02 janvier 2015

Mes voeux 2015: partout, passer des anathèmes au dialogue !



Roger Garaudy en 1998
PASSER DE L'ANATHÈME AU DIALOGUE

Une longue continuité dans la domination n'a-t-elle pas créé une continuité perverse ? Autrefois : une Église, un Dieu, un roi. Aujourd'hui : une culture, une technique, un ordre mondial.
Hors de l'Église pas de salut. Hors de l'Occident pas de civilisation. Et toujours : hors de ma vérité, l'erreur. Toujours un peuple élu : hébreu, chrétien, occidental.
Dans cette perspective, aucun dialogue n'est possible.
Aucun dialogue entre les religions, car la religion est l'expression de la foi dans le langage d'une culture.
Il n'y a de dialogue véritable qu'à l'intérieur de la foi. Un dialogue interreligieux, bien souvent, est un dialogue de sourds, puisque chaque religion institutionnelle, par exemple le christianisme ou l'Islam, s'estime dépositaire de la vérité absolue. Il n'y a plus dès lors dialogue, mais controverse, désir de prosélytisme et de conversion, pour réduire l'autre à sa propre et unique vérité. La « tolérance » reconnaît seulement à l'autre le droit à l'erreur, comme condescendance ou pitié à l'égard d'un infirme ou d'un malade.
Il n'y a de dialogue véritable que lorsque chacun, au départ, admet qu'il a quelque chose à apprendre de l'autre, qu'il est donc prêt à remettre en cause telle ou telle de ses certitudes. C'est pourquoi celui qui s'engage dans cet authentique dialogue apparaît parfois comme un dissident en puissance à l'égard de sa propre communauté.
Il n'y a de dialogue qu'à partir de la conscience de ce qui manque dans notre foi, lorsque le dialogue devient un échange et un partage dans l'expérience de la recherche commune de Dieu, et donc du sens.
Cet abandon si rare est pourtant la seule forme possible de dialogue sur l'essentiel : comment accepter la suffisance à l'égard de la transcendance ? Quelle foi peut prétendre, comme le font les religions, posséder la vérité exclusive et totale d'une réalité qui, par sonprincipe même, déborde, transcende toutes nos expériences partielles, relatives, des« dimensions » de Dieu, de celles de l'homme, « fait à son image » comme disent les chrétiens, « en qui Dieu a insufflé de son esprit » est-il écrit dans le Coran ?
L'Esprit est en l'homme et en tout être, non comme leur propriété ou leur intériorité, mais comme le mouvement qui, à travers la multiplicité et la dispersion des êtres, les oriente vers le Père en un cycle sans fin: « Tout vient de Dieu et tout revient à Lui », indique aussi le Coran.
Cette relation d'intériorité réciproque, ce mouvement circulaire par lequel passent incessamment l'un dans l'autre, et s'impliquent mutuellement les trois aspects de la Trinité, les théologiens chrétiens l'appellent la « périchorèse ».
Cette prise de conscience de la relativité, de la « non-suffisance » des perspectives, n'implique nullement un relativisme ou un éclectisme démobilisateurs. Elle rappelleseulement la diversité et les richesses inépuisables des relations à Dieu. Elle permet seulement d'échapper à l'ethnocentrisme colonialiste qui appelle trop facilementuniverselle sa propre culture et sa propre religion.
Elle permet de comprendre qu'une même foi a pu, s'exprimant à travers diverses cultures, donner naissance à de multiples religions, et que cette multiplicité même est une richesse car elle permet, par la fécondation réciproque d'expériences « religieuses » différentes, d'approfondir notre propre foi, de prendre conscience de sa spécificité : de perdre seulement l'illusion que notre religion est la seule vraie parce que nous ignorons
toutes les autres.
La réalité totale que nous vivons ne peut être saisie à partir d'une perspective seulement. Nous ne pouvons la saisir pleinement que si nous savons vivre du dedans l'expérience des autres.
Plusieurs peintres peuvent s'efforcer de dessiner le même modèle, placé entre eux, mais aucun tableau ne sera identique à l'autre. L'un aura reproduit le sujet de face, un autre de dos ou de profil. Je ne puis juger de la fidélité de l'image à partir d'une perspective unique, mais seulement à partir de la perspective propre à chaque participant.
Il en est de même pour les sagesses et les religions : chacune a essayé de traduire son expérience du sens de la vie ou de l'Un, en fonction d'une culture particulière, d'une histoire et d'une civilisation. Cette multiplicité et cette relativité des « prises de vue » sur le divin n'exclut nullement la valeur absolue et unique de ce qui est visé et dont l'inépuisable totalité ne peut être saisie par personne.
Il ne s'agit pas de « tolérance », ce qui implique un certain mépris à l'égard des « déviants » par rapport à un modèle unique de culture, de sagesse ou de foi, mais de respect envers des expériences, différentes des nôtres, d'une présence qui nous dépasse. Un dialogue ne peut conduire à une fécondation réciproque que si chacun accepte loyalement de « se mettre à la place » de l'autre, donc à retrouver son angle de vue, la perspective propre à partir de laquelle il a essayé d'exprimer son irremplaçable expérience.
http://culturedepaix.blogspot.fr/
Ceci exclut le parti pris de conversion : ne pas demander au chrétien de devenir bouddhiste, ni au musulman de devenir chrétien. Mais aider le bouddhiste à devenir un meilleur bouddhiste, le chrétien un meilleur chrétien, le musulman un meilleur musulman.
« Meilleur » signifiant : capable d'approfondir sa propre foi, sa propre saisie de Dieu, en l'enrichissant de l'expérience des autres hommes de foi.

Roger Garaudy
Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants, pages 202 à 206