08 septembre 2010

Rappel sur quelques aspects historiques de la révolution iranienne

La révolution d'Iran...Première révolution dirigée non contre un régime politique, une structure économique et sociale, mais contre une civilisation, celle de l'Occident.
Pendant des années, ce pays de grande civilisation avait vu, dans le régime du shah, le reniement et le refoulement de ce qu'il y avait de plus grand dans son passé islamique...
L'opposition ne pouvait se manifester que dans les mosquées, où ayatollahs, hodjatoleslams ou simples mollahs dénoncaient la corruption du système, son inféodation aux Etats-Unis, la barbarie de ses répresssions. Dans ces prédications morales se formèrent les cadres du mouvement révolutionnaire. Ceux que le régime avaient emprisonnés et torturés - et ils étaient légion -, assassinés, comme Ali Shariati, ou exilés, comme l'ayatollah Khoméini, devenaient lers "martyrs" d'un islam militant. Le mot de "martyr" a une résonance populaire et religieuse profonde en Iran, car le prototype du martyr est Hussein, le petit-fils du prophète, assassiné par le premier roi omeyyade.
Ainsi se fondaient, au creuset de la lutte contre le tyran et ses amis étrangers, religion et politique.
Lorsque le shah s'enfuit, abandonnant à son armée, à sa police et à Shapour Bakhtiar le soin de réprimer...le mouvement grondant des masses, la force matérielle fut impuissante à le contenir. L'ayatollah Khoméini, malgré les interdictions et les menaces, atterrit à Téhéran, accueilli par une foule innombrable aux yeux de laquelle il commençait à accomplir la promesse de la parousie de l'"imam caché", âme vivante de l'Islam iranien.
Lorsque Shapour Bakhtiar donne l'ordre de couvre-feu sous peine de tir à vue de l'armée, l'imam Khoméini donne la directive à tout le peuple de défiler dans la rue à l'heure de l'interdiction.
Alors se produisit l'évènement fondateur: une foule aux mains nues affrontant les "immortels" de la Garde impériale et cette armée qu'on disait la "cinquième armée du monde". Il y eut des centaines de morts mais la place d'aucun "martyr" ne fut laissée vide. L'armée fut vaincue et désarmée sans qu'aucun coup de feu fût tiré sur elle, au seul cri d'"Alla hou akbar !": Dieu est plus grand !
Toutes les prévisions des stratèges politiques et militaires mesurant les forces seulement par la puissance de feu et la logistique subissaient, comme déjà pour le Vietnam et l'Algérie, un nouveau démenti. Dans leur étroitesse positiviste, les stratèges de l'Occident ne comprenaient pas leur échec: la foi n'entre pas dans leurs circuits électroniques.
Avec l'auréole de cette prodigieuse victoire de la non-violence et de la force spirituelle contre la force matérielle des armes, l'imam Khoméini devint le chef charismatique du pays au nom de la morale divine contre l'oppresion du "Satan" américain et de son vassal: l'ancien shah. Pour des masses immenses semblait se déployer enfin victorieusement la lutte du Bien contre le Mal.
La révolution iranienne, dans son juste refus du mode de vie américain que voulait lui imposer le shah, s'en prit d'abord à ses symboles. Par exemple les cinémas américains, avec leurs films de violence et d'exhibition d'un mode de vie dominé par l'argent, furent brûlés, de même que les boîtes de nuit. des montagnes de bouteilles de whisky furent brisées. Ainsi naissait la première révolution dirigée contre la civilisation occidentale, combattue non seulement dans ses perversions et sa décadence, mais aussi dans son principe même. On assista alors à la juxtaposition des nécessaires techniques européennes et des formes les plus archaïques d'un Islam d'autant plus intégriste qu'il avait été plus longtemps bafoué par le régime de terreur du shah et de ses maîtres américains.
Mais si une moral permet de détruire un régime et d'assigner à un projet de société les fins humaines et divines de son économie et de sa politique, elle ne donne ni les méthodes, ni les techniques de leur visée. Comment donc une telle orientation morale a-t-elle pu engendrer l'intégrisme ?
Deux facteurs historiques entrent en jeu: la tradition de l'"imamat" chi'ite, qui a conduit à personnaliser le pouvoir; la guerre Irak-Iran, au cours de laquelle le monde entier se coalisa contre l'Iran et qui conduisit à radicaliser le régime.
La tradition spécifique de l'Islam chi'ite est celle de l'"imamat", de la présence d'un "imam caché", dont on attend la "parousie", autrement dit le retour. Khoméini fut considéré comme son "représentant" visible, entouré d'un véritable clergé hiérarchisé: ayatollah, hodjatoleslam, mollah. Leur lutte contre le despotisme du shah, contre l'invasion des moeurs de l'Ociident, et le nombre de leurs "martyrs" les auréolaient d'un prestige incontesté. De cette façon s'établit une sorte de théocratie cléricale, avec son guide infaillible, tenu pour dépositaire du "sens caché" du message coranique, préparant la parousie de l'"imam caché".
Khoméini déclarait:"Du point de vue religieux, je suis habilité à faire ce que je fais". Cette investiture divine, plébiscitée par l'immense majorité du peuple, lui donna tout le pouvoir, de même qu'à la hiérarchie des religieux.
Le fait nouveau majeur qui apparaît donc avec la révolution islamique en Iran, c'est que la "sacralisation" de la politique, jusque-là, servait le despotisme des princes et des classes privilégiées, alors que, comme l'écrit le dirigeant "islamiste" tunisien Ghannouchi:"Le mouvement islamique contemporain a réussi, dans une certaine mesure, à libérer l'Islam de l'emprise de la classe gouvernante...Ce qui s'est passé en Iran, c'est la prise en charge de l'Islam par les masses. Evènement de grande importance pour les mouvements de libération: la libération de l'Islam de l'emprise de pouvoirs à la solde de l'étranger, et son rôle dans les courants révolutionnaires."
Cet aspect "révolutionnaire" de l'évènement iranien souleva la peur et la haine de tous les pouvoirs en place dans le monde. Ils lancèrent l'Irak dans la guerre et constituèrent une coalition générale contre la révolution iranienne, comme autrefois l'Europe s'était liguée contre la Révolution française qui metait en péril tous les trônes, ou comme, en 1917, se réalisa un front uni de toutes les bourgeoisies européennes contre la révolution d'Octobre.
Dans cette guerre totale lancée par Sadam Hussein, sur les conseils des Etats-Unis, l'Union soviétique et la France fournirent les armes à l'agresseur, même lorsqu'il se conduisit, avec l'arme chimique, en criminel de guerre. L'Arabie Saoudite et les pays du Golfe payèrent les dettes de l'Irak, et la Ligue Arabe en arriva, en 1988, à désigner l'Iran comme "l'ennemi principal".
Cet état de siège conduisit l'Iran au durcissement et à la terreur comme la France y avait été conduite en 1793, et la Russie en 1920 par l'invasion des coalisés.
Naturellement, le vacarme médiatique fut déchaîné contre le fanatisme et l'intégrisme iranien pour le "diaboliser". Il est d'ailleurs remarquable que les medias aient été focalisés sur l'Iran alors que régnait un silence respectueux devant l'intégrisme plus féroce de l'Arabie Saoudite.
Si, par exemple, en Iran, il y eut bien des mains coupées et des actes condamnables de torture, ce fut le fait de petits juges périphériques "sans intelligence et sans coeur", selon Rafsandjani, mais aucunement par directive centrale: le gouvernement, disait-il, laissait faire, car l'exécutif ne doit pas intervenir dans le judiciaire. Ainsi, à l'inverse de ce que tentaient d'accréditer des communiqués d'épouvante de la presse - "L'Iran utilise une machine à couper les mains ! -, il y eut en effet, et malheureusement, quelques applications barbares de la peine, mais elles cessèrent trés vite.
Alors qu'en Arabie Saoudite, tous les vendredis, par ordre du pouvoir, et avec le sadisme avéré des exécutions publiques, sont infligées les peines de la main coupée et de la flagellation, parfois même de lapidation, sans que les medias de l'Occident accordent à ces crimes d'Etat le millième du "battage" consacré aux exécutions en Iran. Cela dit, ce parti-pris médiatique n'innocente nullement l'intégrisme. Par exemple, quand il entraîne Khoméini à condamner à mort un écrivain pour blasphème, en rupture radicale d'ailleurs avec le Coran...
On le voit, la ligne de démarcation entre l'Iran et l'Arabie Saoudite qui sépare les hurlements médiatiques et le silence respectueux, est tracée entre ceux qui dénoncent la décadence de l'Occident et ceux qui s'y associent.


Roger Garaudy, Intégrismes, 1990, Belfond éditeur, pp 85 à 91