20 septembre 2012

Qui sera ton Dieu ? Par Roger Garaudy. Sixième partie: L’échec des modèles et la voie d’un renouveau européen


   Décadence objective du modèle occidental

L’événement le plus significatif de cette deuxième partie du XXe siècle, ce n’est pas l’implosion de l’Union Soviétique, caricature du socialisme et du marxisme, c’est la faillite du capitalisme après une domination d’un demi-millénaire sur un monde qu’il conduit aujourd’hui, si l’on n’en brise les dérives, vers un suicide planétaire. On a fait d’un crime une religion : le « monothéisme du marché », auquel il n’y a qu’une issue, le suicide planétaire.
Parce que le capital, amassé d’abord par cinq siècles de brigandage colonial, puis, limité dans les investissements dans les pays hyper-industrialisés de la vieille Europe, même en y créant, par la publicité et le marketing, les besoins les plus artificiels, et souvent les plus nocifs, ce capital, créateur à ses origines, en s’investissant dans des entreprises de production ou de services, est devenu un capital spéculatif, purement parasitaire. L’argent ne sert plus à créer des produits utiles, mais à créer de l’argent.
Il ne saurait y avoir de meilleur critère objectif de la décadence que celui-là : le travail créateur ne sert plus au développement de l’homme et de tous les hommes, mais au gonflement d’une « bulle financière » pour une infime minorité qui n’a plus d’autre finalité que l’accroissement de cette bulle. Les problèmes du travail, de la création, de la vie même, ne s’y posent plus.
Le sens même des mots se trouve perverti. L’on continue d’appeler « progrès» une aveugle dérive conduisant à la destruction de la nature et des hommes. L’on appelle « démocratie » la plus redoutable rupture qu’ait connu l’histoire entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. L’on appelle « liberté » un système qui, sous prétexte de « libre échange » et de « liberté du marché » permet aux plus forts d’imposer la plus inhumaine des dictatures : celle qui leur permet de dévorer les plus faibles. L’on appelle « mondialisation » non pas un mouvement qui, par une participation de toutes les cultures, conduirait à une unité symphonique du monde, mais au contraire une division croissante entre le Nord et le Sud, découlant d’une unité impériale et niveleuse détruisant la diversité des civilisations et de leurs apports pour imposer l’inculture des prétendants à la maîtrise de la planète.
L’on appelle « développement » une croissance économique sans fin produisant de plus en plus et de plus en plus vite n’importe quoi : utile, inutile, nuisible, ou même mortel comme les armements ou la drogue, et non pas le développement des possibilités humaines, créatrices, de l’homme et de tout homme.
Dans une telle dérive s’impliquent mutuellement le chômage des uns qui ne peuvent plus produire parce que les deux tiers du monde ne peuvent plus consommer, même pour leur survie (l’immigration des plus démunis n’étant que le passage du monde de la faim à celui du chômage et de l’exclusion) et l’enrichissement impitoyable des autres
L’erreur d’aiguillage fut commise il y a cinq siècles lorsque, avec la faim de l’or, et l’ivresse de la technique pour la domination de la nature et des hommes, est née une vie sans but, une véritable religion des moyens qui arrive aujourd’hui à son terme : le « monothéisme du marché » produisant une polarisation croissante de la richesse spéculative, sinon maffieuse, d’une minorité, et de la misère des multitudes.
Le patron du P.N.U.D. (organisme de développement des Nations Unies), James Gustave Speth, déclare au Monde en 1996: « 1,6 milliard d’individus vivent plus mal qu’au début de 1980. » Il ajoute qu’en « l’espace d’une génération et demie, l’écart entre les plus riches et les plus pauvres a augmenté : au début des années 60 il était de 1 à 30 entre les 20% les plus riches de la planète et les 20% les plus pauvres. Aujourd’hui (1999) il est de 1 à 60 ». Il ajoute: « Privatiser, libéraliser, déréglementer, les maîtres mots, du libéralisme de cette fin de siècle favorisent la croissance mais, c’est, » dit-il « une croissance qui s’accompagne d’une plus grande pauvreté, d’inégalités plus marquées, et d’un chômage en hausse. »

Les occasions manquées : L’URSS, trahison de Marx
Il y eut, au cours de ce XX
e siècle, deux grandes espérances dont les racines plongeaient dans le passé.D’abord celle de l’un des plus grands génies du siècle précédent : Karl Marx, dont l’œuvre donna un visage à l’espérance de millions d’exploités et de condamnés à la misère, non point par une utopie, mais par une analyse profonde des contradictions du capitalisme de son temps. Sa méthode (et non la répétition de ses formules) est aujourd’hui plus actuelle que jamais si on l’utilise de manière vivante pour comprendre les nouvelles contradictions, à l’heure de l’agonie du système dont il avait vécu l’apogée.

 Nous évoquerons l’espérance de Marx, son actualité vivante après l’effondrement historique de ceux qui se réclamaient de lui sans le comprendre, et, finalement de ceux qui l’ont trahi.
 Mais le littéralisme, l’absence de sens historique, la volonté de puissance par l’imitation dictatoriale de ceux-là même que l’on combattait dans un environnement férocement hostile, ont conduit, après la mort précoce de Lénine(1923), à scléroser le message et à le discréditer par sa faillite.
 Nous évoquerons l’espérance de Marx, son actualité vivante après l’effondrement historique de ceux qui se réclamaient de lui sans le comprendre, et, finalement de ceux qui l’ont trahi.

Une autre espérance était née, au XIXe siècle celle d’une renaissance de l’Islam par une nouvelle et vivante lecture du Coran, depuis El Afghani et Mohamed Abdou, jusqu’à cheikh Ben Badis, Mohamed Iqbal, Ali Shariati. Là encore le littéralisme voyant dans la tradition, non pas la transmission d’une flamme, mais le culte doctrinaire du passé et de ses cendres, conduisit â cette maladie de « l’Islamisme », attaché aux rites d’il y a mille ans et non à la création de l’avenir selon l’exemple donné par Mahomet dans sa lutte pour la résurrection d’une foi universelle et vivante.
***

Marx : « Que tout homme qui porte en lui
le génie d’un Raphaël puisse

l’épanouir pleinement. »

(Idéologie allemande, Pléiade. p.1288)

C’est ainsi que Marx définissait le communisme par ses fins: offrir à chaque homme les conditions économiques, politiques, spirituelles lui permettant de déployer pleinement toutes les richesses humaines qu’il porte en lui.
Tel était le but, la fin ; la socialisation des moyens de production était un moyen de cette réalisation. Cet idéal est resté le nôtre, dans des conditions historiques nouvelles prévues par Karl Marx.
Car à ceux qui, aujourd’hui, enivrés par l’échec et l’effondrement de l’Union soviétique, se réclament du «libéralisme» et de son théoricien Adam Smith pour proclamer que nous arrivons à la « fin de l’histoire» par une restauration universelle du capitalisme, il convient plus que jamais de rappeler ce que furent les prévisions historiques d’Adam Smith et celles de Karl Marx et de voir lesquelles se sont aujourd’hui vérifiées.
Adam Smith, à un moment de plein essor du capitalisme, affirmait que si chacun poursuit son intérêt personnel, l’intérêt général est satisfait: une «main invisible» réalise cette harmonie.
Karl Marx, également dans une période de plein essor du capitalisme, prévoyait que le système engendrerait de grandes richesses, mais, en même temps, de grandes misères, par une accumulation de la richesse à un pôle de la société pour un petit nombre, et une paupérisation des multitudes à l’autre pôle.
Qui a eu raison ?
A l’échelle mondiale, aujourd’hui, après cinq siècles de capitalisme, et du colonialisme nécessaire à son accumulation primitive, 80% des ressources naturelles de la planète sont contrôlées et consommées par 20% de ses habitants, ce qui conduit, chaque année, à la mort, par la malnutrition ou la faim, de quarante millions d’êtres humains. L’écart entre le Nord et le Sud ne cesse de se creuser. Le « Programme des Nations Unies pour le développement » constate qu’en trente ans il a doublé entre les pays les plus riches du Nord et les pays les plus démunis du Sud. Depuis 1980 le revenu par habitant a baissé de 15% en Amérique Latine, de 20% en Afrique. Même dans les pays les plus riches cette polarisation s’accentue: en 1993, M. Clinton avoue que 1% des citoyens américains ont disposé de 70% de la richesse nationale.
En France, où nous marchons avec retard sur la même voie, les officielles «données sociales» indiquent qu’en 1990 les 10% les plus fortunés détiennent 94% du patrimoine national, 90% s’en partagent 6%. Dans l’Europe des Douze, nous l’avons déjà rappelé, 55 millions d’Européens vivent au dessous du seuil de pauvreté.
Marx avait fait une profonde critique des contradictions du système capitaliste et avait dégagé, à partir de l’analyse du développement de l’Angleterre au XIXe siècle, les lois de la croissance du système : la priorité donnée aux moyens de production sur les produits de consommation. Mais il s’était toujours refusé à spéculer sur l’avenir et la construction du socialisme : « Je ne fais pas de recettes pour les gargotes de l’avenir. »
Ainsi, ceux qui se réclamaient de lui, lorsque triompha en Russie la Révolution d’Octobre de 1917, durent inventer le modèle nouveau d’organisation économique et politique. Ils durent le faire dans des conditions particulièrement difficiles : d’abord parce que, dans les premières années, le problème était celui de la survie de la Révolution contre une coalition semblable à celle que dut affronter la Révolution française en 93, et qui conduisit celle-ci à la Terreur puis à la dictature napoléonienne. L’objectif, ouvertement proclamé par Churchill et Clemenceau, était non seulement, avec l’appui des contre-révolutionnaires (comme ceux de Coblentz autrefois) comme le disait Churchill: « établir un cordon sanitaire et foncer sur Moscou », et surtout affamer la Russie par ce que Clemenceau appelait: « la politique du fil de fer barbelé. »
Churchill pourra se flatter, plus tard, dans son livre The world crisis, de 1929, d’avoir organisé contre la République des soviets « une croisade de quatorze États », comme le duc de BRUNSWIG et les « émigrés » s’étaient vantés d’écraser Paris et la Révolution. Si cette « croisade » fut vaincue, Churchill et Clemenceau purent se flatter du succès de leur blocus qui déclencha en Russie une terrible famine.
Ces premières catastrophes surmontées au prix de terribles pertes humaines, il fallut construire. Lénine conçut les grandes lignes de l’avenir:par exemple, dans le dernier article qu’il écrivit avant sa mort dans la Pravda les 4 et 6 janvier 1923 sous le titre : « Sur la coopération », il prévoyait un acheminement vers des coopératives agricoles et, disait-il, il faudra cinquante ou soixante ans pour que les paysans l’acceptent, sur la base de leur propre expérience.
Son successeur Staline, moins clairvoyant et plus brutal, prétendait opérer cette gigantesque mutation en quelques mois et par la coercition, ce qui aboutit à une véritable guerre contre les paysans où tous étaient assimilés à des « Koulaks » (grands propriétaires terriens contre-révolutionnaires) et cela conduisit à une terrible répression.
Ce fut plus grave encore lorsqu’il s’agit d’industrialiser le pays.
L’on oublie trop souvent, lorsqu’on en stigmatise les excès, ce que cette industrialisation coûta, au siècle précédent, à tous les pays qui s’y engagèrent.
Pour la France nous disposons de documents accablants : les enquêtes célèbres de Villermé et d'Eugène Buret nous en donnent un tableau sanglant[1].
Les statistiques de 1817 révèlent que dans les dix départements les plus industrialisés, sur 10.00 conscrits, on compte 8.980 infirmes ou déficients.La mortalité infantile fait de profonds ravages. Un rapport sur Lille, du Dr Gasset, indique: « A Lille, il meurt, avant la cinquième année, un enfant sur trois naissances dans la rue Royale, et, dans la rue des Etaques, considérée seule, c’est sur 48 naissances 46 décès que nous constatons .Qu’on vienne après cela nous parler de l’égalité devant la mort ! » A Nantes, le Dr Guépin nous apprend que « les ouvriers n’élèvent pas en moyenne le quart de leurs enfants[2]. »
En 1840, un industriel de Thann résume ainsi les conséquences de l’absence totale de législation du travail: « épuisement des forces de l’adulte par des journées de travail trop longues ; abandon du foyer domestique par la femme;lente dissolution du lien familial; effroyable augmentation, parmi le personnel féminin des fabriques, du nombre des mort-nés, rachitisme de l’enfance laborieuse. » Il prévoit à brève échéance, si aucun remède n’est apporté, la mort de l’industrie elle-même parce qu’on aura tari les sources de main-d’œuvre. C’est pourquoi le patronat lui-même et les classes dirigeantes finirent par favoriser la campagne pour la réglementation du travail.
A plusieurs reprises des députés interviennent à la Chambre pour demander que le gouvernement interdise l’emploi d’enfants de moins de cinq ans dans les mines ! Dans l’industrie cotonnière, un député révèle, en 1839, que sont employés cent cinquante mille enfants de cinq à quatorze ans travaillant de quatorze à dix-sept heures par jour.
Une loi du 22 mars 1841 réglemente le travail des enfants: il est décidé que les enfants de moins de huit ans ne seraient pas admis dans les manufactures; que de huit à douze ans ils ne feraient pas plus de huit heures de travail et de douze à seize ans pas plus de douze heures ! La loi rencontra des oppositions très vives et ne fut votée qu’à la condition qu’aucun inspecteur ne serait chargé d’en vérifier l’application. Les manufactures choisiraient elles-mêmes des inspecteurs bénévoles !
En Angleterre le passage de l’agriculture à l’élevage du mouton pour développer l’industrie de la laine, jeta, par les « actes d’enclosure » des multitudes de petits paysans expropriés sur les route et leurs révoltes, en liaison avec les ouvriers férocement exploités dans l’industrie textile, furent écrasées par des répressions sauvages.
Les rapports des « inspecteurs des fabriques » de l’époque donnent une image terrifiante des conditions du travail dans les nouvelles usines et dans les mines: tuberculose, exploitation des enfants, prostitution forcée des femmes, répression sanglante des grèves, des révoltes, de la destruction des machines (par les « luddites »), des salaires de famine et des châtiments physiques, avec une mortalité et une destruction de la famille et des mœurs sans précédent en Angleterre.
En Amérique le développement agricole avait été réalisé par la vente massive des esclaves noirs dans les plantations, puis lorsque le nord des États-Unis eut besoin d’une main d’œuvre autre que celle des esclaves pour son industrialisation, ce fut une guerre civile inexpiable entre Nordistes et Sudistes. Le général Sherman, qui commandait dans l’armée du Nord, fut aussi exterminateur à l’égard des « sudistes » qu’il l’avait été pour la chasse des Indiens (c’est lui qui est l‘auteur de l’infamante formule : « Un bon indien est un indien mort »). Après la victoire du Nord, non seulement se perpétua - jusqu’à nos jours - la discrimination raciste, mais un système où les travailleurs les moins qualifiés reçoivent des salaires inférieurs au seuil de la pauvreté (33 millions de citoyens en sont là, en l’an 2.000). Le chômage de longue durée est exclu des allocations.
Cette misère endémique sécrétée par le système engendre un taux de délinquance tel que 2% des citoyens sont aujourd’hui en prison !
En Union Soviétique l’industrialisation accélérée se fit à un coût humain, lui aussi, effroyable, et conduisit au « goulag ». L’encerclement capitaliste, son réarmement, ses menaces, l’absence d’investissements étrangers conduisit à une volonté d’accélérer l’industrialisation et la politique d’armements. Évoquant l’écart qui séparait l’Union Soviétique des grands pays européens et des États-Unis, en 1930, Staline disait au XVIe Congrès du parti bolchévique : « Nous devons combler ce retard en dix ans ou ils nous écraseront. » Dix ans ! En 1941, Hitler envahit la Russie !
Le plan de 1930 prévoyait une production de dix millions de tonnes de fer pour 1933. STALINE exige : « Il nous faut dix-sept millions de tonnes pour 1932. » En réalité cet objectif ne fut atteint qu’en 1949, et à un coût humain effroyable pour les S oviétiques. Cela est vrai. Mais qu’en eût-il été si ce pays n’avait pas été capable de résister à la gigantesque machine de guerre hitlérienne, d’en supporter pendant trois ans tout le poids, et de la briser seule, à Stalingrad, avant que les puissances de l’Ouest n’engagent une offensive terrestre ?
Ceci n’excuse aucun excès, mais permet seulement de les situer dans une perspective qui ne soit pas légendaire et haineuse.
D’autant plus que ces difficultés objectives ont été aggravées par les fautes des dirigeants soviétiques: l’émulation entre les deux systèmes économiques capitaliste et socialiste, fut, par exemple, viciée par une interprétation littéraliste, intégriste, des découvertes de Marx: Les lois de la «croissance» avaient été dégagées par Marx à partir de son exemple le plus parfait au XIXe siècle : l’Angleterre.
Ce qui avait été pensé au XIXe siècle, pour l’Angleterre, et comme mode de développement du capitalisme, fut, à partir de Khrouchtchev et de son mot d’ordre : « rattraper et dépasser les Occidentaux », appliqué en URSS, au XIXe siècle, et, dans un cadre « socialiste » centralisé jusqu’à l’absurde.
Le « modèle de croissance » capitaliste fut ainsi imité comme si la vocation du socialisme « était de faire le capitalisme mieux que les capitalistes ! »
Ce fut, naturellement, un échec car le système analysé par Marx ne pouvait fonctionner que dans les conditions d’un « libéralisme sauvage » et non dans un système étatisé, centralisé et autoritaire.
La rivalité de la « guerre froide » avec les États-Unis en matière d’armement, dans ces conditions, impliquait nécessairement la défaite soviétique.
D’autant plus, qu’imitant encore en cela le colonialisme occidental, les dirigeants soviétiques gaspillaient d’immenses ressources pour soutenir, à travers le monde, tous les pays cherchant, (à juste titre) leur libération du joug colonialiste, mais en prétendant leur imposer le système soviétique, totalement étranger à leur histoire, à leur structure, à leurs traditions (comme ils l’avaient fait d’ailleurs, au lendemain de la guerre, pour le glacis des États vassaux, à l’Est de l’Europe).
L’incapacité de Brejnev, l’imprudence de Gorbatchev, et finalement, la prostitution politique d’Eltsine, qui fut à la fois trahison et crime, conduisirent à l’implosion de l’Union soviétique.
Elle se déroula en trois étapes :
1)        Gorbatchev, avec le juste souci de « désidéologiser » le régime, commit l’erreur majeure (de 1985 à 1991), de croire qu’il n’y avait pas d’autre choix qu’entre le « goulag » et la « jungle » et amorça une « démocratisation » à l’occidentale, c’est à dire l’introduction d’une « démocratie » confondue avec la soumission aux lois du marché, et, par conséquent, le « dépérissement de l’État » confondu avec son effacement devant les lois du marché.
2)        Cette politique aboutit au « putsch d’opérette » d’Eltsine contre le parlement en août 1991. Dès lors, toutes les maffias du monde capitaliste, et, en premier lieu, des États-Unis, grâce à l’équipe corrompue d’Eltsine, purent se déployer sans obstacles en Union Soviétique et l’inclure dans la sphère occidentale de la spéculation. Deux conséquences inséparables découlèrent de cette restauration du capitalisme :la montée foudroyante d’une poignée de spéculateurs (les uns venus de l’extérieur, les autres issus des renégats de l’ancienne « nomenclatura » soviétique) et, comme corollaire inéluctable, le chômage, la misère, le désespoir des multitudes.
3)        L’étape fondamentale finale fut la désintégration officielle de l’Union soviétique, où, malgré le référendum du 17 mars 1991, par lequel la majorité du peuple s’était prononcé pour le maintien de l’Union renonçant à la dissolution simultanée de l’OTAN et du pacte de Varsovie, fut acceptée la dissolution unilatérale du pacte de Varsovie qui aboutit à la honte la plus profonde de la politique d’Eltsine : le pacte fondamental Russie-OTAN, signé à Paris le 27 mai 1997, faisant de la Russie un pays vaincu, otage de l’OTAN.
D’autant plus que déjà, l’entente de Bielojieve, signé en Biélorussie, avait préfiguré la désintégration de l’Union en détruisant les liens de solidarité existant entre toutes les « républiques » de l’ancienne Union soviétique.
La Russie était ainsi ramenée quatre siècles en arrière, au temps où elle n’ était que la Moscovie. Ce qui avait été une superpuissance devenait un pays du Tiers Monde, fournisseur de matières premières, et dépôt pour le stockage des déchets polluants de l’Occident, sous la direction effective de spéculateurs cosmopolites.
Il est difficile aujourd’hui de prévoir les scénarios possibles de la renaissance russe :
          Soit la restauration du capitalisme continue d’anéantir la Russie et de l’exclure d’une participation à la reconstruction d’une unité véritable du monde pour l’intégrer à la « mondialisation », c’est à dire` à l’hégémonie américaine.
          Soit, hypothèse inverse, la Russie retrouve sa vocation orientale, celle que définissait déjà Dostoïevski dans son Journal d'un écrivain : « La Russie - écrivait-il - n’est pas dans la seule Europe, mais aussi en Asie ; le Russe n’est pas seulement un Européen mais aussi un Asiate. Il y a, peut être, plus d’espérance pour nous en Asie qu’en Europe. Dans nos destinées futures, l’Asie est peut être notre principale ouverture. »
Les communistes russes, dans un peuple dégrisé par la catastrophe qui a résulté de la restauration du capitalisme, semblent avoir tiré la leçon des erreurs passées du « Parti bolchevik ».
D’abord, en ce qui concerne, en face du monothéisme du marché et de la décadence qu’il induit, la primauté de la recherche du sens, de la « spiritualité ».
Il est significatif que Ziouganov, le chef actuel du Parti communiste russe, président de l’Assemblée nationale dans son livre La Russie après l’an 2000 reconnaissant l`importance de la spiritualité, c'est-à-dire de la recherche du sens de nos vies personnelles et de notre commune histoire, écrit: « La politique de l’État doit viser à soutenir l’Église orthodoxe russe et d’autres confessions traditionnelles en Russie dans leurs efforts en vue de consolider les assises morales de la société[3]. »
A l’égard de la Chine : « La Chine donne sa réponse propre au défi économique de l’Occident. Cette réponse repose sur l’éthique confucéenne traditionnelle d’assiduité au travail et de modération, mais aussi, et simultanément, sur la réalisation de la période historique socialiste[4]. »
A l’égard de L’Islam : « Dans l’Islam le pouvoir est avant tout un devoir, une épreuve et une énorme responsabilité. Il ne fait aucun doute que le rapport à l’État en Russie, le regard russe sur le rôle de l’État dans la société sont beaucoup plus proches des vues islamiques que des conceptions occidentales[5]. »
De cette attitude à l’égard de la spiritualité une conception neuve de la politique extérieure russe : « La complexité de la situation historique de la Russie tient à ce que notre État se trouve à la jonction des civilisations de l’Occident et de l’Orient … nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de stopper l’extension de l’OTAN. Mais nous sommes à même de refuser le rôle contre-nature et inepte d’acteurs d’endiguement de la Chine et de l’Islam que l’on s’efforce de nous imposer de l’extérieur[6]. »
Alors que les États-Unis visent désormais ouvertement à établir leur hégémonie globale la Russie et le monde islamique sont « condamnés à être des alliés stratégiques dès lors qu’ils sont également intéressés à éviter une telle évolution des événements[7]. »
De même : « Ces derniers temps, on a vu se dessiner un rapprochement politique entre la Russie et la Chine avec la perspective de l’établissement d’un partenariat stratégique entre nos deux pays. Et c’est loin d’être fortuit ; les événements qui se produisent sur la scène internationale montrent qu’un même destin historique rapproche inéluctablement la Russie et la Chine … un ensemble de raisons objectives mettent aussi bien la Russie que la Chine dans une opposition à long terme avec l’Occident[8]. »
Ces raisons objectives sont aisément perceptibles à la lumière de la situation catastrophique du peuple russe depuis la restauration du capitalisme.
« La cause principale du mal est la tentative de restauration du capitalisme qui sape les assises matérielles et spirituelles de la société et de l’État[9]. »
Le problème est aujourd’hui de savoir si la Russie parviendra, sur le plan intérieur, à s’épouiller de la maffia américano-sioniste qui, en mettant la main sur son économie au profit de spéculateurs, veut l’intégrer aux plans de « mondialisation », c’est à dire d’américanisation du monde. Libérée de cette pieuvre, il resterait à la Russie à établir des liens, non plus de domination comme dans l’ancienne Union Soviétique, mais de fédération fraternelle, avec la Biélorussie, l’Ukraine et les républiques d’Asie Centrale.
Alors, elle pourrait jouer un rôle de premier plan dans la réalisation de ce que nous avons appelé, en opposition à la « mondialisation » impériale, une unité symphonique du monde, qui mette fin à toutes les hégémonies, à la cassure du monde entre le Nord et le Sud, à l’arasement des identités et des cultures.

La réforme de l’Islam 
Un devoir majeur exige des musulmans une lecture critique du Coran, c’est-à-dire une critique à la fois historique des conditions dans les quelles le verset est « descendu » et avec quel objectifs, afin de l’appliquer dans les conditions nouvelles utilisant une autre langage pour en réalises les fins éternelles, et une lecture allégorique, c’est-à-dire en n’oublient jamais la transcendance de Dieu, sans comme mesure avec l’homme, et ne lui parlant que par paraboles comme l’homme ne peut l’évoquer que par métaphores.
L’un des commentateurs les plus profonds du Coran, Zamakhshari, dans son exégèse du verset 35 de la Sourate XIII, où le Paradis est évoqué sous la forme d’un jardin avec des eaux vives, écrit qu’il s’agit d’une «parabole qui, au moyen de l’image de quelque chose que nous connaissons par expérience, désigne ce qui est au-delà de ce que nous pouvons atteindre par la perception. »
Zamakhshari énonce ainsi le principe fondamental de toute théologie et de toute exégèse : le divin ne peut ni se percevoir ni se concevoir, mais tout au plus se « désigner ».
1 ° - Toute renaissance à la fois politique et spirituelle de l’Islam exige une lecture nouvelle du Coran, libérée des commentaires desséchés et desséchants des ulémas officiels.
2° - Le problème de la « modernité « ne doit pas être abordé à partir d’une idéologie occidentale, dite « moderne «, excluant le problème des fins dernières de l’homme et réduisant la raison à la recherche des moyens techniques de la puissance et de la richesse, principe de son colonialisme, militaire, économique et culturel.
Un effort de renaissance de l’Islam a été tenté au cours du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe.
Un grand mouvement de réforme commença avec El Afghani (1838-1897). Il n’empruntait rien à l’Occident, sauf sa technologie. Mais sur le plan spirituel, celui des finalités, son «retour aux sources» n’était pas un retour à la tradition, mais un retour au Coran, lu avec les yeux d’un homme du XIXème siècle. Cette nouvelle lecture du Coran ouvrait la possibilité d’une régénération : « Dieu, disait-i1 en citant le Coran (Sourate XIII, verset 1), ne modifie pas l’état d’un peuple tant que les individus (qui le composent) ne modifient pas ce qui est en eux-mêmes. » Cela le mit déjà aux prises avec les traditionalistes.
Il inspira toute une lignée de réformateurs dont le plus célèbre fut Mohammed Abdou, qui le rencontra en 1882 au Caire. et, devenu grand cheikh d’El Azhar, donna, sous son influence, dans sa Lettre sur l’unité (tawhid) une lecture à la fois fidèle et répondant à la situation historique du monde . Rashid Redha continua, en Égypte, son œuvre dans le journal Al Manar (le phare) à la tête duquel lui succéda Hassan El Banna (1906-1949) qui fonda «Les Frères Musulmans» en 1922. Homme d’action, il avait si parfaitement conscience de l’unité coranique du message divin qu’il exigea que des chrétiens siègent, à part entière, à la direction du mouvement des Frères Musulmans.
Sa volonté d’unité du monde le conduisit, lui aussi, à une «option préférentielle pour les pauvres» : c’est parmi les paysans pauvres (les fellah) de la vallée du Nil, qu’il créa ses premières communautés de base, ses premières coopératives, se premières «banques islamiques», banques des pauvres, sans «intérêt», conformément à l’interdiction islamique du «riba» (l’argent gagné sans travail), cellules-mères d’une «civilisation nouvelle», échappant au «monothéisme du marché» à la fois par la reconnaissance de la dimension transcendante (divine) de l’homme et par le souci d’unité des principes de la «shari’a» (de la voie de Dieu) tels qu’ils sont définis dans le Coran, c’est-à-dire communs à toutes les religions révélées : Dieu seul possède, Dieu seul commande, Dieu seul sait, permettaient ainsi à la première génération des «frères musulmans» de relativiser la propriété (le propriétaire n’est que le gérant responsable); le pouvoir (le principe coranique de la «shura» (concertation excluant toute dictature d’un homme ou d’un parti) ; le savoir (le savoir de l’homme n’est toujours que relatif, provisoire, inachevé). C’était là le contrepoison de tout dogmatisme et de tout clergé se considérant comme fonctionnaire de l’absolu et dépositaire d’un savoir intangible.
Cette shari’a fondamentale inspira souvent des législations («fiqh») originales telles que des réformes agraires enlevant aux grands propriétaires terriens leur accaparement du sol pour le donner à ceux qui le travaillent, des systèmes fiscaux frappant les grosses fortunes héréditaires par un impôt direct, à l’inverse des impôts indirects sur la consommation qui frappent les démunis plus que les nantis ; des institutions participatives dans les entreprises pour éviter, comme le recommande le Coran, l’accumulation de la richesse à un pôle de la société et de la misère à l’autre.
Ce «retour aux sources» qui, pour Hassan El Banna, était un retour au Coran, fut parfois mal interprété par ses disciples qui en firent un «retour à la tradition», c’est à dire à des interprétations du Coran correspondant aux besoins de telle ou telle époque (ou aux` besoins de tel pouvoir.)
De telles «ouvertures» sur une civilisation nouvelle, échappant au «monothéisme du marché», comme «les communautés de base» et les théologies de la libération des chrétiens, furent en butte à l’hostilité des pouvoirs établis: Hassan El Banna fut assassiné en 1949, d’autres de ses disciples furent torturés ou pendus au nom d’une «orthodoxie» choyée par les pouvoirs.
Mais les perspectives d’une civilisation alternative, ne faisant pas abstraction de la dimension transcendante de l’homme, ni de l’option préférentielle pour les pauvres, reste, pour les chrétiens comme pour les musulmans, même si le développement en est entravé, «pierres vives», graines d’avenir pour la construction du futur.
En fait, malgré la distorsion des enseignements d’Hassan El Banna et l’étroitesse sectaire d’un grand nombre de dirigeants du mouvement qu’il avait fondé, la nécessaire relecture du Coran, momifié par une grande partie des «ulémas» officiels, l’esprit d’ouverture des réformateurs demeura vivante à travers le monde:par exemple, en Algérie de cheikh Ben Badis à Bennabi, au Pakistan avec Mohammed Iqbal, en Iran avec Ali Shariati, en Amérique même avec Fazlur Rahman.
Leurs grandes voix se sont tues avec leur mort, au milieu du XX ème siècle, mais la flamme qu’ils ont allumée ne doit pas s’éteindre pour permettre un réveil spirituel et politique de l’Islam vivant.
  Cette fin de siècle a une odeur de cimetière
De cimetière des espérances. Des espérances mortes: celle du socialisme qui, depuis un siècle, donnait un visage aux rêves de ceux qui vivent sous le talon de fer des oppressions sociales et coloniales, perverti par ceux-là mêmes qui prétendaient le réaliser dans l’histoire et le maintenir en copiant les modèles de croissance de ses pires ennemis, et les prostitutions politiques de ceux qui ont vendu leur pays. Les fossoyeurs ont triomphé. Ceux qui, d’Adam Smith à Von Hayek, ont voulu exclure de l’histoire les volontés des hommes pour qu’ils s’abandonnent aux dérives du marché comme seules régulatrices de toutes les relations humaines, ont proclamé « la fin de l’histoire ». Ce monothéisme du marché, conduit à la mort de l’homme après celle de Dieu.
Alors ont pullulé sur les ruines, comme des champignons vénéneux, les maffias et leurs charognards. Les chômeurs, les exclus, les mendiants, par millions, ont erré dans les rues, comme dans tous les pays où le « libéralisme totalitaire », c’est-à-dire la « restauration du capitalisme », a conduit à accumuler la richesse à un pôle de la société et la misère à l’autre.
Une autre espérance, deux fois millénaire, celle du message libérateur de Jésus, illumina, il y a bientôt cinquante ans, le ciel des chrétiens, avec les ouvertures sur le monde du concile de Vatican II du grand pape Jean. Elle est aujourd’hui, elle aussi, une fleur des ruines, depuis la « restauration d’une théologie de la domination », celle du constantinisme et du paulinisme. Elle est marquée par l’acharnement de la Curie romaine (en connivence avec la C.I.A.) contre la théologie de la libération en Amérique latine, l’absolution donnée à l’Europe colonialiste, depuis les déclarations de Jean-Paul II, à Compostelle, puis à Saint-Domingue, appelant «évangélisation» de l’Amérique le génocide indien. Il résume cette régression dans son Catéchisme de 1992.
Enfin la grande tradition humaine de libération des esclaves du colonialisme, celle de Bartholomé de Las Casas, de Victor Schœlcher, de l’abbé Grégoire, de Gandhi, de Mandela, de dom Helder Camara, est reniée par une Église redevenue monarchique et plus « romaine » qu’ « universelle ». L’intégrisme fondamental et premier du colonialisme, visant à imposer au monde entier son économie, sa politique, ses armées, sa culture et sa religion, en niant et en s’efforçant de détruire toutes les autres, triomphe, en cette fin de siècle, dans les intégrismes et les nationalismes les plus fanatiques.
La foi d’Abraham, attestée par le sacrifice suprême, annonçait l’alliance de Dieu avec «toutes les familles de la terre». Elle est supplantée par un nationalisme sauvage remplaçant le Dieu d’Israël par l’Etat d’Israël, vouant celui-ci à la conquête de « l’espace vital », à la « purification ethnique », à la division du monde en « élus et exclus », au « choc des civilisations », devenant son destin.
La levée de Jésus, et son « option préférentielle pour les pauvres », est bafouée par l’intégrisme totalitaire d’une Église redevenue impériale et constantinienne, occultant, sous un moralisme obsessionnel de la sexualité, les problèmes majeurs de la misère et de la guerre.
L’universalisme du Coran, honorant tous les Prophètes, et contribuant, pendant cinq siècles, au brassage des cultures et des civilisations, s’enfermant dans les traditions du Proche Orient, dans un « islamisme » devenu une maladie de l’Islam, et dont le littéralisme aveugle débouche sur les aberrations des « talibans ».
L’Amérique latine devenue la proie de tous les protégés des Etats-Unis, de Pinochet au Brésil et à l’Argentine, et n’ayant pour cible que Cuba et les efforts des uns ou des autres pour reconquérir une souveraineté relative. L’Afrique, où les dictateurs les plus sanglants, avec l’aide des anciens colonialistes, auxquels se sont joints les Etats-Unis, est livrée au chaos, de l’Algérie au Rwanda et au Zaïre, boycottée du Soudan à la Libye, et partout menacée de famine et d’épidémies. Une Asie ravagée par les premiers éclatements de la « bulle spéculative », née dans les bourses de Wall Street ou de la City de Londres parmi ceux qui ont perpétré « les crimes contre l’humanité » d’Hiroshima à l’Indonésie et aux Philippines de leur protégé Marcos, et qui osent se présenter en « défenseurs des droits de l’homme » contre la Chine et l’Iran.
Une Europe vassale, celle de Maastricht et de l’euro, où les Etats-Unis exportent leur chômage et leur anti-culture par leurs films de violence et le monopole de l’information au nom de la «liberté du commerce», tandis qu’ils en excluent la «concurrence» par les lois de l’embargo d’Helms Burton ou d’Amato, lois internes américaines prétendant légiférer pour le reste du monde.
***
Le XXIe siècle sera le théâtre de la plus décisive des guerres de religion. Le monothéisme du marché n’a pas d’avenir, il amènera fatalement au suicide planétaire ou à la résurrection de l’humanité. En soi, il tend à modeler un univers où tout s’achète et se vend, n’ouvre d’autre perspective à l’individu que de consommer et de thésauriser davantage (s’il n’est pas chômeur ou colonisé jusqu’à la famine). Il n’ouvre d’autre perspective aux nations que la «croissance», c’est-à-dire acheter et vendre n’importe quoi et la puissance de l’un et la vassalité de tous les autres, par un marché sans frontière permettant aux plus forts de dévorer les plus faibles.
Ce monothéisme du marché dispose aujourd’hui de moyens de prédication sans commune mesure avec les Églises ou les Temples: les «médias» comme la télévision et l’Internet, de la cocaïne à la pub et au décibel. La drogue est devenue l’encens du nouveau sanctuaire universel: celui qui règle les seuls rapports de force économique ou militaire, toutes les relations humaines entre les individus comme entre les peuples.
Cette «cassure du monde» entre le Nord et le Sud, et, au Sud comme au Nord, entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, sur une terre où 80% des matières premières viennent du «Tiers Monde» mais sont contrôlées et consommées par les privilégiés de 20% du globe, a pour conséquence la mort, chaque année, par la malnutrition ou la faim, de quarante millions d’êtres humains, dont treize millions et demi d’enfants (selon l’UNICEF), coûte ainsi à l’humanité l’équivalent de morts d’un Hiroshima tous les deux jours, alors que les aliments produits dans le monde pourraient nourrir huit milliards d’individus. Trois pays, les Etats-Unis, le Canada et l’Australie, stockent des excédents de grains supérieurs à cent millions de tonnes. Trois à quatre pour cent de ces grains, suffiraient à éviter des millions de morts par la faim.
Tel est aujourd’hui le bilan du monothéisme du marché, auprès duquel Attila ou Gengis Khan n’étaient que de dérisoires artisans, les sacrifices humains des Aztèques de simples faits divers, les Croisades et les Inquisitions, même les colonialismes anciens, de médiocres précurseurs. Il est à la fois symbolique et significatif que le Washington Post, en janvier 1996, au lendemain de la dévastation de l’Irak, ait désigné Gengis Khan comme « l’homme du millénaire ». Le critère de ce choix est merveilleusement défini : l’empereur mongol du XIIIe siècle, est en effet, dans l’histoire du millénaire, celui qui sut, par le fer et le feu, se tailler le plus grand morceau de la planète : il régna du Pacifique à l’Europe de l’Est et de la Sibérie au golfe Persique. Était-il en effet un précédent et un exemple plus évident des réalisations et des ambitions de la politique américaine dans la deuxième moitie de notre XXe siècle ?

Une Europe vassale
Cette religion totalitaire du monothéisme du marché a gagné le monde en trois temps au XXe siècle.
Au cours des deux dernières guerres européennes, par deux fois les États-Unis sont venus «au secours de la victoire», en 1917, après Verdun et la Somme, en 1944, après Stalingrad. Chaque fois, ils ont attendu que la guerre ait été aux trois quarts gagnée et que l’un des belligérants ait perdu toute chance de renverser les forces. Ces deux guerres ont fait couler des flots de sang en Europe et des flots d’or à travers l’Atlantique. La «neutralité» avait, en 1917, accru de 15 % les exportations américaines : la balance commerciale des États-Unis était passée d’un excédent de 436 millions de dollars en 1914 à 3.568 millions de dollars en 1917. En 1948, Georges Kennan, qui avait été jusque-là à la tête du «Conseil national de sécurité» américain, pouvait déclarer: «Nous possédons environ 50% de la richesse mondiale[10]
Du point de vue européen, la phraséologie archaïque de la droite et de la gauche ne permet plus de rendre compte des enjeux car elle est née et s'est développée dans un tout autre contexte. Au XIXe siècle, après la Révolution française, lorsqu' apparut la notion de «gauche»", elle avait un contenu historique très clair: elle désignait la lutte de la bourgeoisie la plus éclairée, qui entendait achever l’œuvre de la Révolution, contre les séquelles de la féodalité et contre une Église qui fournissait les justifications idéologiques de tous les conservatismes. Dans la première moitié du XXe siècle, avec l’organisation et la montée en puissance de la classe ouvrière, la gauche est de nouveau le parti du mouvement contre une bourgeoisie nantie qui cherche à garantir ses privilèges. Le socialisme, dans toutes ses variantes, avait un dénominateur commun : contre le jeu aveugle des lois du marché qui engendrent à la fois des fortunes insolentes, des inégalités croissantes et des exclusions, créer un autre mode de régulation sociale : équilibrer le marché par le plan et le libre jeu des lois économiques par un État veillant à la protection sociale des masses contre la domination et l'exploitation des maîtres de la finance.
Mais ce clivage entre la droite et la gauche, dans la politique intérieure de la nation, ne correspondait déjà plus aux recompositions des forces et des alliances en face d'une entreprise extérieure de domination qui fut d’abord celle d’Hitler: Munich, et plus encore l’occupation nazie, ont effacé cette ancienne ligne de démarcation. La lutte contre l’occupant rassembla des hommes appartenant jusque là à la droite extrême, comme de Gaulle, des catholiques en rupture avec une hiérarchie collaboratrice, et, en dehors de personnalités hors partis, une seule composante de l’ancienne gauche : les communistes. La libération ne changea pas substantiellement cette recomposition des forces politiques. Une fois encore le danger venait d'une domination extérieure, celle des Etats-Unis, sortis enrichis et puissants de la guerre, devant une Europe exsangue et une Union soviétique ravagée.
Les partis, reconstitués avec de vieilles étiquettes de gauche, comme le Parti socialiste, ou avec de vieux leaders catholiques non-compromis par la collaboration, comme le M.R.P., se coalisèrent de fait pour éliminer d’abord de Gaulle, puis, sur injonction des Etats-Unis, conditionnant les aides au plan Marshall, pour exclure les communistes des gouvernements de France, d'Italie et de Belgique. Maurice Thorez soulignait déjà que les notions de droite et de gauche étaient périmées, et que le critère principal était désormais: soumission aux Américains et à leur politique, ou résistance à cette régression sociale et culturelle.
Depuis lors la situation s'est développée dans le même sens; par l’acceptation de l'hégémonie américaine. Après les tentatives d’indépendance de de Gaulle, telles que le retrait des troupes françaises de l'O.T.A.N. ou l’embargo contre Israël lors de ses agressions, les partis dits de gauche, comme ceux de droite, lorsqu'ils furent au pouvoir, se soumirent tous aux injonctions américaines. Le Parti socialiste autant que les autres, parfois plus du fait de l'influence sioniste qui le rend plus docile encore à l’égard des États-Unis, protecteurs inconditionnels d'Israël, surtout lorsqu'il s'agissait de faire bloc contre un État Arabe. La guerre colonialiste d’Irak en est l'exemple le plus typique.
Dès 1944, les accords de Bretton Woods avaient officialisé l’hégémonie du dollar en le mettant à égalité avec l’or pour devenir la monnaie internationale. Mais une telle richesse posait un problème: devant cette Europe insolvable, en ruines, les États-Unis se trouvaient dans la situation d’un enfant qui, ayant gagné toutes les billes, est obligé d’en prêter à ses petits camarades s’il veut continuer à jouer. C’est à ce genre de nécessité que répondit le plan Marshall: Il fallait «aider» financièrement à la reconstruction de l’Europe pour qu’elle redevienne un client rentable. Ces prêts étaient, bien entendu, subordonnés à des garanties politiques: 1.– L’aide américaine devait être consacrée uniquement «aux pays d’importance stratégique primordiale pour les États-Unis[11].»; 2.– Elle devait exiger l’élimination des opposants : les ministres communistes français furent exclus du gouvernement le 4 mai 1947, les italiens le 13 mai, les belges le même mois. Aussitôt, le 5 juin 1947, est officiellement proclamée la « proposition Marshall ».
Cette «générosité» se révéla d’un rendement économique et politique éblouissant, si bien qu’avant la fin du siècle, après avoir enchaîné l’Europe militairement dans l’OTAN (Organisation de l’Atlantique Nord ) et le monde économiquement par ses valets du FMI (Fonds monétaire international) et de la Banque mondiale, était atteinte la troisième étape (après Bretton Woods et le Plan Marshall) de cette hégémonie du monothéisme du marché: le traité de Maastricht faisant de l’Europe une Europe américaine.
Dès lors – comme le soulignait Paul Marie de La Gorce, ancien directeur de la Revue de Défense nationale, « dans tous les domaines de la politique étrangère, il n’y aura plus du tout de politique nationale. » De fait les États membres se comportent, depuis lors, en fournisseurs de forces militaires supplétives pour toutes les aventures guerrières des États-Unis, depuis l’Irak jusqu’au Kosovo.
Sur le plan économique, il en est de même: notre commerce extérieur dépend des décisions d’embargo de lois américaines (telles que les lois Helms-Burton ou d’Amato) et notre peuple sera contraint, sous peine de représailles ou d’amendes, de manger le veau aux hormones venu d’Amérique, ou de mettre 16% de ses terres en friches pour laisser le marché libre aux grands céréaliers américains. La dévastation spirituelle de l’Europe est plus radicale encore: il faudra se contenter d’importer ou d’imiter les musiques pathogènes ou les peintures bourbeuses des Etats-Unis, et, pour l’essentiel, sa production cinématographique: la part de marché du cinéma français aux États-Unis étant de 0,5%, et la part américaine en France de 78% (86% des films de violence étant importés des États-Unis).
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Dans l’Europe des Douze, selon le Commissaire européen Padraig Flynn, cinquante-cinq millions d’Européens (sur trois cent quarante millions) vivent au dessous du seuil de pauvreté.
Il ne saurait y avoir, un siècle et demi après ses analyses sur les lois de développement du capitalisme, de vérification plus éclatante des prévisions historiques de Marx, et de réfutation plus tragique de l’optimisme d’Adam Smith et des prétentions du libéralisme. Même le directeur du FMI, qui dévaste depuis vingt ans le Tiers Monde, et exerce aujourd’hui ses ravages sur les pays de l’Est pour leur imposer «l’économie de marché», (c'est-à-dire le capitalisme) reconnaissait, à Lille, le 30 mars 1992: « Si notre système s’est révélé particulièrement apte à créer de la richesse, en revanche il n’a que faire de l’homme.»
Depuis le plan Marshall, mais plus encore depuis Maastricht, l’Europe est vassale : une Europe américaine.
A trois reprises la même formule le proclame dans le texte :
« L’objectif (du Traité) est de développer l’Union Européenne Occidentale (UEO) en tant que moyen de renforcer la pilier européen de l’Alliance Atlantique. »
Pour que nul ne se trompe sur cette vassalité d’une Europe américaine, il est précisé dans la Déclaration 1, que l’éventuelle défense commune devra être « compatible avec celle de l’Alliance atlantique », qu’elle doit se tenir « dans le cadre de l’UEO, et de l’Alliance atlantique » et que « l’Alliance restera le forum essentiel de consultation[12]. »
Dans l’article final de la conférence de Maastricht, la déclaration sur les rapports avec l’Alliance atlantique ne laisse aucun doute à ce sujet ; « L’Union européenne agira en conformité avec les dispositions adoptées dans l’Alliance atlantique. »
L'Europe américaine, et son suzerain l’OTAN, se fait l’instrument de cette conception parasitaire et décadente.
Dans un éloge de la « mondialisation », intitulé « Manifeste pour un monde stable », Thomas L. Friedman écrit : « Maintenir la mondialisation est le pilier de notre intérêt national… La mondialisation est américaine. » Ceci, dit-il, est différent de « l’impérialisme démodé, quand un pays en occupait physiquement un autre ». Maintenant, il faut maintenir « un système de mondialisation abstrait ». Et ceci « requiert une structure de pouvoir géopolitique stable, qui ne peut tout simplement pas être maintenue sans l’implication active des États-Unis ». Ce point est alors joliment résumé : « La main cachée ne pourra jamais fonctionner sans le poing caché, Mc Donald’s ne peut pas se développer sans Mc Donnell Douglas, le concepteur du F-15. Et le poing caché qui maintient le monde en sécurité pour les technologies de Silicon Valley se nomme armée des États-Unis, Air Force, Marine et le Corps de Marines[13]. »
Bill Clinton lui même donne le vrai sens de son agression du Kosovo : « Si nous nous dirigeons vers des partenariats économiques forts qui impliquent notre capacité à vendre partout dans le monde, l’Europe doit en devenir une des clés. C’est là toute la question du Kosovo[14]. »
Quand les avions turcs survolent Belgrade, l’on feint d’oublier, à l’OTAN, l’extraordinaire nettoyage ethnique opéré par leur alliés turcs dans cette « sainte croisade » qu ‘au milieu des années 90, avec ses dizaines de milliers de Kurdes tués, ses trois mille cinq cents villages détruits (sept fois le chiffre du Kosovo, si l’on en croit la déclaration de Clinton au moment de la « victoire »), près de deux à trois millions de réfugiés.
C’est ce système que, sous des noms divers (libéralisme, libre échange, économie de marché, etc.), les actuels maîtres du jeu veulent imposer à la planète entière après avoir ligoté une Europe réduite à la volonté de quelques partis politiques entièrement corrompus et investis d'un pouvoir illimité par le biais de l'idéologie qui fait du droit de vote le synonyme du pouvoir populaire.]
Le plus récent exemple de cette malfaisance du prétendu libéralisme est celui de son introduction en Union soviétique par les Etats-Unis et leur exécutant le FMI. : « Sur la base d’un seuil de pauvreté de quatre dollars par jour, le nombre de pauvres est passé de 4% de la population en 1988 à 32% au milieu des années 90. En Russie, après la crises du rouble, en août 1998, le nombre de pauvres a augmenté de dix millions pour toucher, en janvier 1999, selon certaines estimations, près de 40% de la population[15]. » A ce propos, ne serait-il pas temps enfin de critiquer le procédé méprisant et imbécile à la fois, qui consiste à évaluer les revenus du monde entier en dollars: ainsi, les Russes ne vivent pas avec quarante dollars par mois mais avec quelques milliers de roubles qui leur assurent un logement, une alimentation décente et un système de sécurité sociale complet, des livres gratuits, etc, soit l'équivalent de plusieurs milliers de dollars par mois aux Etats-Unis; de la même façon, on ne peut pas apprécier les revenus d'un Indien, d'un Chinois ou d'un Indonésien dans cette monnaie de singe, qui plus est au taux variable.
Tel est le bilan de la restauration du capitalisme en Russie : ils ont fait d’une superpuissance un nouveau Tiers Monde, avec tous les stigmates de la décadence capitaliste: un taux de chômage galopant, une inflation et une hausse des prix vertigineuses, une misère accrue jusqu’à la mendicité pour les masses, et des fortunes fondées sur la spéculation, et le trafic naissant à la vitesse de champignons vénéneux. Tout ceci s’est accompagné de toutes les tares morales du système: une prolifération de la drogue, qui a rattrapé, en quatre ans, le niveau des Etats-Unis: vingt millions de drogués. Le trafic de drogue est en train de devenir l’activité la plus rentable, comme aux Etats-Unis, où le chiffre d’affaire du commerce de la drogue est du même ordre de grandeur que celui de l’acier ou de l’automobile.
L’Europe constitue un club des anciens colonialistes autrefois rivaux, mais soumis aujourd’hui au colonialisme unifié sous direction américaine. Elle joue un rôle de supplétif de l’armée américaine, de l’Irak au Kosovo, car elle n’a point d’autre unité ni existence, qu’il s’agisse de la politique extérieure ou de la politique monétaire. Le «Système monétaire européen» n’est maintenu que par une farce grossière: déclarer que la limite des variations des monnaies passe de 2,25% à 15%, ressemble à un accord sur les limitations de vitesse, où, pour mettre fin aux divergences, on se mettrait d’accord pour fixer une vitesse limite à 350 kilomètres à l’heure sur la route.
Mais l’objectif américain est atteint: la preuve a été faite que quelques spéculateurs internationaux du genre Soros, avec l’appui de la banque américaine, pouvaient torpiller n’importe quelle monnaie européenne: la livre anglaise, la lire italienne, la peseta espagnole trois fois dévaluée, ou toute autre, selon les besoins du Trésor américain.
En politique extérieure, l’hypocrisie est aussi grossière mais avec des conséquences plus sanglantes. L’objectif américain est celui que désigne sa préoccupation constante : celle que le sénateur Truman (devenu le président Truman) formulait ainsi en 1943 «Si nous voyons que l’Allemagne prend le dessus, il nous faudra aider la Russie, et si c’est la Russie qui gagne, il nous faudra aider l’Allemagne, de façon qu’ils s’entretuent le plus possible.»
Les illustrations de cette ligne permanente sont nombreuses: pendant la guerre Irak-Iran, l’aide officielle, financière et militaire, à l’Irak, et parallèlement, en sous-main, le soutien à l’Iran par «l’Irangate», puis la destruction de l’Irak.
L’Europe, qui aurait à payer les frais de cette opération, c'est-à-dire l’entretien d’un incendie qui risque de s’étendre de façon incontrôlable, se contente de bavarder, par exemple en brodant sur le thème de la «purification ethnique», qui n’a aucun sens en Bosnie où il n’y a pas d’»ethnie» musulmane: les musulmans de Bosnie sont soit des Serbes, soit des Croates qui se sont convertis à l’Islam au temps de l’occupation turque. Il ne reste pas, en Bosnie, 1% d’»ethnie turque». L’hypocrisie d’une telle propagande éclate lorsqu’on sait que, depuis la chute d’Hitler, les «purifications ethniques» les plus virulentes sont celles de l’Afrique du Sud et d’Israël, ce dernier bénéficiant de l’appui inconditionnel des Etats-Unis et de la complicité de l’Europe.
La première tâche de ceux qui se situent à l’extérieur du capitalisme, est de déchirer le tissu des mensonges qui perpétuent le système, en désignant l’ennemi principal: la politique des Etats-Unis, des multinationales, et des «lobbies» qui l’inspirent dans sa volonté de domination mondiale.
Cela signifie une rupture radicale avec les instruments mondiaux de cette domination: le FMI, la Banque Mondiale, et l’Europe de Maastricht, qui, par exemple, par la « politique agricole », commencée par le « PAC », et sa révision de mai 1992, a ouvert l’Europe à l’invasion des importations américaines. Cette capitulation de l’Europe a été plus complète encore à Blair House (novembre 1992), étendant les jachères en Europe, et augmentant le volume des exportations américaines. Mais, au delà de la terre, toutes nos industries sont menacées: le charbon européen à l’agonie, l’acier frappé de taxes pour ne pas pénétrer en Amérique, l’électronique, l’aéronautique, privatisées aux Etats-Unis au profit de ses propres producteurs, avec une ligne de conduite choisie: libre échange à l’extérieur pour ouvrir tous les marchés aux exportations américaines, protectionnisme aux Etats-Unis pour freiner les importations étrangères.
Ceci sur tous les plans, y compris celui de la culture. Il en est de même pour la télévision, envahie par toutes les variantes de la décadence américaine fondée sur la violence et l’argent.
Une Europe défendant sa propre identité, depuis son agriculture et son industrie jusqu’à sa culture, ne peut qu’être anti-américaine ou accepter sa vassalité et sa colonisation. 

Le modèle américain: un leurre
Une fausse prospérité
Les deux problèmes aujourd’hui les plus angoissants sont la faim dans le Tiers-Monde et le chômage dans le monde industrialisé. Ils sont si étroitement liés qu’ils n’en font qu’un. Qu’il y ait, dans le Sud huit cents millions de mal nourris et, dans le Nord, des millions de chômeurs, sont les deux facettes du même problème, de la même contradiction mortelle du système du marché.
Lorsque l’on parle de surproduction l’on ne considère comme «marché» que le seul marché solvable, c'est-à-dire, en priorité, celui des trois grands blocs: Etats-Unis, Europe, Japon, et aussi celui des «élites» urbanisées et occidentalisées des pays du Tiers Monde. Un marché de deux milliards de consommateurs, les trois autres milliards étant pour la plupart «insolvables».
Ce déséquilibre fondamental est l’héritage de cinq siècles de colonialisme qui a déstructuré les économies des pays dominés pour en faire des appendices de l’économie de la métropole. Il est perpétué et aggravé par le «nouvel ordre mondial» qui continue l’ancien, et le conforte par une domination unique.
Tant que ce déséquilibre subsistera il n’y aura pas de solution effective, ni au problème du chômage ni à celui de la faim. Il est vain de dire que la «croissance» réduira le chômage. Depuis vingt ans elle ne crée plus d’emplois, elle en détruit.
Marx montrait déjà que le progrès technique chasse l’homme de la production et accroît «l’armée de réserve du capital». Mais, pendant plus d’un siècle, celui de l’expansion du machinisme, ce phénomène était masqué d’abord parce que la création de nouveaux besoins ouvrait un horizon très large à la production industrielle, ensuite parce que les exigences de l’industrialisation permettaient un transfert de main d’œuvre, celle des paysans vers les usines, puis des ouvriers vers le «tertiaire».
Mais depuis la fin des années 70, qui avait marqué une période d’expansion économique, trois phénomènes nouveaux sont apparus :
– d’abord une saturation relative des marchés jusque-là pilotes: par exemple ceux de l’automobile, puis de l’électroménager. Le simple renouvellement du parc ne permettait plus d’accroître les effectifs de la production.
- ensuite, au niveau de la production, la croissance, la productivité, la «compétitivité», s’obtiennent désormais par une informatisation croissante de la production et des services. Un seul exemple: en 1985, en Belgique, il fallait 40.000 ouvriers pour produire 11 millions de tonnes d’acier. En 1990, il suffit de 21.000 pour en produire 12 millions et demi, c’est à dire 10% de production supplémentaire avec moitié moins de main d’œuvre.
- enfin, les « délocalisations » et les « regroupements » des grandes firmes ont aggravé le chômage. Il est donc faux de dire que la croissance résorbera le chômage. Elle augmente seulement la «compétitivité».
La prospérité des Etats-Unis même n’est qu’un leurre. A chacun des rapports sur l’état de l’Union, le président des Etats-Unis vante la «prospérité américaine» et les miracles de sa croissance, évitant d’évoquer qu’il s’agit du pays le plus endetté du monde, endettement dû à ce que l’État et la partie la plus aisée de la population, vivent au-dessus de leurs moyens, et, par conséquent, s’endettent, et s’endettent d’autant plus que la balance commerciale américaine est la plus déficitaire du monde : 150 milliards de dollars en 1995, 250 milliards en 1999, 450 milliards en 2000, selon les statistiques officielles de l’Etat américain [16]
Le déficit de l’État atteignait déjà « 620 milliards de dollars en 1995, 1.550 milliards de dollars en 1998 », et, sur la lancée actuelle atteindrait « 3.500 milliards de dollars en l’an 2000 », écrit l’économiste américain Luttwack dans Le turbo capitalisme. D’après le NIPA, l’endettement aurait été de 4.000 milliards en 1980, 14.000 milliards en 1990, 26.000 milliards en l’an 2000. Ces chiffres officiels témoignent d’une surconsommation débridée de l’État (en armement et guerres d’une part, et en aides corruptrices à leurs complices d’autre part, notamment Israël et l’Egypte).
Dans cette situation, partiellement masquée par la comptabilité truquée des économistes à gages et par les chiffres boursiers de la spéculation, il est clair que les Etats-Unis sont entrés, surtout après l’euphorie financière que lui procura la deuxième guerre mondiale, dans une période de capitalisme décadent et dégénéré : le capitalisme classique visait à la formation du capital à long terme pour l’investir dans les entreprises productives. Or le système actuel dit de la « nouvelle économie » n’est avide que de profit à court terme obtenu non par la production mais par la spéculation sur les variations aléatoires du taux des devises ou des oscillations des prix des matières premières, dans lesquels les banques jouent le rôle des casinos et où les entreprises ne se maintiennent qu’en utilisant la main d’œuvre à bas prix et sans protection sociale des pays les plus pauvres pour y « délocaliser » leur production, ce qui redouble le chômage aux Etats-Unis eux-mêmes. Seuls profitent de ce système les actionnaires et les managers dans les entreprises de plus en plus concentrées, et dont les dividendes s’accroissent au rythme des licenciements, robotisations, informatisations.
Luttwack ajoute: « une raison simple explique la quasi absence de chômeurs de longue durée aux Etats-Unis : l'Etat ne se charge pas de les indemniser[17]. »
De sorte que le système repose d’abord sur la violence, qui s’exerce en politique extérieure comme dans la vie intérieure. Peu avant la guerre de Corée, fut élaboré, en 1950, un document fixant la ligne politique des États-Unis: le National Security Council Memorandum 68 (NSC, 68). Il était rédigé par Paul Nitze qui venait de succéder à Georges Kennan à la tète du State Department Planning Staff. Georges Kennan avait été écarté parce qu’il était considéré comme trop «colombe» par le pouvoir. Il avait portant écrit, en 1948: « Nous possédons environ 50% de la richesse mondiale, mais seulement 6,3% de la population. Dans cette situation, il est inévitable que nous soyons l’objet de jalousie et de ressentiment. Notre vraie tâche, dans la période à venir, est de développer un système de relations qui nous permettra de maintenir cette position d’inégalité sans mettre en péril notre sécurité nationale. Pour réaliser cela, nous allons devoir nous débarrasser de toute sentimentalité, et cesser de rêver tout éveillés. Nous ne pouvons pas nous permettre aujourd’hui le luxe de l’altruisme et de la bienfaisance à l’échelle mondiale. Nous devrions cesser de parler d’objectifs vagues et irréalisables, tels que les droits de l’homme, l’élévation du niveau de vie et la démocratisation. Le jour n’est pas loin où nous allons devoir agir carrément en termes de rapports de force. Moins nous serons gênés par des slogans idéalistes, mieux ce sera[18]. »
Après la destruction de l’Irak, cette volonté de domination mondiale s’est affirmée avec plus de cynisme encore. Deux documents du Pentagone, l’un sous la direction de D.Wolfowitz, l’autre sous celle de l’amiral Jeremia, adjoint du président du Comité des chefs d’état-major, sont très explicites. En voici un extrait :
« L’ordre international est, en définitive, garanti par les Etats-Unis, et ceux-ci doivent se mettre en situation d’agir indépendamment quand une action collective ne peut être mise sur pied ou en cas de crise nécessitant une action immédiate. »
« Nous devons agir en vue d’empêcher l’émergence d’un système de sécurité exclusivement européen qui pourrait déstabiliser l’OTAN. »
« L’intégration de l’Allemagne et du Japon dans un système de sécurité collective dirigé par les Etats-Unis »
« Convaincre d’éventuels rivaux qu’ils n’ont pas besoin d’aspirer à jouer un plus grand rôle. » Pour y parvenir il faut que ce statut de superpuissance unique « soit perpétué par un comportement constructif et une force militaire suffisante pour dissuader n’importe quelle nation ou groupe de nations de défier la suprématie des Etats-Unis ». Ceux-ci « doivent tenir assez compte des intérêts des nations industrielles avancées pour les décourager de défier le leadership (américain) ou de chercher à mettre en cause l’ordre économique et politique établi »[19].
Tout ceci, bien entendu, comme l’avaient été toutes les annexions américaines, selon, disaient tous ses présidents, le « destin manifeste » qui leur avait été assigné par Dieu.
De ce «peuple élu», le président Nixon, répétait, comme ses prédécesseurs : «Dieu est avec l’Amérique, Dieu veut que l’Amérique dirige le monde.» Dispensé, après sa retraite, du devoir de réserve, il écrira dans le New York Times du 7 janvier 1991, à propos de l’expédition d’Irak, « Nous n’allons pas là-bas pour défendre la démocratie parce que le Koweït n’est pas un pays démocratique et il n’y en a pas dans la région. Nous n’allons pas là-bas pour abattre une dictature, sinon nous serions allés en Syrie. Nous n’allons pas là-bas pour défendre la légalité internationale. Nous allons là-bas, et nous devons y aller, parce que nous ne permettrons pas que l’on touche à nos intérêts vitaux. »
Les «intérêts vitaux» des Etats-Unis se résument en la volonté d’imposer au monde, et pour toujours (La fin de l’histoire de Fukuyama) le monothéisme du marché.
De l’imposer par la menace de sanctions financières si la corruption ne suffit pas. Car la corruption est au principe du système comme le disent ouvertement les adeptes de «l’économie de marché» à travers le monde.
De là découlent toutes les conséquences morales pour nos peuples, et surtout pour notre jeunesse: échapper à tout prix à ce monde invivable du «monothéisme du marché» privant la vie de son sens.
Le cinéma américain d'Hollywood est le modèle le plus parfait de cette anti-culture: il ne projette pas, comme toutes les grandes oeuvres d'art, un avenir harmonieux pour l'humanité.
Il projette, au contraire, sur le monde la réalité américaine: celle du capitalisme, c’est-à-dire du système qui propose comme but unique de la vie: l'enrichissement.
L'enrichissement à tout prix exige soit la corruption (comme le préconisait Hamilton, conseiller de Georges Washington, dès la fondation des États-Unis), soit la guerre qui résout les problèmes de la consommation et de l'emploi, par la vente des armements. C'est l’objectif essentiel du cinéma américain avec ses deux thèmes essentiels: l'argent et la violence: Dallas et Schwartzeneger. Sur ces points l'Amérique est en effet exemplaire: elle est un agrégat d'intérêts particuliers d'individus ou de groupes économiques et non pas une nation.
C'est ce qu'avouait le président Clinton dans son discours sur l'état de l'Union, du 27 janvier 1998: «Ce que nous, notre génération, devons accomplir dans notre époque, c'est de faire en sorte que les Américains deviennent vraiment une nation. ... Croyez-vous que nous puissions devenir une nation?»
Coppola, le réalisateur d'Apocalypse Now, qui rompt avec la création de cette « autre réalité » nous faisant évader d'un monde invivable, écrit: « A vrai dire il conviendrait de ne plus appeler «films américains» les films relevant de l'industrie américaine d'Hollywood, mais «films de l'industrie». Parce qu'ils sont produits par des multinationales. Cette industrie ne reflète que l'axe Hollywood-Wall Street. Il y a un cinéma américain indépendant, aussi différent de celui des grandes compagnies que les films étrangers[20]. »
L'industrie du spectacle, devenue l’une des premières industries américaine nous donne ses images fabriquées de la réalité américaine pour la réalité elle-même du monde.
Elle tend à nous faire vivre dans un univers virtuel qui nous fait oublier les tragédies réelles du monde.

Éloge de la corruption
La corruption est au principe du système comme le disent ouvertement les adeptes de «l’économie de marché» à travers le monde.
En France, par exemple, Alain Cotta, dans son livre sur Le capitalisme dans tous ses états définit la logique du système: « La montée de la corruption est indissociable de la poussée des activités financières et médiatiques. Lorsque l’information permet, à l’occasion d’opérations financières de tous genres, en particulier celles de fusions, d’acquisitions et d’OPA, de bâtir, en quelques minutes, une fortune impossible à constituer fût-ce au prix du travail intense de toute une vie, la tentation de l’acheter et de la vendre devient irrésistible[21]
L’auteur ajoute: «L’économie marchande ne saurait qu’être favorisée par le développement de cet authentique marché… La corruption joue, en somme, un rôle analogue au Plan.»
En Allemagne, dans un livre intitulé: Le grand art de la corruption, Horst Eberhard Richter écrit: « Qui veut gouverner doit corrompre. L’interaction entre l’art de corrompre et la docilité des corrompus crée et maintient l’ordre. »
Puis il ajoute: « En politique il n’y a pas de place pour la conscience, parce que cela signifie l’incapacité d’agir ».
Ensuite Richter parle du lavage de cerveau opéré par la télévision : « Que la télévision, utilisée de manière appropriée, soit l’instrument le plus merveilleux de corruption mentale, est un fait qu’on n’a pas besoin d’enseigner à l’élite politique. »
« Les parquets italiens ont permis d’établir le versement illicite d’environ 619 milliards de lires (environ deux milliards de francs) au cours des cinq dernières années… somme ne concernant toutefois que les pots de vin versés aux parlementaires. » (Il Mondo, de Milan. octobre 1994)
Car l’oligarchie régnante cherche à détruire tout ce qu’il y a d’humain (d’autres diront: de divin) dans l’être humain.
Pas seulement en faisant naître la « richesse », non du travail mais de la spéculation. L’argent n’a plus pour rôle essentiel d’être investi pour produire ce qui est nécessaire à la subsistance, à l’éducation, au développement de l’homme, mais de produire de l’argent.
Maurice Allais (prix Nobel d’économie), se fondant sur les données de la Banque des règlements internationaux, note que: «les flux financiers s’élèvent en moyenne à onze cents milliards de dollars par jour, soit quarante fois le montant des flux financiers correspondant à des règlements commerciaux. Un tel système est indéfendable[22]
En paroles simples, cela signifie qu’à condition de recevoir des appuis bancaires, au niveau de ces manipulations, l’on gagne quarante fois plus à spéculer qu’à travailler. L’Internet permet de connaître, à chaque minute du jour ou de la nuit, le taux des devises ou le prix des matières premières, d’acheter ainsi et de vendre dans un monde virtuel sans aucun travail productif. Comment appellerez-vous cet argent produit sans travail ? Je vous laisse le choix des mots, mais j’appelle traître et déserteur quiconque, en ayant connaissance, ne dénonce pas l’abjection du système.
Je vous laisse seulement réfléchir sur la définition du mot dans le dictionnaire Robert: «Spéculation: opération financière qui consiste à profiter des fluctuations du marché (cours des valeurs et des marchandise) pour réaliser un bénéfice.»
Puis ouvrez la petite fenêtre du mensonge de votre télévision et vous entendrez que: «le pays va bien!» Qu’importent en effet quelques milliers de chômeurs, de «sans domicile fixe», de foyers vivant au dessous du seuil de pauvreté, d’une délinquance croissante, d’une jeunesse déboussolée ! L’essentiel c’est que la Bourse va bien, car on y joue sur les valeurs fictives de la spéculation au lieu d’investir dans l’économie réelle, celle qui crée des emplois en augmentant la production des biens nécessaires et non celle des profits spéculatifs que l’on fait entrer dans le calcul de la «croissance».
Là encore je vous invite à chercher la définition de la «croissance» dans le Traité d’Économie politique qui fait autorité dans tous les instituts officiels et les universités, celui de Samuelson (naturellement Prix Nobel) : le produit national brut (PNB) c’est, dit-il, «l’addition des dépenses de consommation privée, des investissements et des dépenses de l’État.» La «croissance» peut donc résulter d’autre chose que de l’augmentation des achats des ménages pour leurs besoins. Toute catastrophe engendre un bond de la croissance; qu’il s’agisse du naufrage de l'Amoco Cadix ou de l’Erika, ou des milliers de morts dans les accidents de la route, ils feront monter vertigineusement la «croissance» par «l’addition» (comme dit Samuelson) des factures des carrossiers, des cliniques, des pompes funèbres, des services de déblaiement et des subventions de l’État.
La « croissance » augmente. Le pays va de mieux en mieux.

La drogue, encens du « monothéisme du marché »
Ce suicide de l’Occident est imposé par ce que Le Monde du 1er octobre 1993 appelait le «national-libéralisme» américain, qui exige l’effacement du rôle de l’État chez ses vassaux d’Europe, chez ceux du Sud et de l’Est, et ôte toute signification à la vie des personnes.
De là découlent toutes les conséquences morales pour nos peuples, et surtout pour notre jeunesse: échapper à tout prix à ce monde invivable du «monothéisme du marché» privant la vie de son sens.
De 57 en 1964, et 101 en 1965, les arrestations pour usage ou trafic de drogue sont passées à 66.000 en 1992. Croissance explosive: tandis que pendant ces vingt-cinq ans, la consommation de tabac augmentait d’un tiers et que celle des tranquillisants sextuplait, celle de la drogue a été multipliée par 600!
La montée de la drogue en France, comme dans le reste de l’Europe, est, dans une large mesure, l’expression d’un désir de fuite des jeunes hors de la société. En 1988, l'INSERM (Institut National de la santé et de la recherche médicale) évaluait le nombre des toxicomanes à cent quatre-vingt mille. « En 1990, les pays de la CEE ont consommé 67 tonnes de cocaïne pure et 32 tonnes d’héroïne[23]. »
La situation est encore pire aux Etats-Unis; selon une enquête de 1988, vingt-trois millions d’Américains ont pris de la drogue au cours du mois précédent. Dans les grandes métropoles, la situation est critique – New York abrite six-cent mille drogués – et la combinaison de la drogue, du racisme et du chômage crée un terreau extraordinairement favorable à la criminalité.
Les morts par overdose sont en progression fulgurante : «Plus de 2.000 morts, toutes substances confondues, aux Etats-Unis en 1984, 189 décès par overdose d’héroïne en 1986 en Espagne contre 34 cinq ans plus tôt. Progression constante en Italie où l’on enregistrait plus de 800 overdoses dues à l’héroïne pour la seule année 1988[24]
En France, Rémy Halbwax, ancien secrétaire général de l’Union des syndicats catégoriels de la police (USCP), dans son livre Justice pour la police assure: «Les services de police spécialisés estiment que la quantité de produits qu’ils parviennent à intercepter (31 t de cannabis, en 1982, 209 kg d’héroïne, 122 kg de cocaïne, 28.389 doses de L.S.D.) représente environ 2% de la drogue en circulation[25]
« Les jeunes commencent à se droguer entre 14 et 16 ans (les moins de 13 ans représentant 6,5% des cas) avec du haschisch (56,4%), de l’alcool (18,4%), des médicaments (4,3%) , des solvants (3,5%) et passent généralement aux drogues «dures» vers 18 ans[26]. »
Il y a trois millions de toxicomanes chroniques aux Etats-Unis et vingt millions de drogués occasionnels, et le chiffre d’ affaires de la drogue y est aujourd’hui du même ordre de grandeur que celui de l’automobile et de l’acier.
La drogue est devenue l’encens de la nouvelle Église du monothéisme du marché.
« Un Français sur cinq, âgé de douze à quarante-quatre ans, a fumé ou fume du haschisch. Tel est le résultat d’une enquête SOFRES effectuée du 12 au 26 mai 1992[27]. »
« Le nombre de consommateurs réguliers de cannabis et de ses dérivés (résine, marijuana, etc.) est évalué à 1 million de personnes sur le territoire français, et la SOFRES (Institut de sondage, NDLR) a récemment estimé que les fumeurs occasionnels étaient environ 5 millions[28]. »
Le marché mondial du cannabis et de ses dérivés se répartirait pour 19% en Europe, 80% aux Etats-Unis, et 1% dans le reste du monde.
« Aujourd’hui, l'économie des drogues occupe une place stratégique dans l’économie mondiale en raison de l’importance du marché et de la croissance continuelle de la demande[29]. »
« L’importance des sommes en jeu interdit tous les procédés artisanaux traditionnellement employés par les milieux pour «blanchir» l'argent. Dans le cas de la drogue, la complicité du système bancaire international est indispensable, à un lieu ou à un autre […] Et il est clair que le blanchiment s’opère à l’abri des paradis fiscaux[30]. »
« La production et la commercialisation des stupéfiants est, en termes économiques, une création de richesses qui ne peut pas ne pas intéresser les institutions bancaires[31]. »
« Avec un chiffre d’affaires annuel estimé à 1.600 milliards de francs, le trafic de drogue correspond à des profits estimés à quelques 500 milliards de francs. …A titre de comparaison, le budget de la France est de 1.200 milliards de francs. .ce qui veut dire que le bénéfice du trafic des stupéfiants représente un peu moins que la moitié du budget français[32]. »
« Instrument au service de la propagande, arme de déstabilisation ou de domination, la drogue peut se révéler un précieux outil dans la panoplie stratégique des superpuissances[33]. »
« La question de l’opium ne peut être clairement cernée sans un regard sur les relations entre la Turquie et les Etats-Unis[34]. »
Nous avons déjà vu qu'au nombre des catastrophes qui se sont abattues sur la Russie avec la destruction de l'Union soviétique figurait l'envol de l'usage des stupéfiants. Le dirigeant du Bureau de lutte contre le «narco-business», Valentin Dimitrievitch Rochtchine, écrit: « La drogue est en train d’exploser dans l’ensemble de la CEI. Sur tout le territoire de l’ancienne Union soviétique, près de 14% de la population sont touchés par la drogue: drogués ou utilisateurs occasionnels, producteurs, dealers, colporteurs et laveurs, ou bénéficiaires de l’argent du trafic. » En Ouzbékistan la police annonce que les surfaces cultivées en pavot ont été multipliées par six: 150 ha en 1991, et 1.000 ha en 1993. L’opium d’Afghanistan (devenu, en 1993, le premier producteur mondial) pénètre largement en Russie. On trouve des pavots géants dans la zone de Tchernobyl, des dizaines de milliers d’hectares de cannabis sauvage dans la vallée du Tchou au Kazakhstan, des cultures irriguées d’opium en Ouzbékistan et au Tadjikistan[35]

La mort comme jeu d’enfant
Une forme plus insidieuse mais plus rentable encore de l’évasion d’un monde invivable, est la création d’un autre monde, d’un monde virtuel, plus violent encore et plus pervers que «le monde réel», par les jeux informatiques dont la consommation fait une véritable explosion dans les pays «riches» (peuplés de millions de pauvres).[36] .
Il existait déjà de nombreux jeux informatiques, interactifs, essentiellement fondés sur le développement de la violence, (de façon si évidente que, par exemple, les chefs militaires américains s’en servaient pour l’entraînement de leurs soldats en vue d’une guerre «zéro mort» pour leur armée).
Le colonel David Grossman, qui donne des cours sur la psychologie du meurtre à des Bérets verts et à des agents fédéraux, montre l’efficacité de ces jeux pour l’entraînement militaire.
Ainsi, le Marine Corpse a obtenu les droits sur le jeu informatique Doom qu’il utilise pour l’entraînement tactique. L’armée, quant à elle, a choisi le Super Nintendo.
Mais, pour nous en tenir aux dernières innovations du genre, nous n’évoquerons que la récente invasion du pokemon (acronyme de pocket monster, c'est-à-dire «monstres de poche»). Le mécanisme est si sophistiqué et, en même temps, de maniement si aisé, qu’il peut être utilisé par des enfants à partir de cinq ans.
Il consiste à fournir toute une gamme de machines à tuer beaucoup plus perfectionnées que les traditionnelles armes à feu ; des flammes, des éclairs, des chocs sismiques, des ondes magnétiques, etc., dans des exercices de combat, d’agression, d’attaque, de revanche, bref de destruction d’un adversaire quel qu’il soit.
Un garçon de six ans aime ce jeu, -dit -il – « parce qu'en se battant on devient plus fort et qu’on peut écraser n’importe quel ennemi. Par exemple, il faut détruire le pauvre parce que celui-ci va devenir un voleur et tuer. Il faut donc le tuer. »
Dans l’un des scénarios Basketball diaries, un garçon pénètre dans une salle de classe et tue plusieurs élèves et un professeur. Le crime ayant été effectivement commis par un écolier, Michael Carmeal, la police, examinant son ordinateur, découvre qu’il était passionné de Doom («Destin de mort», jeu qui consiste à passer rapidement d’une cible à l’autre et à tirer sur ses «ennemis» en visant surtout la tête. Le jeune garçon, reproduisant exactement cette situation et ce comportement, où le plaisir de tuer en masse constitue le but ultime du scénario, avait réussi à toucher huit personnes, cinq à la tête, trois à la poitrine avec seulement huit balles, ce qui est un exploit même pour un tireur professionnel militaire ou policier entraînés, (en Amérique, nous l’avons vu, sur les mêmes appareils). Dans le Pokemon, il suffit seulement de pousser un bouton et c’est la victoire avec « Zéro mort », comme dans l’armée américaine.
C’est là le thème général des «films d’horreur» (les plus recherchés dans les magazines vendant aussi des cassettes vidéos). Dans l’un des dessins animés de Pokemon où des enfants dirigent et combattent les «monstres» une fillette, Sabrina, est attaquée par le «mangeur de vie»; un pokemon de gaz qui lui aspire l’âme. Survient un personnage qui vole cette âme et disparaît. Dans un dialogue filmé, commentant l’événement, un groupe d’enfants décide ce qu’il faut faire: «Nous avons juré de prendre notre revanche ; nous combattrons jusqu’au bout car on a mangé son âme mais elle peut encore nous dire où elle est par télépathie.»
Les parents de trois petites filles tuées selon des scénarios analogues, à Paducah, ont porté plainte contre les sociétés faisant ainsi des enfants de petites machines à tuer : ils accusaient douze sociétés parmis lesquelles I.D.Software Nintendo in America, Sonny international, Interactive studios of America, de même que les producteurs de films Time Warner Polygram film, Entertainment, et deux fournisseurs d’Internet, agents particulièrement éminents de cette oligarchie satanique.
86% des films de violence et d’horreur présentés par la télévision française sont d’origine américaine. Il est aisé de le vérifier en lisant seulement les programmes, ou, mieux encore, en regardant les clips publicitaires annonçant leur projection et dans lesquels, en trente secondes, l’on est témoin, en moyenne, de trois à quatre coups de feu.
Il s’agit là d’une entreprise systématique et particulièrement rentable de désintégration humaine, spirituelle, qui se traduit par la décadence des mœurs à tous les niveaux des loisirs et des arts.
La violence endémique de ce pays exerce ses ravages même au niveau des loisirs de la jeunesse.
Le docteur Relman a créé, avec des amis de Haight Ashbury Free Clinics, une «Rock Med», c'est-à-dire une organisation médicale se donnant pour tâche de soigner sur place les blessés au cours des concerts Rock. Il décrit ainsi son action qui se déroule en Californie, à San José :
« Les Larsens font trembler les gradins dans le stade de basket de l’université de l’État. Dans ce concert de hard-rock les accords de guitare sont comme autant de coups de marteau, et le sol n’est qu’un tourbillon de jeunes en sueur qui se jettent les uns contre les autres. Dans une pièce des coulisses, David Relman enfile une paire de gants en caoutchouc et commence à faire le tri parmi les accidentés. Voilà un jeune homme de vingt et un ans, torse nu, avec des marques de morsures fraîches sur le crâne. Il a eu le bras écorché par un ranger. Un os de sa main gauche semble cassé. Et voici aussi un jeune arborant un T-shirt de la «Federal Correctional Institution» ; il exhibe une coupure sanglante au dessus de l’œil gauche.
Dr Dave, comme il se présente lui-même à ses nouveaux patients, est un «rock doc». Sa spécialité, une fois le soir tombé, est de soigner les abîmés et les estropiés des concerts de rock. Nez cassés, contusions et foulures sont l’ordinaire de ses nuits. Les blessures graves à la tête et les fractures ne sont pas rares[37]. »
Les contrastes extrêmes qui existent au sein même de la société américaine, entre le luxe insolent des uns et l’exclusion des autres, engendrent une violence généralisée sans commune mesure avec les explosions sporadiques de nos banlieues, qui en sont une préfiguration. A New York, d’après les statistiques de la police, il y a en moyenne un assassinat toutes les quatre heures, un viol toutes les trois heures. Toutes les trente secondes, un attentat est commis. New York n’arrive pourtant qu’à la dixième place des villes américaines pour la criminalité. En 1989, vingt et un mille assassinats ont été recensés pour l’ensemble des États-Unis. Plus d’un million d’Américains sont en prison, et plus de trois millions sous contrôle judiciaire.
Le dernier rapport du Children’s Defence Fund principale organisation de protection de l’enfance aux États-Unis, décrit la courbe, sans cesse montante, des morts par armes à feu chez les enfants et les adolescents. De 1979 à 1991, près de cinquante mille Américains de moins de dix-neuf ans (neuf mille âgés de moins de quatorze ans, quarante mille âgés de quinze à dix-neuf ans) ont été tués par balles, accidents et crimes confondus. Au cours de la même période, les arrestations d’accusés âgés de moins de dix-neuf ans, pour meurtre et homicide, ont augmenté de 93%, dit le rapport. Ce sont le plus souvent des jeunes qui tuent ou blessent d’autres jeunes. Après les accidents (n’impliquant pas d’armes à feu) et le cancer, le meurtre est maintenant la troisième cause de mortalité chez les adolescents.
En 1994, il y avait, aux États-Unis, 2.800 condamnés à mort qui attendaient parfois depuis douze, quinze ou dix-huit ans leur exécution. Par souci de rentabilité on «regroupe parfois les exécutions dans la même journée»[38].
L’actuel gouverneur du Texas, fils de Georges Bush, a ordonné dix exécutions en janvier 2000. Ce «Serial Killer», ce «tueur en série», a été élu à la présidence de la République !
La multiplication des «erreurs» judiciaires est telle que les test ADN ont déjà permis de gracier soixante-douze innocents. La barbarie est d’autant plus révoltante qu’il existe, aux États-Unis, une inégalité criante entre ceux qui peuvent payer un avocat et ceux qui ne le peuvent pas. Les exécutions se font, selon les États, par l’électrocution, la chambre à gaz, ou la piqûre mortelle, sous l’œil des caméras et de « spectateurs ».
Là encore, la diversité des jugements dépend, non seulement de la couleur de la peau, mais de la fortune. L’option préférentielle pour les riches conduit à leur donner le pouvoir: John Jay, premier président de la Cour suprême des États-Unis et président du Congrès continental, considère que « par exemple, en 1988, être élu sénateur ou membre de la Chambre des représentants, exigeait un budget publicitaire de 500 millions de dollars (dix fois plus qu’en 1970) »
Les deux tiers des condamnations à la peine de mort aux États-Unis font l’objet d’une révision à la suite d’une procédure d’appel, selon une étude réalisée par des chercheurs de la faculté de droit de l’université Columbia de New York et publiée le lundi 12 juin 2000. Cette étude établit qu’une grande majorité des condamnations à mort ayant fait l’objet d’un recours entre 1973 et 1995 ont débouché sur des résultats inattendus: à la suite de ces révisions, environ 7% des personnes rejugées, ont été déclarées innocentes tandis que 82% recevaient des peines moins lourdes.
Cette étude démontre, selon ses auteurs, que « c’est un système qui est conçu pour engendrer des erreurs et qui ensuite tente de les corriger »[39].
A l’occasion du congrès de la Ligue des droits de l’homme, samedi 10 juin 2000, à Paris, le président de l’Assemblée nationale, Raymond Forni, a prononcé un discours virulent contre la peine de mort aux États-Unis. « Ce n’est plus l’esclavage, ce n’est plus la ségrégation raciale organisée, c’est la peine de mort. Injection, fusillade, électrocution, gazage, pendaison: au pays de l’innovation, l’invention est aussi au service de là mort […]. Étrange pays que celui où la religion est omniprésente, sinon obsédante, où la confiance en Dieu figure sur les billets de banque […] mais où la rédemption n’a pas droit de cité », a lancé l’ancien rapporteur de la loi de 1981 abolissant la peine de mort.
M. Forni a, par ailleurs, critiqué le « silence » du, « candidat démocrate » à la Maison Blanche, Al Gore: « Face à cette sauvagerie, qu’a dit, qu’a fait, que propose le candidat démocrate ? Rien. Un silence gêné ou une approbation tacite de l’adversaire [George W. Bush, républicain] [40] ?»
L’on comprend pourquoi les électeurs sont si convaincus du non-sens de leur vote, qu’on arrive parfois à 70% d’abstentions.
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Il est remarquable que, parmi toutes les analyses qui ont été faites, en France, sur la volonté américaine de domination mondiale, et, plus encore, sur le danger, pour l’Europe et le monde, d’en subir le colonialisme, de détruire le monde par la faim des uns et le chômage des autres, par une aggravation continue de l’inégalité entre le Nord et le Sud, et, même dans les pays privilégiés, entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas, aucun ne se fonde sur une vision du monde dans sa totalité.
Du livre précurseur de Claude Julien sur L’Empire américain (1960) à l’humour impitoyable et érudit de Susan George: Le rapport Lugano (2000), tous ceux qui ont étudié en profondeur les étapes de la destruction du monde en déroulant les conséquences de l’hégémonie américaine et la désorientation de l’Europe qui en devient de plus en plus un appendice colonial, aucun n’a envisagé le monde dans sa totalité. Les uns ont, avec force, dénoncé l’agonie de l’Afrique, ou la sujétion mortelle de l’Amérique latine. Aucun n’a fait entrer l’Asie dans son tableau d’ensemble. Même la tentative de Georges Corm, intitulée L’Europe et l’Orient, s’arrête au Liban et au Proche Orient.
La Chine compte pourtant un milliard deux cent mille habitants, l’Inde un milliard. Maurice Allais, dans sa profonde critique de La Mondialisation (1999) note bien au passage (p.249) que «les pays asiatiques, et la Chine en premier lieu, constituent les pôles de croissance majeurs qui offrent à l’Occident des possibilités de développement et de richesse», mais ne consacre à ces «possibilités» pas une seule page de ses analyses.
Noam Chomsky, dont toute l’œuvre politique constitue le plus formidable édifice d’analyse de l’état du monde sous le « talon de fer » des États-Unis, nous donne de merveilleuses analyses sur l’Amérique Latine en particulier, mais à peu près rien sur l’Asie.
Même Paul-Marie de La Gorce, l’un des analystes les plus clairvoyants en géopolitique (avec le général Gallois), dans son si lucide ouvrage sur Le dernier Empire (LE XXIe sera-t-il américain? 1996) discerne la montée de la catastrophe, mais ne consacre que douze pages à la Chine et à l’Inde[41].
Nous pourrions faire des remarques analogues sur des livres pourtant passionnants et révélateurs comme L’Amérique totalitaire, de Brugnon Mordant (préfacé par Pierre Salinger) (1998) ; Le Monde malade de l’Amérique, de Philippe Grasset (1999) ; L’Amérique mercenaire », d’Alain Joxe (1992) ; L’Europe déraisonnable, de Philippe de Saint Robert (1992), Le grand Désordre du monde, de Carfantan (1993) ; L’Horreur économique, de Viviane Forrester (d’autant plus médiatisé que relatant les désordres, elle n’apporte aucune suggestion pour les résoudre ni désigner les responsables). Jusqu’au passionnant et cynique Turbo-capitalisme, de l’Américain Luttwak, montrant la logique inhumaine du système américain, mais la prétendant inéluctable, souhaitable et généralisable au monde-entier.
Ce ne sont là que quelques exemples, particulièrement marquants de cette vision du monde «officielle», c’est à dire imposée par les maîtres du jeu, appelant par exemple «communauté internationale» le club des anciens colonialistes européens. Ils étaient tous solidaires au Kosovo au XXe siècle, comme ils l’étaient, au XIXe siècle, dans la «guerre de l’opium» pour imposer cette drogue à la Chine. Ils mettaient à feu et à sang le cœur de l’Europe : la Yougoslavie, détruisant l’économie d’un pays européen et préparaient le chômage qui en résultera, ainsi que des milliers de victimes européennes pour «zéro mort» dans l’armée américaine. L’Inde, la Chine, l’Argentine ou le Brésil, l’Afrique entière, c’est à dire plus des trois quarts de l’humanité, n’étaient pas comptés dans la « communauté internationale » et n’avaient pas à y dire leur mot.
Telle est la cause de la catastrophe imminente: cinq siècles de colonialisme ont conduit à la division du monde et à un déséquilibre mortel.
Dans les pays «colonisés» les cultures vivrières, qui assuraient une certaine sécurité et autonomie alimentaire aux autochtones, a été balayée par les colonisateurs qui ont fait de ces pays des appendices de l’économie de la métropole, en y implantant de force la monoculture ou la mono-production dont leurs propres entreprises avaient besoin. La destruction des techniques locales permettait à la fois d’ouvrir un marché pour les industriels de la métropole et une main d’œuvre à bon marché pour leurs propres ateliers.
Stuart Mill, en Angleterre, et Jules Ferry, en France, furent les plus brillants théoriciens de ce colonialisme et en révélèrent les véritables objectifs. Voici, par exemple, la conclusion du discours de Jules Ferry à la Chambre des députés le 2 juillet 1885. « Oui, nous avons une politique coloniale, une politique d’expansion coloniale qui est fondée sur un système »[42]. «Les nations au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent; ce n’est pas «par le rayonnement pacifique des institutions […] Il faut que notre pays se mette à même de faire ce que font tous les autres, puisque la politique d’expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l’heure qu’il est toutes les puissances européennes, il faut qu’il en prenne son parti[43]
La seule différence avec la situation actuelle, c’est que l’argument politique de Ferry a perdu sa force: les rivalités subsistent mais elles ne s’exercent que dans le cadre étroit du colonialisme unifié sous la férule des États-Unis qui ont, comme l’a précisé Hungtinton dans son livre Le Choc des civilisations, fixé comme cibles principales de la « civilisation occidentale » la « collusion islamo-confucéenne », désignant ainsi comme ennemis primordiaux l’Iran et la Chine[44].
Même la première réponse directe à la provocation mondiale de Huntington, le livre capital de Mahdi Elmandjra, Première guerre civilisationnelle, limite ses critiques à l’agression idéologique de Huntington contre le monde musulman[45].
Ce qui est aujourd’hui le problème central, non pas seulement de l’avenir de l’empire américain et de ses vassaux européens, mais de la terre entière, c’est que le rééquilibrage du monde et son unité exigent la réparation de cinq cents ans de colonialisme qui, par ses spoliations, ses gaspillages et ses massacres, a engendré la grande division qui condamne la moitié du monde à la faim et au chômage.
De là découle la dérision de la «dette» et des Shyloks qui en exigent, sous conditions politiques, le paiement, au F.M.I. et à la Banque mondiale. Quand donc sera payée la dette de l’Occident? Les tonnes d’or et d’argent volées à l’Amérique latine, les millions d’hectares de forêts volés par les États-Unis, le pillage du coton indien et égyptien ainsi que la destruction de l’industrie textile indienne par l’Angleterre pour garantir des débouchés à ses entreprises textiles de Manchester? Comment seront réparées par la France, l'Angleterre, l’Espagne, les ignominies irréparables de la Traite des nègres à une Afrique devenue exsangue par ces enlèvements?
Quand sera-t-il mis fin aux échanges inégaux «qui ont permis les rackets des matières premières de trois continents par les pillards d’Occident (ceux de la péninsule européenne, et ceux de l’Amérique du Nord.)? Quand enfin seront payés les brevets d’invention de la poudre, de la boussole, du papier et de tout ce qui a permis la prétendue «Renaissance de l’Europe» ?
Tels sont aujourd’hui, les principales initiatives économiques qui permettraient un véritable équilibre et une véritable unité du monde.
Cette véritable mutation, même si les conditions historiques n’en sont pas réalisées à la lettre, exige d’abord une mutation des mentalités ethnocentriques et une renaissance des sources de la plus lointaine et de la plus profonde spiritualité.
Si le XXIe siècle continue sur de telles dérives, c'est à dire, s’il est conduit, comme le XXe siècle (le plus sanglant de l'histoire) par des aveugles tout puissants, il ne durera pas cent ans et nous sommes en train d'assassiner nos petits enfants.
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La faillite de la mondialisation est générale et la situation de la Corée du Sud en est un exemple : dès le début de 1998 le nombre des suicides a augmenté de 200 %. Le nombre des maladies mentales est en augmentation constante ainsi que celui des enfants abandonnés dans les crèches par des femmes réduites à la misère par le chômage. Le nombre des divorces et la délinquance atteignent des records.
En Indonésie, le régime de Suharto, qui avait commencé, en 1966, par le massacre de cinq cent mille communistes, se termine aussi dans le sang avec les exactions de l'armée au Timor.
L'écroulement des pseudo-dragons, enfanté artificiellement par un Occident aux abois, victimes du régime de monothéisme du marché qui a conduit à la cassure du monde entre le Nord et le Sud, entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas, est la conséquence inéluctable de la contradiction fondamentale du système : par suite de cinq siècles de colonialisme et de cinquante ans de colonialisme unifié imposé à Bretton Woods en 1948, par l'hégémonie du dollar, les deux tiers du monde, exploités et affamés par les «maîtres du monde» sont devenus insolvables. Le licenciement des ouvriers et le chômage endémique dans les pays obsédés par la «croissance» des profits, et l'éviction des paysans dans les deux tiers du monde n'ont cessé de rétrécir la demande sur les marchés.
Non ! l'avenir n'est pas d'avance écrit dans l'Asie millénaire par les « play-boys des business-schools ». Pendant des millénaires les pays d'Asie n'ont pas vécu selon les schémas historiques conçus par l’Europe l'esclavage, la féodalité, le capitalisme, le socialisme. Karl Marx n'avait d'ailleurs pas construit une «philosophie de l'histoire» avec de telles étapes rigides, inéluctables et valables en tout temps et en tous lieux. Déjà dans L'Idéologie allemande, il notait que cette succession de régimes historiques était valable tout au plus dans les pays méditerranéens, qu'elle s'appliquait déjà mal pour les pays germaniques et nordiques. Plus tard, bien qu'en son temps l'histoire des pays non occidentaux fût mal connue, il faisait l'hypothèse d'un «mode de production asiatique» qui n'entrait pas dans les cadres du schéma dogmatique. En 1931 encore les théoriciens sectaires de l'Union soviétique excluaient cette catégorie et ils me reprochaient même, en 1962, au «Centre d'Études et de Recherches marxistes», que je dirigeais alors à Paris, d'avoir appelé à son étude nos meilleurs spécialistes comme Godelier, Chesneaux, Suret Canale et d'autres.
Il arrive, aujourd'hui encore, à la plupart des professeurs livresques d'Occident, de ne pouvoir échapper à leur ethnocentrisme et de confondre le système indien des castes avec ce que fut l'esclavage occidental, ou de parler de féodalité chinoise. Il importe plus que jamais, pour comprendre le monde d'aujourd'hui, de s'attacher au contraire à la spécificité des modes de développement des pays non occidentaux, même lorsque les analogies sont tentantes: pour ne prendre qu'un exemple, si le système soviétique a confisqué les terres des gros propriétaires terriens, le Japon du Meiji a procédé autrement si bien que les anciens grands propriétaires terriens se sont mués, en moins d'un siècle, en capitaines d'industrie, avec des structures différentes des rapports avec la main d’œuvre industrielle.

Sans corruption, drogue et jeux mortels, que faire ?
Il importe, à cette étape du bilan provisoire de la faillite mortelle de la planète qui se profile à un proche horizon, de s’interroger sur les responsables du naufrage. La faillite est due à la gestion désastreuse par les mécanismes aveugles du marché les pouvoirs suprêmes sont aux mains d’une poignée d’affairistes requins.
Il est peu de temps pour fixer clairement notre but et esquisser les moyens de les atteindre. D’abord, il s’agit d’éviter le naufrage: le vaisseau «Terre» donne dangereusement de la bande parce que son système de chargement est aberrant. Un quart du monde joue à bâbord sur le pont au ping-pong de la spéculation; les trois quarts, devenus insolvables, après un siècle de colonialisme et cinquante ans de ravages du FMI - bras séculier des Etats-Unis -, sont entassés à tribord dans les soutes.
Le but unique des premiers est de faire payer aux rentiers de ce long pillage, les dettes qu’ils ont rendues inéluctables par leur écumage des richesses du monde.
Les solutions à « visage humain »sont pourtant évidentes; le monde demeurera « cassé » entre ses quarante-quatre millions de chômeurs (sans compter les «exclus») du monde occidental, et ses milliards de mourants de faim dans le «Tiers monde», tant que le système impliquera que les uns demeurent insolvables sur le marché de la consommation et les autres des inutiles sur le marché du travail.
- la première mesure est l’abolition de la dette chez les pays dont les anciens colonisateurs sont en réalité, les véritables débiteurs pour les pillages et les exactions qu’ils y ont exercés pendant des siècles.
Jusqu’ici les prétendues «abolition de la dette» n’ont été que «leurres».par exemple lorsque, en juin 1999, les 7 pays les plus industrialisés ont décidé «l’annulation de la dette des États les plus pauvres», c’est moins de 2% de la dette totale du Tiers Monde qui a été effacée.
En réalité»il existe trois grandes catégories de détenteurs de la dette extérieure des pays de la périphérie: les institutions multilatérales (principalement le FMI et la BM), le secteur privé (banques, fonds de pension mutuel, fonds...) et les États (principalement les plus industrialisés). Les membres du G7 n’envisagent en aucun cas une annulation des dettes dues au FMI et à la BM. Or, dans l’écrasante majorité des pays d’Afrique subsaharienne, ces dernières oscillent entre 30% et 75% du total. Le FMI et la BM ne renoncent jamais à une créance. L’effort maximal qu’ils consentent consiste à créer un fond (appelé trust fund ou fonds fiduciaire) alimenté par les pays membres, et dans lequel ils puisent pour se rembourser.
En ce qui concerne la dette extérieure détenue par les institution privées, aucun chef d’État ne propose de mesures d’annulation. Or elle représente plus de 50% de la dette des principaux pays d’Amérique latine et de l’Asie du Sud-Est. Les mesures d’annulation éventuelles ne concernent que les dettes d’État à État, négociées avec le Club de Paris, qui agit comme un cartel des créanciers face à des gouvernements qui doivent se présenter séparément[46].
Par contre il est monstrueux que le pays le plus endetté du monde (et le plus riche), les Etats-Unis, ne soit pas sommé, par une véritable «communauté internationale» (celle, par exemple, de l’Assemblée générale de l’ONU) de rembourser les 3.000 milliards de dettes contractées pour que la partie la plus riche de sa population puisse vivre au dessus de ses moyens.
Ceci permettrait déjà - non de résoudre fondamentalement le problème de la cassure du monde - mais au moins, dans l’immédiat, de répondre aux besoins les plus urgents des victimes des déprédations des «grands» et des famines les plus dévastatrices.
La deuxième mesure, urgente elle aussi, mais visant des objectifs à plus long terme, serait de tenir un «contre-Bretton Woods ». Depuis un demi-siècle, Bretton Woods a permis, pratiquement, par la dévaluation ou les surévaluations du dollar, de faire des Etats-Unis, et des affairistes jouissant de l’appui et de la caution du Trésor fédéral (des vampires internationaux comme Soros par exemple) de spéculer sur toutes les monnaies du monde et de gonfler une «bulle financière » gigantesque (qui peut à chaque instant crever et plonger le monde entier dans le chaos).
La solution drastique, mettant fin à ce brigandage financier international, c’est, à l’inverse de Bretton Woods, d’enlever au dollar le privilège d’être l’équivalent de l’étalon or. Imposer que les tractations économiques avec tous les pays du monde puissent se faire dans la monnaie de ce pays, après, bien entendu, avoir défini des parités fixes permettant, d’une part, d’en finir avec les échanges inégaux, et, d’autre part, d’inciter (sinon d’obliger) les investisseurs à investir dans les pays fournisseurs et d’y investir en fonction des besoins propres à ce pays, et non avec la seule préoccupation mercantile et prédatrice d’écouler dans ces pays leurs stocks d’armements, leurs surplus invariablement conçus pour répondre aux besoins des Etats-Unis ou de l’Europe, et ne correspondant ni à la culture, ni à l’histoire, ni aux besoins réels de ces pays.
Ce « contre - Bretton-Woods », pourrait, en vertu des mêmes préoccupations, ouvrir la possibilité, pour un grand nombre de ces pays (d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie) d’acquitter leurs achats par voie de troc, et pour répondre à leurs propres besoins de développement « endogène » (et non importés ou imposés), et utiliser les richesses de leur sol et de leur sous-sol, qui ont, jusqu’ici, été «écrémées» (lorsqu’ils étaient plus facilement et aux moindres frais accessibles), pour fournir des «matières premières» aux entreprises des prédateurs coloniaux ou post-coloniaux.
La troisième mesure, indispensable pour atteindre l’objectif majeur de l’unité symphonique du monde, est de taxer très lourdement toute transaction financière d’ordre spéculatif (concernant par exemple les devises, le cours des matières premières, les «produits dérivés», ou tout autre) à un taux si élevé qu’il rende pratiquement impossible de telles opérations.
Une première suggestion en ce sens a été faite sous le nom de « taxe Tobin» (du nom de l’économiste qui l’avait suggérée). Elle pourrait s’étendre non seulement au trafic des devises (seules visées primitivement par Tobin), mais à toutes les transactions financières internationales dans le sens qu’a proposé l’économiste Howard Wachtel. L’une des associations principales organisatrices des manifestations de Seattle, l'ATTAC (association pour la taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens) s’est créée pour lutter contre cette circulation anarchique des capitaux. Le grand économiste Keynes proposait même que l’achat d’un titre financier soit «permanent et indissoluble pour mettre fin au jeu mortel du Fonds monétaire international » (FMI) qui constitue l’organisme le plus criminel du monde.
Susan George, dans Le Monde Diplomatique de janvier 1999, donnait un aperçu des ravages les plus récents engendrés par les exigences politiques («ajustements structurels») que le FMI impose pour consentir ses prêts.
Depuis le krach de l’hiver 1994-1995, la moitié de la population mexicaine est tombée au dessous du seuil de pauvreté. La malnutrition et la famine reviennent au galop en Indonésie. En Russie, dix ans de libéralisme économique ont davantage fait pour salir la réputation du capitalisme que soixante-dix ans de propagande du «socialisme réel» : l’espérance de vie des hommes a chuté de sept ans - fait sans précédent au XXe siècle. En Corée et en Thaïlande s’étend le phénomène des «suicides FMI» : des travailleurs, licenciés et sans ressources, entraînant dans la mort femme et enfants, faute de pouvoir les faire vivre.
Les taxations lourdes des transactions financières rendraient ainsi obligatoires les investissements dans l’économie réelle, en particulier pour créer les infrastructures nécessaires d’abord pour désenclaver des régions parfois désertiques mais dont le sous-sol (si l’irrigation en était assurée), et les transports pourraient contribuer largement à l’autosuffisance alimentaire du monde, (en particulier dans les républiques d’Asie Centrale, pratiquement isolées du commerce mondial par l’absence de voies de communication routières, ferroviaires ou fluviales à grand débit).
Des problèmes semblables avec des solutions similaires se posent en Afrique et même en Amérique latine.
Cet ensemble de mesures permettrait un véritable « remodelage du monde », et, au delà des mutations économiques et infrastructurelles, permettrait enfin d’en réaliser les fins culturelles et spirituelles en mettant à la portée de tous, les moyens de mettre au service de cette «unité symphonique du monde» toutes les richesses humaines que chaque enfant porte en lui.
Pour enrayer la marche à la mort il est nécessaire, dans le monde entier, de créer des centres nouveaux de pouvoir, qui ne seront plus ceux des politiciens, entièrement corrompus, ni ceux des Églises, dont les messages sont devenus incapables de mobiliser les peuples pour l’œuvre constructive de l’unité. Elles se gargarisent encore des rassemblements semblables à ceux des musiques pathogènes où une jeunesse qui n’a plus de buts collectifs vient « s’éclater » dans les évasions collectivement individuelles de la drogue, du bruit, de la gesticulation hystérique, souvent meurtrière, qu’il s’agisse des prédicateurs américains télévisés, ou des Woodstocks pontificaux attirant des foules comparables à celles des Madonnas ou des Hallidays. Des explosions de violences sans but se multiplient, où l’odeur du sang est devenue l’encens des nouvelles formes de la foi, et où les agents internationaux peuvent apporter aisément le renfort de leurs provocations pour diviser les forces et leur faire oublier l’ennemi principal : « le dernier empire ».
Combattre ces dérives ne peut consister à employer des méthodes de violence physique ou d’anesthésie morale, propres aux pourrisseurs du siècle nouveau comme du précédent.
Mais de paralyser, sans violence, leur oeuvre de désintégration, en visant ce qui est le cœur sans cœur de leur activité : le marché.
C’est au point central - et le plus faible du système - qu’il faut attaquer le porteur du cancer mondial. L’économie américaine ne pourrait pas supporter la perte d’un ou deux milliards de ses clients, surtout dans les secteurs les plus sensibles : l'armement, le cinéma, l’informatique, les réseaux «alimentaires» tels que le Coca-cola ou les Mc Donalds. Un boycott international peut ainsi bloquer la machine infernale. Il faut que les peuples sachent que chaque fois qu’un de leur dirigeant passe commande d’avions ou de toute autre arme aux Etats-Unis, c’est un traître qu’il faut chasser du pouvoir, qu’il soit un «prince» ou un soi-disant « élu », que chaque fois qu’il refuse d’interdire l’achat et la projection de films, dont 86% enseignent la violence et les techniques de la mort à notre jeunesse, ils ont à leur tète un laquais et un complice des assassins à l’échelle mondiale.
Bien entendu la responsabilité personnelle de chacun est engagée, avec les risques qu’elle comporte: ce n’est pas le bulletin de vote qui pourra résoudre le problème. Dans les prétendues «démocraties occidentales» ce n’est pas seulement la falsification des résultats proclamés qui est le plus grand mal (bien que le nombre des «abstentions » dépasse souvent les 50% car les électeurs ont le sentiment de l’inutilité radicale de leur geste). Pour ne citer qu’un exemple : 70% des décisions politiques capitales, en ce qui concerne la France, ne se prennent pas au Parlement, mais à Bruxelles, c'est-à-dire à Washington. Le fait fondamental, c’est qu’à l’heure actuelle, ce ne sont plus les États, mais le marché, qui commande les décisions majeures, et que les dénommés «chefs d’État» ou «chefs de gouvernement» ne sont que les exécutants du chef d’orchestre international. Les notions traditionnelles et périmées de «droite et de gauche», ont perdu toute signification lorsque le «travailliste » Tony Blair est un «clone » de Mme Thatcher, lorsque, en dehors des rivalités électorales personnelles, les politiques de M. Chirac ou M. Jospin sont aussi soumises l’une que l’autre aux directives d’outre Atlantique; lorsque le chancelier «socialiste» allemand ne rêve plus que d’être le premier chevalier servant, en Europe, de la politique atlantique, et que toutes les forces militaires armées ne sont plus, de l’Irak à la Somalie, de la Bosnie au Kosovo, que des «supplétifs» piétonniers de l’armada américaine dont la victoire - depuis l’humiliation du Vietnam - n’a d’autre objectif que de détruire les peuples d’Europe par des bombardements à partir de la stratosphère pour s’approprier la victoire avec «zéro mort».
Il faut que les peuples sachent aussi, qu’à des niveaux apparemment moins nocifs, chaque fois qu’ils consomment une bouteille de Coca-cola, ils ajoutent un chaînon à la chaîne de leurs servitudes, et détruisent en même temps les fondements de leur autonomie au détriment de la fabrication de boissons locales.
Ce ne sont que quelques exemples, parmi les plus quotidiennement évidents, des possibles méthodes de lutte contre l’asservissement.
Cette lutte ne peut évidemment se mener à partir de «conversions » individuelles et de prédications morales. Mais il appartient aux intellectuels d’analyser et de dénoncer, quels qu’en soient les risques - même médiatiques, politiques et judiciaires - ces techniques de la servitude.

Et surtout, il appartient à la «société civile» de créer ses « contre-pouvoirs» selon les exemples qui ont été donnés d’abord dans le Tiers Monde, par exemple avec les «communautés de base» des théologies de la libération, nées en Amérique latine. Par exemple, les réalisations de Mgr Fragoso : dans la partie la plus pauvre du Brésil, le Sertao, il a réussi, dans les pires conditions (la dictature militaire) à organiser une partie de la province, à partir du bénévolat de paysans et de travailleurs de toutes corporations, en association construisant, de manière autonome, ses routes, ses puits, ses écoles. Ou encore, au Sri Lanka, en collaboration fraternelle entre bouddhistes et chrétiens, de forts lieux de résistance à l’oppression officielle. Ou encore le système de «banques» coopératives, organisées dans les plus pauvres villages de la vallée du Nil, par Hassan el Banna, avant son assassinat, groupant les plus pauvres et les plus faibles pour en faire une force. Ou encore les groupements de producteurs de bananes, en Afrique, autour de Tamba Kounda, pour sortir de la misère séculaire du pays.
Cinq siècles de colonisation et un demi-siècle de ravages du FMI, n’ont pas détruit, au cœur de multitudes innombrables, le sentiment de la communauté et du don de soi, dont la victoire de Gandhi - malgré son martyre final - est l’exemple le plus éclatant.
C’est à partir de telles «communautés de base», fondées sur ce qu’il y a de plus humain dans l’homme, que peut se construire un avenir à visage humain, dans l’unité d’une foi - qu’elle soit en l’homme ou en Dieu - et par delà les fausses barrières des religions et des partis.
C’est un tissu social nouveau qui est ainsi à créer malgré les déchirures et les cicatrices encore saignantes des siècles passés, du dernier surtout. Ce n’est pas une tâche facile ni rapidement exécutable, mais nécessaire à entreprendre dès aujourd’hui, avant qu’il ne soit trop tard, pour conserver notre dignité d’homme.
Pendant des millénaires, à coups de sacrifices, de martyres, de créations, l’humanité s’est constitué une âme. Saurons-nous lui donner un corps ?
Quel est ce lâche qui accepterait d’avance que demain ses fils, d’un siècle mourant, lui crient : Et toi, qu’as-tu fait pour la victoire ?
La seule solution qui ne soit pas illusoire est de lier étroitement les deux problèmes: le chômage et la faim, en cherchant à rendre «solvables» les multitudes du Tiers Monde.
La solution n’est pas simple. Il ne suffit pas d'annuler la dette qui, en effet, condamne les pays dépendants à un recul constant de leur niveau de vie. Il ne suffit pas non plus d’augmenter l’aide, encore qu'aucun des pays riches n’ait jusqu'ici rempli ses engagements qui ne sont pourtant pas une générosité mais une minime réparation des pillages, des destructions et des échanges inégaux de cinq siècles de colonisation. Les diminutions de dettes, les «aides», les prêts, les investissements, passent en effet par les gouvernements, qui sont en général aux mains de dirigeants occidentalisés par leur comportement : maintenir un modèle de consommation de type occidental pour la minorité nantie des villes et pour les dirigeants «collabos» des États-Unis ou des anciens colonisateurs. Il en est ainsi de la plupart des pays d'Amérique Latine, mais aussi de l’Afrique, le Zaïre en étant le symbole – un pays dont le sous-sol et le sol sont d'une extraordinaire richesse, et dont les habitants sont réduits à la misère et à la terreur, alors que son ex-président Mobutu est l'un des personnages les plus riches du monde.
Comment aider ces peuples à retrouver une vie proprement humaine et autonome ? Elle a été détruite par le colonialisme, puis par les prétendues élites autochtones. Celles-ci se sont installées à la place du colonisateur en collaboration avec le FMI qui perpétue la dépendance et la misère des masses. Il faut que l’aide présente quatre caractères :
1°- ne pas passer par les dirigeants politiques, qui la détournent, et que l’on retrouve finalement dans les banques de l’Occident comme dépôts personnels.
 2°- être apportée directement aux peuples, à travers leurs syndicats, leurs coopératives, les communautés de base, avec priorité pour la campagne afin d’atteindre en premier lieu la suffisance alimentaire, condition nécessaire pour mettre fin à la dépendance.
3°- chaque effort d’assistance financière ou technique, doit être consacré à un projet précis, correspondant aux besoins de la communauté concernée.
4°- le remboursement des prêts ne se fera pas en dollars mais en monnaie du pays afin de réinvestir sur place.
Une telle réorientation des rapports avec le Tiers Monde implique une reconversion salutaire de nos productions. Par exemple, au lieu de vendre des armes à des dirigeants qui s’en servent pour la répression des révoltes engendrées par les exactions du FMI, vendre aux communautés paysannes des instruments de forage de puits ou des pompes fonctionnant à l’énergie solaire. Alors qu'aujourd'hui tel pays africain importe plus de parfums et de cosmétiques que d’engrais.
Cette «reconversion» de notre production et de notre commerce avec le tiers monde induira, à long terme, une inflexion de nos propres modes de vie, l’appareil productif ayant pour tâche de répondre à des besoins plus fondamentaux et moins artificiels que ceux créés par notre publicité et surtout n’ayant plus le souci, par l’exportation d’armes, de réduire les coûts de notre propre armement.
Cette orientation délibérée vers le Tiers-Monde implique une rupture avec le club des colonialistes, qu'il s'agisse du FMI, de la Banque Mondiale ou de l'Europe de Maastricht. Non point par esprit d’enfermement nationaliste sur soi et de protectionnisme, mais au contraire, par esprit de véritable universalité, d’ouverture à la totalité du monde et non pas seulement à la triade privilégiée (Etats-Unis, Europe, Japon), à la »bande des sept» (appelée G.7), des pays les plus industrialisés.
En même temps que les problèmes du chômage et de la faim, cette orientation est la seule qui permette une réponse en profondeur aux problèmes de l’immigration. La politique occidentale, par la tyrannie de la dette et de ses intérêts, par les échanges inégaux, et surtout par la volonté de maintenir les anciennes colonies dans leur condition d'appendices subalternes d'un "marché mondial" darwinien dominé et manipulé par la loi de la jungle où les plus forts dévorent les petits, rend la vie invivable dans leur pays à une moitié des habitants de la planète. Dans cette perspective il est inévitable que se poursuive et s'intensifie un mouvement de migration qu'il est dérisoire de prétendre endiguer par l’exclusion et la répression. Là encore, la seule solution véritable est dans un rééquilibrage de la planète. Avec un chargement de 80% à bâbord et de 20% à tribord le bateau est condamné à couler. 

Et maintenant ? L’alternative à la « mondialisation »
L'aspect le plus prometteur du vote contre Maastricht et la vassalisation de l’Europe, c'est que, s'agissant d'un problème de politique extérieure, la moitié déjà de notre peuple a compris que s'y jouait l'avenir de nos problèmes intérieurs, tels que le chômage et l’immigration. Une Europe américaine ne pouvait que les aggraver. L’effort principal doit être un effort de clarification théorique : rendre clair que nos problèmes se posent d'une manière radicalement nouvelle : globale et mondiale, et expliquer comment nous pouvons, dans ce contexte international, avoir prise sur les événements.
Notre lutte ne sera efficace que si, d'abord, nous prenons conscience que la première urgence pour résoudre nos problèmes majeurs, c’est de lutter contre la dépendance à l'égard des exigences américaines, détruisant, à Blair House l’agriculture européenne, puis, par le GATT, devenue l’OMC (Organisation mondiale du commerce), l’industries et la culture.
La mystification de l’idée de nation par les mythologies ethniques ou racistes, explose aux quatre coins du monde avec la victoire de l’économie de marché: chaque région est avide d’exploiter une rente de situation pour s’insérer dans le marché mondial, comme appendice de la finance internationale. Un exemple particulièrement caricatural est celui des Yakoutes, région minuscule au Nord de la Sibérie, revendiquant son autonomie parce qu'elle détient des mines d’or et espère ainsi avoir sa place sur l'échiquier du trafic mondial.
Notre conception de l’idée de nation doit être claire: elle est née, avec le développement du capitalisme comme revendication des bourgeoisies de constituer un marché séparé, protégé par un État et une armée : l'unité allemande au XIXe siècle a commencé par une «Union douanière» (Zollverein) comme d’ailleurs l’unité française se réalisa lorsque les rois de France prirent en charge la protection des marchés contre le morcellement féodal. La justification idéologique des séparatismes vint d'une exhumation "historique" tendant à faire croire que les unités nationales récemment formées étaient préfigurées de toute éternité par la race, la géographie, ou la religion.
Ce qui demeure c'est que, dans ces cadres nationaux se sont élaborées des cultures, c’est-à-dire des façons particulières de vivre les rapports avec la nature, la communauté et l’avenir, dont la diversité même enrichit notre conception de l’homme. Un Européen aujourd'hui s'appauvrirait si Shakespeare, Beethoven, Cervantes, Rabelais, Dante ou Dostoïevski lui devenaient étrangers. S'il se laissait submerger par les anti-cultures nées des modes commerciales d'un peuple sans expérience historique propre, sinon la destruction des cultures amérindiennes par la chasse à l’homme des «western», ou le refoulement de la Renaissance noire de Harlem au début du XXe siècle.
La prétention d'une «avant-garde artistique» pour justifier une hégémonie, a conduit surtout à s'affirmer «contre» toute tradition de la culture européenne, en niant les structures de toutes les créations antérieures, qu'il s'agisse de la peinture, de la musique, ou même du roman. La nouveauté pour la nouveauté conduit aux pires régressions par la résurgence d'un passé qu'on ignore et dont on récupère à son insu les déchets. Cette anesthésie du goût, en tous les domaines, du Coca-cola au vêtement, du Mc Donald au rap, au tag, aux spectacles induisant l’inconscience par saturation agressive des décibels ou hypnotisme des lumières, fournit le meilleur terreau pour la violence contagieuse des films de l'actuel Hollywood, ou la pénétration de la drogue pour susciter d'illusoires paradis perdus.
Ce désarroi culturel de la jeunesse sur le terrain fertile du chômage, des inégalités, des exclusions, d'un monde où les violences aveugles et les non-sens des rapports internationaux induisent las violences et les non-sens des vies individuelles, est l'un des aspects les plus redoutables de ce désordre international nouveau.
Si difficile que soit l'entreprise, les mots d’ordre de rupture avec ce désordre global, tels que la sortie de l'Europe américaine, doivent se compléter par un boycott culturel qui exige de ne pas céder à la démagogie d'une acceptation de ces perversions de la jeunesse par peur d'être traités de ringards ou de passéistes. Ce boycott culturel est d'ailleurs indissociable de ses implications économiques : chaque réduction du marché américain, du film à la boisson, est un coup économique porté aux maîtres du jeu, pour abattre le colosse aux pieds d’argile. Cette fermeture à l'égard du foyer mondial de la décadence du capitalisme occidental doit avoir pour corollaire l’ouverture au Tiers-Monde, c’est à dire aux quatre cinquièmes du monde.
Pas seulement à ses produits et à son commerce, mais à ses cultures lorsqu'elles n’ont pas été niées, détruites ou polluées par le colonialisme. Ses cultures, c’est à dire ses manières de concevoir et de vivre des rapports avec la nature, les autres hommes et l’avenir. Non plus des rapports de propriétaires avec la nature, qui nous conduit à sa pollution et à sa destruction, mais rapports d’appartenance et de respect. Des rapports avec les autres hommes qui ne soient plus ceux de la concurrence et de la compétitivité faisant de l’homme "un loup pour l’homme", dans une société où l’individu ou la nation sont considérés comme le centre et la mesure de toute chose, mais des rapports de communauté c'est à dire de sociétés où, à l’inverse de l’individualisme, chaque membre se sent responsable de tous les autres. Des rapports avec l’avenir qui ne soient plus l’extrapolation quantitative des volontés de croissance et de puissance des individus ou des peuples, mais de la reconnaissance d'un sens de la vie et de ses devoirs, qui ne se réduit pas à ces affrontements de force déguisés en défense du "droit".
Alors seulement, par cette reconnaissance de l’autre, du non-occidental, dans sa spécificité, au lieu de prétendre faire de notre vision linéaire de l’histoire, de notre conception occidentale du "progrès" identifié avec la performance technique, un but « en soi », nous pourrons aborder la "nouvelle alliance". Non plus la "sainte alliance" des nantis, mais l’alliance sur des bases nouvelles avec des hommes et des femmes qui ont une conception du monde radicalement différente de la nôtre.
Contre l’intégrisme colonialiste de l’Occident, prétendant détenir la vérité absolue et l'imposer au reste du monde, reconnaître dans ce que nous appelons les "intégrismes" des autres, une réaction de défense de leur identité contre notre propre intégrisme, fondamental et premier, parce qu'il nie et détruit depuis cinq siècles l’identité des autres.
Sans aucun doute ces intégrismes de réaction contre l’hégémonie de l’Occident, sont souvent des révoltes passéistes, idéalisant, pour s'y référer, les étapes de leurs civilisations antérieures aux agressions colonialistes, si bien que leur réaction, juste dans son principe dans ce qu'elle refuse, manque d’un projet alternatif, tourné vers l’avenir et non vers le passé. Les intégristes posent de véritables questions, mais ils n'y apportent pas de réponse.
Dans cette étroitesse nous devons reconnaître notre propre responsabilité : l’illusion colonialiste de représenter le seul modèle de civilisation, n'a laissé aux colonies en confondant modernisation et occidentalisation, que le choix entre l’imitation de l’occident ou l’imitation du passé, c’est à dire le choix entre deux impasses.
Dans cet esprit, par une conception claire de la solidarité avec le Tiers Monde, le monde ouvrier peut dénoncer théoriquement et combattre pratiquement les «délocalisations», c’est-à-dire les émigrations d’entreprises désertant les pays industrialisés pour s'implanter dans des pays où les salaires sont inférieurs et les protections sociales inexistantes, aggravant le chômage des uns et le servage des autres.
De même les luttes vouées à l’échec pour maintenir intactes des entreprises non rentables ou néfastes (comme l’armement), sous prétexte de sauvegarder l’emploi, doivent être centrées au contraire sur la "reconversion", permettant à la fois un maintien ou même une extension de l’emploi, et une réponse aux besoins réels des populations du Tiers Monde.
D'une manière générale, toute critique du système existant doit être orientée par une initiative de proposition pour des solutions alternatives. Ce qui suppose à la fois des marchés nouveaux (par une liaison étroite avec les syndicats, les coopératives ou les communautés de base du Tiers Monde) précisant à la fois leurs besoins et leurs possibilités, et pour établir des projets concrets de reconversion pour répondre à cette demande.
Ce pouvoir de proposition doit aboutir à infléchir, sur le plan économique l’orientation des investissements, et, sur le plan politique, celle des aides et des prêts à l’avantage des deux partenaires.
Ainsi, dans tous les domaines, les projets humains peuvent l’emporter sur l’abandon aux dérives de ce que les idéologues du capital appellent les "lois économiques" qui auraient le même caractère contraignant et fatal que les lois de la nature.
Le propre du capitalisme est précisément d’évacuer toute morale au profit du jeu aveugle des «lois de marché» comme si elles étaient des lois inéluctables de la nature, ou même, selon l’expression de Luttwak dans son livre Le turbo-capitalisme « les lois divines du marché ».
Au contraire du capitalisme le socialisme exige au départ un choix moral, comme celui de MARX en 1843. I1 est scientifique dans l’analyse des dérives du monde aliéné et dans la détermination des moyens pour lutter contre cette aliénation.
Le déterminisme radical est par définition, conservateur puisqu'il postule que l’avenir est déterminé par le passé.
Le socialisme au contraire, fondé au départ sur un projet humain, postule la possibilité d'une transcendance de ce projet humain par rapport aux déterminismes sectoriels que ce projet va prendre en compte comme des moyens pour atteindre ses fins.
Ainsi seulement contre les idéologies bourgeoises du XVIIIe et du XIXe siècle sur le «progrès» millénaire et inéluctable par le seul développement nécessaire du marché et des techniques ; contre les philosophies «existentialistes» de l’individualisme arbitraire et de l’absurde; contre les illusions des «ordinanthropes» sur le pilotage des sociétés par ordinateur sans décision initiale de l’homme sur ses fins dernières, le combat pour l’avenir exige le postulat éthique de la possibilité du choix, par l'homme, de ses fins.
La fixation de ces fins dernières a été traditionnellement le rôle des religions. Or aucune des religions institutionnelles, aujourd'hui, ne remplit ce rôle dans des conditions historiques nouvelles. Les unes, comme le catholicisme, au lieu d’aborder les problèmes fondamentaux de notre temps : le déséquilibrage du monde entre le Nord et le Sud, entre le chômage et la faim, la guerre, avec les risques d'un capotage tragique de l’épopée humaine, du fait des techniques de destruction massive, la nécessaire reconnaissance des valeurs de culture des civilisations non-occidentales après un demi-millénaire de colonialisme spirituel, en un mot les problèmes de la nécessaire unité symphonique et non hégémonique du monde, se livre à une fixation obsessionnelle sur le sexe, par des interdits, et, pour le reste se contente de paroles.
D’autres comme l’Islam institutionnel, mettent au premier plan les observances rituelles et les interdits jusqu'à occulter l’enseignement fondamental du Coran sur l’unité (tawhid) : unité de l’homme avec la nature, de l’homme avec l’homme, et de l’homme avec Dieu.
Le combat pour l’avenir, quelle que soit la réponse qu'il donne à la question des fins dernières, ne peut faire abstraction du problème lui-même, des postulats et de l’acte de foi qu'il implique. Le problème central de notre temps n’est plus seulement économique ou politique, c’est à dire un problème de moyens. Avant de penser l’économie, la politique ou l’éducation, il importe de savoir quelles fins l’on veut atteindre.
C’est pourquoi, aujourd'hui toute mutation sociale véritable est indissociable d'un choix de finalité, c’est-à-dire d'un renouveau spirituel.
 Contre les mensonges de la « démocratie » et des « droits de l’homme », la charte des devoirs
J’emploie le terme théologique de «monothéisme du marché», car il s’agit d'un problème religieux, d'un problème de fins. Les fins particulières poursuivies sur le marché sont des fins de profits pour des individus ou des groupes particuliers.
Elles n’ont rien à voir avec le but ultime d'une démocratie véritable, telle qu'elle s’exprimait dans la fiction d'une «volonté générale» qui ne pouvait avoir d’autre fin que d’assurer à tous les enfants, à toutes les femmes, à tous les hommes, les mêmes possibilités de développer pleinement toutes les richesses humaines qu'il porte en lui, selon les principes de L’Émile et de la «Profession de foi du vicaire savoyard». Il n’est point d’autre définition de la démocratie vraie.
Mais dira-t-on, à quoi nous sert cette prophétie puisqu'elle ne s’est jamais réalisée ?
C’est une utopie, sans aucun doute, mais un idéal régulateur qui oriente notre action, et nous donne un axe de coordonnées pour situer les diverses formes de société: elle nous permet en particulier de voir que le monothéisme américain du marché ne nous rapproche pas de la démocratie, il nous en éloigne.
Le creusement constant du gouffre entre les riches et les pauvres dans chaque «démocratie libérale», et plus encore entre le Nord et le Sud, en témoigne irrécusablement.
La démocratie politique «libérale», n’exclut nullement la dictature sociale, avec ses élus et ses exclus. Le représentant de Bush auprès des institutions internationales à Genève dit ingénument que la démocratie libérale est l’expression politique du capitalisme. On ne saurait mieux la définir: elle institue un marché des voix et des candidats, dans lequel les médias renforcent le pouvoir de l’argent. En possession des médias, les maîtres du jeu peuvent modeler la «démocratie» selon leurs visées. En connivence avec les publicitaires qui ont pouvoir de vie et de mort sur tous les médias en leur accordant ou refusant la publicité des grandes entreprises.
Les médias ne reflètent pas l’opinion, c’est l’opinion qui reflète les médias. La télévision en particulier. Car la presse est contrainte d’en suivre le sillage, l’image ayant toujours vingt quatre heures d’avance sur la presse écrite. Le choix opéré entre les images, avant même le commentaire écrit ou parlé, a fait ingurgiter aux masses des émotions importées, comme des saucisses en boite. Un écrivain uruguayen, Eduardo Galeano, fait par exemple observer que l’assassinat du père Popieluszko en Pologne, en 1984, a occupé, dans les médias, mille fois plus de places que l’assassinat de cent prêtres en Amérique Latine par le terrorisme d’État. D’abord parce qu'il s’agit du Tiers - Monde, et surtout parce que les pays où «les escadrons de la mort» exercent cette terreur, évoluent librement dans des États considérés par la «grande démocratie américaine» comme des «démocraties» puisque le libre marché, c’est à dire l’invasion économique américaine permanente, n’y connaît pas d’entraves.
Ces mêmes médias, friands de sensationnels, dans la «politique spectacle» dont ils ont la charge, ne cherchent pas non plus la violence invisible, celle qui ne tue pas avec des balles, mais qui assassine les corps par la faim et les âmes par le poison distillé par leurs images, les images délétères des «westerns», des thrillers, des polars, où les drogues plus douces et plus insinuantes des «Dallas».
« On y confond délibérément, dit Galeano, la liberté des gens et celle de l’argent, la liberté de création des artistes et la liberté de spéculation des banquiers, qui sont pourtant en fonction inverse. »
La télévision, plus encore que les autres médias, exerce ainsi une contre-révolution culturelle permanente en faisant accepter aux masses l’inacceptable: une commercialisation des angoisses, des écœurements, une anti-culture de la violence et de l’illusion.
Ainsi peut survivre un temps le monde du non-sens où, dans les inégalités croissantes, la drogue est un moyen d’évasion et la délinquance un moyen de survie.
Une telle démocratie de manipulation n’est pas un obstacle à la dictature, elle y conduit.
C’est une expérience constante: lorsque l’opinion publique est suffisamment trompée ou écœurée par la corruption des dirigeants, ou révoltée par elles, la démocratie, même formelle, n’est plus assez maniable ; elle est alors relayée par la dictature. Après la Convention et la Contre-Révolution de Thermidor, la pourriture morale et politique du Directoire engendre le bonapartisme.
Hitler est arrivé au pouvoir le plus «démocratiquement» du monde, élu chancelier par l’immense majorité des voix des électeurs révoltés par le chômage et l’impuissance de la République de Weimar, qui donnaient à la démagogie dictatoriale tous ses atouts.
Tout près de nous, en Algérie, nos bons «démocrates» français appelaient à cor et à cri des « élections libres ». Voici que se réalise le scénario que Bertold Brecht évoquait avec un humour démasquant l’imposture : « Le peuple a voté. Il a condamné ses dirigeants. La solution la plus simple est de dissoudre le peuple et d’en élire un autre. » Ainsi fut fait. Et nos «démocrates», des deux côtés de l’Atlantique, savourent leur victoire: la «liberté du marché» est assurée, et le F.M.I. pourra imposer «librement:» en Algérie sa «politique d’ajustement», c’est à dire de blocage des salaires, de «liberté» des prix, de compression des protections sociales, moyennant quoi il soutiendra, par ses prêts et ses investissements, le pouvoir qui les a sauvés de la mise en cause, par une autre religion, du «monothéisme du marché».
Dans tous les cas, depuis deux siècles, le recours à la contrainte et à l’armée, au nom d'une «sécurité nationale», qui n’a cessé de considérer les couches les plus pauvres comme une «classe dangereuse», veillera, avec d’autres moyens, au maintien des structures de domination sociale ou coloniale.
Le totalitarisme libéral, où l’économie du marché sans entrave est le régulateur de toutes les relations sociales. Il s’accommode fort bien du totalitarisme des dictatures militaires, aide même à leur accession au pouvoir, comme les Etats-Unis le firent avec Pinochet et les colonels et généraux tortionnaires d’Argentine, du Brésil ou de n’importe où.
Dès que les objectifs sont atteints, c’est à dire l’alignement économique sur les Etats-Unis, les dirigeants américains préfèrent poursuivre leurs affaires d'une manière moins voyante et aléatoire, avec des «démocrates»: en Argentine avec Menem, au Brésil avec Collor, au Chili avec les successeurs de Pinochet : les mêmes objectifs ont été atteints avec d’autres moyens et d’autres marionnettes.
Grâce à la perpétuité du système du marché «libre», c’est à dire dominé par les Américains, quel que soit le régime (c’est-à-dire la façade), 40% des Latino-Américains vivent au dessous du niveau de pauvreté absolue[47].
L’U.N.I.C.E.F. signale qu'au Brésil, mille enfants par jour meurent de faim ou de maladies guérissables. En Colombie un enfant sur trois est retardé mentalement par suite de la malnutrition.
C’est ainsi que les présidents « démocrates » de l’Amérique latine ont obtenu l’aval de Washington à condition de respecter l’héritage maudit des dictatures militaires: le paiement de leurs dettes et l’oubli de leurs crimes. Cette séquence de dictatures militaires, de la Corée du Sud à la Grèce, de l’Afrique à l’Amérique latine, doit nous amener à une réflexion sur les missions de l’institution militaire dans le contexte nouveau de domination mondiale des Etats-Unis. Depuis la deuxième guerre mondiale aucune armée au monde n’a joué un rôle de «défense nationale».
Elles ont joué un rôle de répression en organisant une série de coups d’État sanglants contre leurs propres peuples ou leurs «alliés» pour les maintenir dans leur rôle de Satellites: par exemple de la Tchécoslovaquie à l’Afghanistan pour les uns, de la Grenade au Panama pour les autres.
Elles ont servi non pas à défendre l’indépendance de leur peuple, mais à imposer la domination de l’impérialisme américain, pour ruiner leurs peuples.
*
*   *
Étymologiquement démocratie signifie : gouvernement par le peuple et pour le peuple. Or, le principal théoricien de la démocratie, celui dont se réclamait la Révolution française, Jean-Jacques Rousseau, dans son Contrat social, dit clairement, déchirant tous les mensonges des prétendues «démocraties occidentales»: «A prendre le terme dans la rigueur de l'acception, il n'a jamais existé de démocratie véritable.» Et ceci pour deux raisons :
– l'inégalité des fortunes, qui rend impossible la formation d'une volonté générale, opposant au contraire ceux qui ont et ceux qui n'ont pas.
– l'absence d'une foi en des valeurs absolues qui fassent à chacun aimer ses devoirs au lieu de laisser régner la jungle d'un individualisme, où, chacun se croyant le centre et la mesure des choses, est le concurrent et le rival de tous les autres[48].
Il n'existait alors qu'un exemple historique d'une prétendue «démocratie» : celui de la Grèce antique. L'on enseigne, aujourd'hui encore, à nos écoliers, qu'elle est la mère des démocraties, en ne rappelant pas que, dans cette «démocratie» athénienne à son apogée (au temps de Périclès au Ve siècle) il y avait vingt-mille citoyens libres, constituant le peuple et possédant le droit de vote, et 110.000 esclaves n'ayant aucun droit. Le vrai nom de cette démocratie serait : une oligarchie esclavagiste.
Or, cet usage menteur du mot démocratie n'a cessé de régner en Occident.
- La Déclaration de l'Indépendance américaine, proclamée le 4 juillet 1776 (l'année de la mort de J.J. Rousseau), «considère comme des vérités évidentes par elles mêmes que les hommes naissent égaux ; que leur Créateur les a doués de certains droits inaliénables : la vie, la liberté…» Mais la constitution née de cette déclaration solennelle, maintient l'esclavage des Noirs pendant plus d'un siècle.
Démocratie pour les blancs, pas pour les noirs.
- La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de la Révolution française de 1789, affirme que «tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.» En ses articles 14 et 15, elle précise même que «tous les citoyens ont le droit de participer à l'élaboration de la loi.» Or, la Constitution, dont cette Déclaration constitue le préambule, n'accorde le droit de suffrage qu'aux possédants de sexe masculin : les autres sont déclarés citoyens passifs, les citoyens actifs (électeurs) selon l'expression de Sieyes, père de cette Constitution, sont «les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale». Avant lui, le plus grand philosophe français du siècle, Diderot, écrivait dans son Encyclopédie (article : "Représentant") : «le propriétaire seul est citoyen.»
Démocratie pour les propriétaires, pas pour le peuple.
Ce serait pure redondance que de faire ici la critique de la Déclaration universelle des droits de l’homme promulguée par les vainqueurs au lendemain de leur victoire sur Hitler qui était le successeur le plus cohérent, c’est-à-dire le plus barbare, des exactions colonialistes, racistes et dictatoriales de l’Occident depuis cinq siècles de domination de son colonialisme raciste, avec son cortège de spoliations, de massacres, de destructions de cultures et des peuples, au nom du même préjugé d’être « le peuple élu », le seul capable d’apporter à tous les autres, par le fer et par le feu, sa « civilisation », seule garante des « droits de l’homme ».
Deux questions fondamentales se posent ici :quand on parle de l'homme, de quel homme s'agit-il : le blanc? le propriétaire? l'Occidental? Et que signifie un droit pour un homme qui n'a pas les moyens de l'exercer ?
De quel homme s'agit-il ?
Toutes ces mystifications de la «démocratie» et des «droits de l'homme» ont la même source: une «déclaration» qui considère l'homme comme individu. C'est à chaque époque, celui de la minorité dominante, dont il s'agit de défendre les " droits ".
Que signifie un " droit " pour qui n'a pas les moyens de l'exercer ? Comme le «droit au travail» pour des millions de chômeurs, ou «¡le droit à la vie» pour des milliards d'êtres humains qui, dans le monde non occidental, meurent pour qu'ailleurs des privilégiés puissent poursuivre «librement» leurs gaspillages ? Qu'est-ce qu'une «égalité» qui interdit «également» à un milliardaire et à un affamé de voler un pain, ou qui leur permet, à l'un et à l'autre, de fonder un journal ou d'acheter une chaîne de télévision? La loi est égale pour tous ! Tel est le mensonge des «droits de l'homme», même lorsqu'ils se proclament «universels».
Une inversion radicale est nécessaire: ne plus partir de l'individu (blanc, propriétaire ou occidental) mais de la communauté universelle des hommes, en définissant en priorité non les droits de l'individu mais ses devoirs, garantissant ainsi l'espace de libre développement de tous les autres membres de cette communauté universelle.
Sans quoi, dans une société considérée comme une addition d'individus moléculaires, l'on n'aura jamais par le vote (fût-il dit universel) qu'une démocratie illusoire parce que purement statistique et manipulée par la puissance des médias et du système tout entier où tout s'achète et où tout se vend.
Une telle "république" n'est nullement un rempart contre la dictature. HITLER n'est pas arrivé au pouvoir par un coup d'État, mais de la manière la plus "démocratique" qui soit : en obtenant, avec ses alliés, la majorité absolue au Parlement de la République de Weimar.
Une démocratie authentique, d'un type radicalement nouveau, ne peut se fonder que sur une déclaration des devoirs à l'égard non d'une nation (ce qui conduirait à un totalitarisme tribal) mais de la communauté mondiale des hommes.
Elle pourrait s'ouvrir sur ce préambule.
Projet de déclaration des devoirs de chaque homme et de tout homme.
1 - L'humanité est une seule communauté mais non pas l'unité impériale de domination d'un État ou d'une culture. Cette unité est au contraire symphonique, c'est à dire riche de la participation de tous les peuples et de leur culture.
2 - Tous les devoirs de l'homme et des communautés auxquelles il participe découlent de sa contribution à cette unité : aucun groupement humain, professionnel, national, économique, culturel, religieux, ne peut avoir pour objet la défense d'intérêts ou de privilèges particuliers, mais la promotion de chaque homme et de tout homme, quel que soit son sexe, son origine sociale, ethnique ou religieuse, afin de donner à chacun la possibilité matérielle et spirituelle de déployer tous les pouvoirs créateurs qu'il porte en lui.
3 - La propriété, publique ou privée, n'a de légitimité que si elle est fondée sur le travail et concourt au développement de tous. Son titulaire n'en est donc que le gérant responsable.
Nul intérêt personnel, national, corporatif, ou religieux, ne peut avoir pour fin la concurrence, la domination, l'exploitation du travail d'un autre ou la perversion de ses loisirs.
4 - Le pouvoir, à quelque niveau que ce soit, ne peut être exercé ou retiré que par le mandat de ceux qui s'engagent, par écrit, pour accéder à la citoyenneté, à observer ces devoirs. Les titulaires peuvent en être exclus s'ils en dérogent.
Il ne comporte aucun privilège mais seulement des devoirs et des exigences.
5 - Le savoir ne peut, en aucun domaine, avoir la prétention de détenir la vérité absolue, car cet intégrisme intellectuel engendre nécessairement l'inquisition et le totalitarisme.
6 - Le but de toute institution publique ne peut être que la Constitution d'une communauté véritable c'est à dire, à l'inverse de l'individualisme, d'une association en laquelle chaque participant a conscience d'être personnellement responsable du destin de tous les autres.
7 - La coordination universelle de ces efforts de croissance de l'homme peut seule permettre de résoudre la problèmes de la faim dans le monde et de l'immigration, comme du chômage forcé ou de l'oisiveté parasitaire, et de donner, à chaque être humain, les moyens d'accomplir ses devoirs et d'exercer les droits que lui confère cette responsabilité.
Il n'appartient qu'à la communauté mondiale -sans différenciation numérique­ de veiller à l'observance universelle de ces devoirs.
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*   *
L'économie et la politique, comme leur étymologie même le rappelle, ont pour objet de régler les relations sociales à tous les niveaux, de la famille à la nation et à la communauté internationale. La culture, c’est-à-dire l'ensemble des rapports qu'un individu ou une société entretiennent avec la nature, les autres hommes et le sacré, doit donc jouer un rôle à la fois intégrateur de l'économie et de la politique mais aussi un rôle régulateur, par sa recherche des fins dernières de la vie, rôle qu'elle ne joue aucunement à l'heure actuelle parce qu'elle est fonction d'une «religion des moyens» générée par le système.
L'éducation reflète cette décadence en ne donnant pas à la recherche des fins cette place première.
Il est encore temps de vivre, mais au prix d’une grande inversion. Les maîtres de notre provisoire chaos ne nous parlent que de nous « adapter » (c’est-à-dire de nous soumettre) à ces dérives d’un monde sans hommes, d’hommes sans projet, sans finalité humaine, alors qu’une renaissance, ou même une simple survie de l’humanité exige non pas une adaptation à ce destin de mort, mais une rupture radicale avec lui. Au réalisme assassin et fataliste, nous n’échapperons que par les utopies de l’espérance que les corrompus d’aujourd’hui appellent nos rêves.
Au lieu de considérer l’actuelle logique économique de Maastricht, de l’euro, et de l’économie de marché, comme un destin, il s’agit de rompre avec cette logique, c’est-à-dire de passer de la logique de la spéculation à la logique de la production et de la création humaine à l’échelle du monde total, et non d’une Europe hier coloniale aujourd’hui usurière par son exploitation des dettes d’un monde qu’elle a sous-développé au profit de son propre développement déshumanisé.
Les moyens de destruction par le marché, l’atome et le missile permettent de réaliser une unité du monde, pour son auto-destruction. Les moyens de communication terrestres, maritimes ou aériens, ou par le satellite et l’Internet, permettent de réaliser une autre unité du monde.
Cet avenir en germe, avec ces possibles nouveaux, a déjà commencé. Là même où naît le jour: à l’Orient. Là-même où fut pour la première fois pensée l’unité humaine et divine du monde : « être un avec le tout », enseignait déjà le Tao comme secret d’un avenir à visage humain. Cette Asie qui non seulement a pensé la première le Tout mais inventa les moyens spirituels de l’atteindre, dans l’Inde des Védas, des Upanisads, de la Bhagavad Gita, et de Bouddha. Cette Asie d’où s’éleva, en Iran, avec Zarathoustra, la grande ambition humaine de la lutte du bien contre le mal, appelant chacun à être de ceux qui se lèvent avant la fin de la nuit pour travailler à la naissance du jour.

Roger Garaudy

A SUIVRE

[1]. Villermé Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie. Paris 1840 et Eugène Buret, Pauvreté des classes laborieuses en France et en Angleterre.
[2] Nantes au XIXe siècle. éd. Serbire, 1835
[3]. Guennadi Ziouganov, La Russie après l'an 2000, vision géopolitique d'un nouvel Etat, traduction française, Paris, édition MITHEC; 1999, p. 172
[4]. id., page 131.
[5]. id., page 189.
[6]. Id., p. 247.
[7]. Id., p. 187
[8]. Id., p. 170-171.
[9]. Id., p. 207.
[10]. Policy planning studies, 23 février 1948.
[11]. Joint chiefs of Staff. 1769/1. .
[12]. Déclaration 1, paragraphe I et B.4
[13]. The New York Times, 28 mars 1999.
[14]. The Nation, 19 avril 1999. p. 5.
[15]. Le Monde, 22 juin 2000.
[16] National incomes and product accounts, NIPA.
[17] En généralisant la même méthode pour toutes les catégories, nos statistiques deviendraient triomphales: il n'y aurait plus, officiellement, de chômeurs du tout: il suffirait de ne plus les inscrire aux caisses d’allocations !
[18]. Policy Planning Studies, 23 février 1948
[19]. Tous ces passages sont cités par Paul-Marie de la Gorce, directeur de la revue Défense nationale - dans Le Monde diplomatique, avril 1992
[20]. Le Monde, 11 mai 1996. Interview de Coppola
[21]. Alain Cotta, Le capitalisme dans tous ses états, Paris, éd. Fayard, 1991
[22]. Maurice Allais «L’Occident au bord du désastre», Entretien avec Libération, 2 août 1993 et son livre Erreurs et impasses de la construction européenne, Paris, éd. Juglar, 1992
[23]. Le Figaro, 6 janvier 1992.
[24]. Olivier Brouet,Drogues et relations internationales, Bruxelles, Éditions Complexe, 1991, p.19.
[25]. Yannick Laude, «La drogue à l’école», Marabout Actualité », octobre 1986, p. 50.
[26]. Y. Laude, op. cit., p.45.
[27]. Le Monde 1er juin1992.
[28]. Le Monde 4 janvier1994.
[29]. «Le marché des drogues». p. 89.
[30]. idem, p.90-91.
[31]. idem, p.94
[32]. Le monde des drogues, 1994, p. 8 et 9.
[33]. O. BROUET, op. cit. p.195
[34]. idem. p.128)
[35]. Dimitri de Kochko et Alexandre Datskevitch, L’Empire de la drogue: la Russie et ses marchés»  Paris, Hachette, 1994.
[36] Pour les pays les plus démunis l'on songe plutôt à la guerre pure et simple. Sir Caspar Weinberger (ancien ministre de 1a Défense du président Reagan) est co‑auteur d'un livre paru en 1996 et intitulé The Next War (la prochaine guerre) dont l'introduction est de lady Margaret Thatcher. Pour prévoir la performance des forces américaines et le résultat d'éventuelles confrontations pour les Etats‑Unis et leurs alliés, les auteurs s'appuient sur les dernières évaluations les plus fiables des ressources technologiques de l'Amérique.
Leurs scénarios sont modelés sur les simulations de guerres informatisées du Pentagone […] et prévoient notamment des variantes pour la Corée du Nord, la Chine, l’Iran, le Mexique, la Russie et même le Japon.

[37]. La Solidarité nouvelle , 4-19 octobre 1993
[38]. Le Monde, 3 janvier 2000
[39]. James Liebmann, coordinateur des travaux.
[40]. Le Monde, 13 juin 2000
[41]. Paul-Marie de La Gorce, l’un des analystes les plus clairvoyants en géopolitique (avec le général Gallois), dans son si lucide ouvrage sur Le dernier Empire: le XXIe sera-t-il américain?, Paris, Grasset, 1996.
[42]. Journal officiel, 27 mars 1884, pp. 1062.
[43]. Id., p. 1068.
[44]. Huntington, Samuel P., Le choc des civilisations, Paris, O. Jacob, 1997 (The clash of civilizations and the remaking of world order, trad. de l'anglais par Jean-Luc Fidel, Geneviève Joublain, Patrice Jorland.
[45]. Mahdi Elmandjra, Première guerre civilisationnelle, Casablanca, les Éd. Toubkal, 1992.
[46]. « Manière de voir », Le Monde Diplomatique, juillet-août 2000 p.75.
[47]. Documents de la C.E.P.A.L.
[48]. J.-J. Rousseau Du Contrat social. éd. Pléiade, p. 468.