élus et exclus », au « choc des civilisations », devenant son destin.
La levée de Jésus, et son « option préférentielle pour les pauvres », est bafouée par l’intégrisme totalitaire d’une Église redevenue impériale et constantinienne, occultant, sous un moralisme obsessionnel de la sexualité, les problèmes majeurs de la misère et de la guerre.
L’universalisme du Coran, honorant tous les Prophètes, et contribuant, pendant cinq siècles, au brassage des cultures et des civilisations, s’enfermant dans les traditions du Proche Orient, dans un « islamisme » devenu une maladie de l’Islam, et dont le littéralisme aveugle débouche sur les aberrations des « talibans ».
L’Amérique latine devenue la proie de tous les protégés des Etats-Unis, de Pinochet au Brésil et à l’Argentine, et n’ayant pour cible que Cuba et les efforts des uns ou des autres pour reconquérir une souveraineté relative. L’Afrique, où les dictateurs les plus sanglants, avec l’aide des anciens colonialistes, auxquels se sont joints les Etats-Unis, est livrée au chaos, de l’Algérie au Rwanda et au Zaïre, boycottée du Soudan à la Libye, et partout menacée de famine et d’épidémies. Une Asie ravagée par les premiers éclatements de la « bulle spéculative », née dans les bourses de Wall Street ou de la City de Londres parmi ceux qui ont perpétré « les crimes contre l’humanité » d’Hiroshima à l’Indonésie et aux Philippines de leur protégé Marcos, et qui osent se présenter en « défenseurs des droits de l’homme » contre la Chine et l’Iran.
Une Europe vassale, celle de Maastricht et de l’euro, où les Etats-Unis exportent leur chômage et leur anti-culture par leurs films de violence et le monopole de l’information au nom de la «liberté du commerce», tandis qu’ils en excluent la «concurrence» par les lois de l’embargo d’Helms Burton ou d’Amato, lois internes américaines prétendant légiférer pour le reste du monde. 
Roger Garaudy