15 février 2017

Le troisième héritage (5).Une foi et ses piliers


  Suite de la publication de l'Introduction du livre de Roger Garaudy "Promesses de l'islam". Après les héritages chrétien et grec l'Islam est le troisième héritage de la civilisation occidentale, mais celle-ci pratique envers lui le déni ...
La préface du livre, écrite par Mr Mohammed Bedjaoui, peut être lue à: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2014/02/islam-et-dialogue-des-civilisations.html
Luc Collès, que je salue, a publié une analyse très didactique de ce livre dans un cadre universitaire: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2013/03/enseignement-pour-une-approche-de.html [A.R]


Une affirmation aussi radicale et intransigeante de la transcendance
donnait un fondement radicalement nouveau à la communauté.
Transcendance et communauté sont les deux pôles, indivisibles, de la
révélation du Prophète.
Dieu est unique, et unique réalité. Telle est la shahada, le principe
fondateur de cette profession, de foi dont le second postulat est que
Mohammed, messager de Dieu désigne le mouvement de retour; car
Mohammed est l'exemple même de toute réalité considérée comme
révélation et signe de Dieu. Le Coran, c'est Dieu se communiquant
aux hommes, allant vers eux par la parole qu'il dicte au Prophète pour
les rattacher à leur principe.
Non seulement il n'y a pas d'autre divinité que Dieu, mais il n'y a
pas d'autre réalité : « Nous montrons nos signes aux horizons et en
eux-mêmes, jusqu'à ce qu'il leur devienne évident que tout est Dieu »
(Coran XLI,53). Le Prophète personnifie toute la création dans
laquelle tout est « signe », tout est manifestation de Dieu : le même
mot ayat (signe) désigne à la fois un verset du Coran, un homme qui
est un miroir du divin, ou une réalité de la nature. Rien ne saurait être
réel qui ne soit divin. Est irréel tout ce qui est perçu ou conçu en
i dehors de sa relation à Dieu. Il n'y a donc pas de séparation entre le
 sacré et le profane : toute chose est sacrée par son rapport à Dieu.
L'incroyance consiste à voir les choses comme si elles étaient
indépendantes de ce qui est leur origine, leur fin et leur sens.
Cette révélation de l’unité divine (tawhid) qui donne à chaque vie et
à chaque chose un sens par son rapport au tout n'est pas une unité
inerte, celle d'un monothéisme abstrait, faisant de Dieu une idée, et
moins encore un panthéisme excluant la transcendance, ce qui, pour
un musulman, serait le monde de l'absence de Dieu. L’unité divine est
un acte. Un acte de Dieu constamment créateur. Un acte du Prophète
qui, par sa parole, sous la dictée de Dieu, est non pas unité ou totalité,
mais acte d'unifier, acte de totaliser. Un acte de tout homme prenant
conscience qu'il n'y a de divin et de réel que Dieu, et, en chaque
moment, rattachant toute chose, tout événement et toute action à son
principe.
On ne saurait comprendre l'expansion et le rayonnement de l'Islam,
ni son actualité aujourd'hui, sans souligner deux aspects fondamentaux
qui se manifestent dès la levée du Prophète. D'abord, que l'unité
soit une action montre l'absurdité de considérer l'Islam comme
conduisant au fatalisme : il fournit au contraire le fondement le plus
solide à la responsabilité et à la liberté de l'homme. Le nom même
d'« Islam » signifie « soumission » à la volonté divine. Or, dans sa
conception de l'unité, de la totalité, tout est « soumis » (muslim,
musulman) : un arbre dans sa floraison, un animal dans sa croissance,
une pierre dans son inertie, mais cette soumission ne dépend pas
d'eux. Ils ne peuvent échapper à la loi qui les régit. L'homme seul
peut « oublier » sa vraie nature : « tu as oublié nos signes », lui est-il
dit dans le Coran (XX, 126). Il devient donc musulman par choix, en se
ressouvenant de la loi première, celle de l'unité et de la totalité qui
donne sens à sa vie. Il est pleinement responsable puisqu'il a la
possibilité de refuser.
Il serait d'ailleurs étrange de considérer comme fataliste et résignée
une foi qui a conduit les musulmans, en trois quarts de siècle, à
renouveler quatre grandes civilisations et à rayonner sur la moitié du
monde. Ce dynamisme de l'esprit et de l'action est le contraire du
fatalisme : il a entraîné des millions d'hommes dans leur certitude que
l'on pouvait vivre autrement.
La deuxième remarque porte précisément sur cette nouvelle
manière de vivre : si l'Islam a pu se répandre avec une telle puissance
et une telle rapidité, dans toute l'Arabie d'abord puis de l'océan
Atlantique à la mer de Chine, c'est qu'il redonnait un sens à la vie à
des peuples désorientés par la désintégration de leurs communautés,
de leurs cultures et de leur foi.
Au principe de tous ces renouvellements, il y avait cette volonté de
retrouver une foi primordiale : celle d'Abraham, celle qui se tradui-
sait en des actes relativisant les hiérarchies, les richesses et les sagesses
des hommes, et s'efforçant de réaliser le projet divin.
Le Coran reconnaissait l'authenticité des prophètes de la Bible
comme messagers du même Dieu : les révélations de la Loi de Moïse
et l'Evangile de Jésus étaient déjà la Parole de Dieu.
A l'égard des « gens du Livre », juifs et chrétiens, il est recommandé
de « ne disputer avec les Détenteurs de l'Ecriture que de la
meilleure manière [...] Dites : nous croyons en ce que Ton a fait
descendre vers vous et en ce que l'on a fait descendre vers nous. Votre
divinité et notre divinité sont une, et nous Lui sommes soumis »
(XXLX,46). Chacune de ces révélations, de ces « descentes » prophétiques,
est un chaînon d'une même vérité divine, même si le message a
été déformé. U n musulman honore Abraham, Moïse, Jésus (il existe
même en Islam des « mosquées de Marie » et, dans la Libye du
colonel Khadafi, on célèbre Noël, la naissance « du prophète Jésus »,
et on honore Marie),
« Dites : Nous croyons en Dieu
à ce qui nous a été révélé,
à ce qui a été révélé
à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob et aux tribus,
à ce qui a été donné à Moïse et à Jésus,
à ce qui a été donné aux prophètes
de la part de leur seigneur.
Nous n'avons de préférence pour aucun d'entre eux »
(Coran II, 136).
Il ne saurait y avoir de dialogue authentique si l'on ne reconnaît pas
dans le Coran (quelle que soit l'opinion qu'un non-musulman puisse
avoir sur son origine) une scintillation du divin.
Même les polythéistes, habitués à leurs pèlerinages à la Ka'aba de
La Mecque, découvrirent au-delà de leurs divinités tribales, une foi
qui les intégrait à l'universel, qui donnait un sens à leur vie et à toute
chose, une loi à leur action.
Nul, en accueillant le message du Prophète, n'avait le sentiment de
se renier, mais au contraire de redécouvrir, sous le fatras des
superstitions des rites ou des dogmes, au-delà dès clergés prétendant
régenter la foi et se substituant à Dieu comme détenteurs de la vérité,
Une foi et une voie qui leur rendirent l'espérance militante de
transformer le monde.
Plus d'intermédiaires, c'est-à-dire de prêtres se faisant les instruments
d'une fausse théocratie, non plus que de rois ou de princes se
prétendant les lieutenants de Dieu sur la terre puisque Dieu Lui-même
dictait Ses lois. Désormais, personne ne pouvait usurper le
sacré.
Une foi rattachant l'homme à son origine et à sa fin, donnait un sens
à sa vie, à partir des cinq « piliers » de l'Islam :
1. La profession de foi déjà évoquée : pas d'autre divinité que
Dieu ; Mohammed, son messager. L'univers entier prenait ainsi un
sens, l'absolu se révélant dans le relatif sous forme de « signes », de
symboles. La nature et les hommes, tout comme la parole du Coran,
étaient une apparition, une manifestation de Dieu. « Il n'y a aucune
chose qui ne chante ses louanges, mais vous ne comprenez pas leur
chant » (XVII, 44).
2. La prière est la participation consciente de l'homme à ce chant
de louange qui lie toute créature à son créateur. « Reviens en toi-même
pour trouver toute l'existence résumée en toi. »
La prière intègre l'homme de foi à cette adoration universelle : en
l'accomplissant, le visage tourné vers La Mecque, tous les musulmans du
monde et toutes les mosquées dont la niche du mirhàb désigne la
direction de la Ka'aba sont ainsi intégrés, par cercles conoentriques, à
cette vaste gravitation des coeurs vers leur centre. L’ablution rituelle,
avant la prière, symbolisé le retour de l'homme à la pureté primordiale
par laquelle, rejetant de lui-même tout ce qui peut ternir l'image
de Dieu, il en devient le parfait miroir.
3. Le jeûne, interruption volontaire du rythme vital, affirmation de
la liberté de l'homme par rapport à son « moi » et à ses désirs, et en
même temps rappel de la présence en nous-même de celui qui a faim,
comme d'un autre moi-même que je dois contribuer à arracher à la
misère et à la mort.
4. Le zakat n'est pas l'aumône, mais une sorte de justice intérieure
institutionnalisée, obligatoire, qui rend effective la solidarité des
hommes de la foi, c'est-à-dire de ceux qui savent vaincre en eux-mêmes
l’égoïsme et l'avarice. Le zakat, c'est le rappel permanent que
toute richesse, comme toute chose, appartient à Dieu, et que
l'individu n'en peut disposer à sa guise, que chaque homme est
membre d'une communauté.
5. Le pèlerinage à La Mecque, enfin, non seulement concrétise la
réalité mondiale de la communauté musulmane, mais, au-dedans de
chaque pèlerin, vivifie le voyage intérieur vers le centre de soi-même.
Le thème central de l’Islam, en toutes ses manifestations, est ce
double mouvement de flux de l'homme vers Dieu et de reflux de Dieu
vers l'homme,  diastole et systole du coeur musulman : « En vérité,
nous sommes à Dieu et à Lui nous retournons » (11,156).
Cette- manière de concevoir et de vivre la transcendance et la foi
repose sur une forme nouvelle de vie sociale dont les traits essentiels
se dessinent à Médine. Lorsqu'en 622, à Médine, le Prophète devient
le fondateur d'un Etat, il donne, en effet, le premier exemple d'une
communauté de type jusqu'alors inconnu : ce n'est plus la communauté
tribale, unie par les liens du sang chez les nomades, ou rivée au
sol chez les sédentaires. Ce n'est pas non plus une « nation » , au sens
occidental du terme, reposant sur l'unité d'un territoire, d'un marché,
d'une langue ou d'une histoire, c'est-à-dire de données, comme celle
de la race, de la géographie ou de l'histoire — et, par conséquent, sur
le passé —, mais une communauté prophétique, fondée sur une
expérience partagée de la transcendance de Dieu.
La méditation sur la Communauté de Médine permet de dégager le
dénominateur commun de toutes les sociétés islamiques qui se veulent
authentiquement fidèles à l'enseignement du Prophète.
D'abord, en ce qui concerne le pouvoir politique. Par ses deux
principes fondamentaux — celui du pouvoir n'appartenant qu'à Dieu,
qui relativise toute souveraineté sociale, et celui de la « consultation »
(shura), qui exclut toute médiation entre Dieu et le peuple —, se
trouvent écartées à la fois toute-tyrannie absolutiste sacralisant le
pouvoir et prétendant faire d'un dirigeant un dieu sur la terre, et
toute « démocratie » de type occidental c'est-à-dire -individualiste,
quantitative, statistique, déléguée et aliénée. Car la liberté n'est
pas négation ni solitude, mais accomplissement de la volonté
divine.
En ce qui concerne la propriété : si toute propriété est celle de Dieu,
tout homme n'en ayant, par son travail, que l'usufruit, la conception
coranique, prophétique, de la propriété est le contraire même de la
conception occidentale et bourgeoise.
Dans le droit musulman, la propriété n'est pas un attribut de
l'individu ni d'un groupe mais une fonction sociale, ordonnée aux
exigences divines de la « Commanderie du Bien ».
Roger Garaudy, "Promesses de l'Islam"