10 août 2017

Maître Eckart

Maître Eckhart (v.1260-1327) est le meilleur témoin occidental de ce que, si les religions s'opposent, les mystiques se rejoignent et désignent la même réalité.

Le thème central de son oeuvre est celui du dépouillement de soi et des choses pour découvrir en nous la liberté primordiale de Dieu. Cette identité du divin et de l'humain est le
leitmotiv de l'hindouisme et du bouddhisme comme du soufisme.
L'expérience du vide , celle du Tao et du Zen , est l'expérience cruciale. Commentant l'extase de Paul de Tarse—le futur saint Paul—sur le «chemin de Damas » (« Paul se releva de terre, mais, quoiqu'il eût les yeux ouverts, il ne voyait rien», Actes 9, 8), Maître Eckhart explique: « Quand il vit toute chose comme du néant, alors il vit Dieu...Il vit le néant, et ce fut Dieu.»
Il refuse de dire de Dieu qu'il est un être : il est l'acte de liberté qui engendre les possibles et les êtres. Dieu échappe aux formes de l'individu et du concept.

Maître Eckhart expérimente Dieu comme une force dispensatrice d'existence. Contre toute réduction de Dieu à une image ou à une pensée humaine, il pratique la voie négative, et il
exercera par là son influence sur saint Jean de la Croix: « Rien de ce que l'on peut penser de Dieu n'est Dieu.» Car Dieu ne nous montre jamais de Lui que le visage d'un homme qui a foi e n Lui.
Cette théologie négative est le fondement de toute révolution: avec Maître Eckhart elle libère l'homme des prétentions totalitaires de l'Eglise et de l'ordre féodal qu'elle cautionne. Elle exige un dépouillement radical : « Qui , sachant son prochain dans l'indigence, détient un liard pour lui-même, un tel, devant Dieu, est un voleur.» L'attitude de Maître Eckhart n'est pas moins ferme à l'égard de tout pouvoir et de toute domination, qui sont ainsi désacralisés.


Roger Garaudy
Comment l’homme devint humain
Pages 246-247