27 mai 2016

Les pères fondateurs et leurs héritiers



Quelle que soit la solution choisie la confusion de la croyance
religieuse et de la foi vivante et agissante à l'intérieur de
toutes les religions rend le problème insoluble par la résurgence
des intégrismes, qui consistent à prétendre que tous les
problèmes ont été résolus, et pour toujours, par leurs pères
fondateurs.
Les Vierges Folles. Marc Saint-Saens.
Tapisserie.1942. Ateliers Tabard,Aubusson
 


Si Bouddha, Moïse, Jésus, Mohammed, ont apporté des
réponses et des solutions aux interrogations et aux problèmes
de leur temps, cela ne nous dispense en aucune manière de la
responsabilité de résoudre, à partir de leurs principes, les problèmes
de notre temps : aucun sutra bouddhiste, aucun verset
de la Bible ou du Coran, ne nous permet de résoudre, sans
une interprétation préalable, les problèmes posés par l'énergie
atomique, les multinationales, la spéculation boursière, le
colonialisme, ou autres, qui ne se posaient pas au temps des
prophètes. Nous pouvons seulement, à partir des principes
qu'ils ont apportés, prendre, à tout risque, la responsabilité de
les appliquer dans des situations historiques radicalement
nouvelles.
Ceci n'implique aucun relativisme, ni éclectisme, ni syncrétisme.
Chaque religion a sécrété, autour des principes communs
à toute acceptation de la transcendance, des valeurs absolues,
des cultes avec leurs rites et leurs dogmes propres à chaque
culture pour tenter une approche de l'absolu. Il se peut que
cette liaison ou cette soumission à Dieu qui exige la participation
entière de notre être, y compris de notre corps, donne une
forme particulière à la prière et à l'adoration, qui vont ensuite
informer notre action.
La tradition culturelle de chaque peuple peut ainsi s'exprimer
par une attitude particulière du corps, celle du yoga (joug)
soumission à Dieu, pour les uns, de la prosternation ou de
l'agenouillement pour d'autres.
L'essentiel est que cette posture du corps facilite la communication
avec Dieu ou avec la sagesse (de quelque nom qu'on les
désigne), et ne se dégrade pas en une gymnastique sans âme.
La diversité des religions, par la fécondation réciproque des
cultures qui les spécifie, est une richesse que l'on ne peut
détruire en imposant à l'autre la forme d'expression dont nous
sommes, avec notre culture, les héritiers.
Nous ne pouvons revendiquer le monopole des voies d'accès
à la transcendance, que nous l'appelions salut, libération,
moksha ou nirvana.
Nous pouvons seulement, avec le plus grand respect du comportement
rituel des autres, et des symboles par lesquels ils
expriment leur foi, leur sagesse ou leur Dieu, nous enrichir de
leur expérience, gravissant, par des voies diverses, la même
cime, inaccessible peut être, qui nous fait rechercher le sens de
notre vie et de notre histoire, et les voies de son accomplissement.
En résumé, ce qu'il y a le plus précieux, ce n'est pas ce qu'un
homme dit de sa foi, mais ce que cette foi fait de cet homme.
Comment le libère-t-elle de ses aliénations ?
C'est-à-dire de ses ambitions personnelles réalisées par l'écrasement
des autres, de ses projets partiels, individuels ou
nationaux, qui ne tendent pas à la création d'une communauté
universelle, symphonique, fin suprême de la foi qui appelle
toutes les religions à la transcendance, au dépassement de
soi.

Roger Garaudy, L’avenir mode d’emploi, pages 187 à 189