25 février 2014

Je suis fils de mes origines...




Je suis fils de mes origines
J'en ai les rides les ravines
Le sang léger la sève épaisse
Les sommets flous les caves sombres
La rosée et la rouille
Je m'équilibre et je chavire
Comme les couches de terrain
Et je m'étale et je me traîne
Je brûle et je gèle à jamais
Et je suis insensible
Car mes sens engloutissent
La chute et l'ascension
La fleur et sa racine
Le ver et son cocon
Le diamant et la mine
L'oeil et son horizon

Paul Eluard
Blason dédoré de mes rêves (extrait)
dans Poésie ininterrompue,
Collection Poésie-Gallimard, p. 119


                                                                                                                 
Photographie: Roger Garaudy et Paul Eluard au Congrès panaméricain de la paix 
( Mexico, du 5 au 10 septembre 1949)
Lire ici le poème qu'Eluard écrivit alors sur Roger Garaudy 
 La couverture du livre reproduit un détail du portrait d'Eluard par Fernand Léger

24 février 2014

Vive l'union européenne, vive l'occident démocratique, vive l'Ukraine libre!

Pour comprendre la situation en Ukraine: http://www.rougemidi.org/spip.php?article8368


Une révolution, ce n'est ni une bourrasque de violence ni un simple changement des équipes au pouvoir; une "révolution", c'est, dans la vie d'un peuple, ce qu'est une "conversion" dans la vie d'un homme, c'est-à-dire un changement radical des fins, des valeurs et du sens de la vie et de l'histoire.  [Roger Garaudy,  Gorée, 12/09/1979 - Comment l'homme devint humain, Editeur J.A., p. 340]

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Ukraine, l'image du jour. Bref commentaire de Camille Loty Malebranche



Chers lecteurs et amis du blog Intellection, par souci de vous informer, je vous propose sous ces lignes, la plus splendide icône de la démocratie du monde depuis ce 23 février 2014 écoulé. Il s'agit de la splendide photo de l'éminent révolutionnaire démocrate de Kiev, Monsieur Alexandre Tourtchinov, parvenu à la présidence grâce à l'héroïsme du vrai peuple ukrainien soutenu par les grands civilisateurs de l'Union européenne et plus discrètement par les États-unis. 

Le visage du nouveau président provisioire de l'Ukraine, élu par la Rada (parlement ukrainien) pro-occidentale, est franchement l'incarnation de tous les attraits! Et, pour cause, il est celui qui incarne les droits de l'homme pour tous les peuples opprimés par la Russie et les empires du mal. Le très honorable président de la république, Alexandre Tourtchinov, président de la Rada qui l'a désigné à la magistrature suprême, exhale l'étrange et rarissime aura du grand homme qui sait montrer à la planète ce que résister à la dictature et au poutinisme, veut dire... C'est aussi un gentleman dont l'élégance et la beauté n'ont d'égal que les idéaux du monde libre, à l'instar des sublimes démocraties soutenues par l'occident libérateur partout sur notre terre où sévissent contre leurs peuples, les mauvais tritons de la tyrannie et de la barbarie, les maudits despotes/ indignes du raffinement transatlantiste étasuniano-européen porteur des lumières de l'humanisme aux cuistres qui s'ignorent. Comme vous pourrez le voir ci-dessous, on lit sur la tronche du très respectable Tourtchinov, toute la beauté, toute la véracité de la démocratie occidentale qui vient de conquérir le pouvoir à Kiev.



Vive l'union européenne, vive l'occident démocratique, vive l'Ukraine libre! 




22 février 2014

20 février 2014

La liberté en sursis. Prague 1968. Présentation de textes par Roger Garaudy






Introduction(pages 11 à 24)
La Liberté en sursis
par Roger Garaudy 


Ce livre, conçu au temps de l'espoir, est écrit aux jours de deuil.
Lors de la session du Comité Central de janvier 1968, le Parti
Communiste Tchécoslovaque avait élaboré le projet d'un "renouveau
du socialisme" : mettre fin au centralisme bureaucratique jusque là
en vigueur, démocratiser la vie du parti et de l'Etat, créer les conditions
d'une participation active des masses à l'orientation et à la direction
du pays.
Ce renouveau touchait tous les aspects de l'activité nationale :
création de formes nouvelles de la gestion socialiste de l'économie
nationale, naissance d'une véritable démocratie socialiste, définition
nouvelle du rôle dirigeant de la classe ouvrière et de ses rapports
avec la culture et les intellectuels, réalisation d'un véritable socialisme
humaniste.
L'intervention politique puis militaire des actuels dirigeants de
l'Union Soviétique et de quelques-uns de leurs partenaires du Pacte
de Varsovie a tué cette espérance.
Quels qu'aient pu être les risques internes, les difficultés et les
erreurs possibles de l'expérience, problème dont les dirigeants eux mêmes
avaient clairement conscience, quels qu'aient pu être les obstacles
externes auxquels elle s'est heurtée et contre laquelle elle s'est
momentanément brisée, l'entreprise était si pleine de promesses,
qu'elle a éveillé, chez tous les amis du socialisme en France, des échos
fraternels. Il nous a donc semblé nécessaire de ne pas renoncer à rassembler
quelques fragments significatifs d'un "dossier tchécoslovaque",
d'abord parce que, du fait de l'analogie des structures sociales
antérieures de ce pays avec la France (il s'agit, dans les deux cas,
de pays dans lesquels les problèmes de la construction du socialisme
se posent à partir d'économies déjà hautement développées) et aussi
du fait de certaines analogies politiques ( une tradition ancienne de
démocratie bourgeoise ), le modèle tchécoslovaque est plus proche de
nos conditions que les "modèles" de socialisme construits à partir
de pays techniquement et économiquement retardataires, de nations
à dominance paysanne, de régimes où avaient régné, jusqu'à l'avènement
du socialisme, des principes autocratiques et semi-féodaux.
Les communistes tchécoslovaques ne prétendaient d'ailleurs nullement
créer un modèle universel mais un modèle correspondant à un
certain niveau de développement atteint par leur pays.
Le rappel de la grande espérance de janvier à août 1968 permettra
aussi de mesurer les étapes de la résurrection du socialisme tchécoslovaque,
qui est une nécessité inéluctable dans le mouvement irréversible
de ce dernier tiers du XX8 siècle.
Le problème central, posé en janvier 1968, était celui de la légitimité
de la construction, en Tchécoslovaquie, d'un modèle nouveau du
socialisme, répondant aux exigences des structures économiques et
sociales nouvelles du pays, à ses traditions nationales, aux tendances
profondes du développement historique à notre époque.
A la différence de la plupart des pays socialistes, qui ont eu à mener,
dans des conditions héroïques, la double tâche de construire le socialisme
et de vaincre le sous-développement, la Tchécoslovaquie est le
seul pays socialiste qui ait eu à construire le socialisme à partir d'un
pays hautement développé du point de vue technique, économique
et culturel.
Du point de vue politique la Tchécoslovaquie a construit le socialisme
sous la direction d'un parti communiste qui, avant la Libération
par l'armée soviétique, en 1945, et avant sa victoire de février
1948, était non pas un petit parti de cadres ou un parti entièrement
forgé par l'illégalité, mais un grand parti de masse qui s'était développé
dans les conditions politiques d'une république bourgeoise dans
laquelle il exerçait une influence considérable. Il obtenait, dès avant
1948, 38% des voix.
Du point de vue de la culture, de par sa position géographique et
ses traditions nationales, la Tchécoslovaquie, malgré la longue influence
délétère du modèle stalinien, n'a jamais été entièrement repliée
sur elle-même, ignorante des grands courants de pensée des autres
pays du monde et coupée d'eux. La pensée marxiste s'y est donc
développée dans une nécessaire et fécondante polémique avec d'autres
mouvements de pensée et a pu, par ce dialogue, éviter la sclérose.
C'est pourquoi de grands succès ont pu être remportés, sur tous
les plans, économique, politique et culturel, aux première étapes de
la construction du socialisme en Tchécoslovaquie, succès qui ont atteint
leur point culminant en février 1948 lorsque les tentatives d'intervention
américaine pour stopper le développement socialiste ont
été brisées.
Par contre, après la victoire de février 1948 contre les pressions
américaines et contre la réaction intérieure, et après un très bon départ
des premières années du régime, au cours des années cinquante
il s'est produit une déformation de l'organisation économique et politique,
dans le parti et dans l'Etat, caractérisée par des méthodes bureaucratiques
et seigneuriales, une centralisation à outrance, due, en particulier
à l'imitation mécanique de méthodes de direction et de gestion
qui avaient pris naissance dans des pays aux prises avec le sous-développement
et l'isolement, notamment en Union Soviétique. Elles
avaient été aggravées du fait de la situation générale : "guerre
froide", qui exigeait une tension extrême des ressources et des énergies,
une concentration et une personnalisation du pouvoir, et qui
favorisait, au temps de Staline, dans l'ensemble des pays socialistes,
une subordination à la politique soviétique et de multiples violations
de la démocratie socialiste dans le parti et dans l'Etat.
Les conséquences furent graves :
Des difficultés économiques croissantes découlant, entre autres
causes, d'un mode de gestion ne correspondant pas au niveau de développement
de la Tchécoslovaquie.
Une baisse de prestige du parti se transformant en appareil bureaucratique
autoritaire et paralysant les initiatives de la base.
Une politique culturelle aberrante, méconnaissant le rôle nouveau
et l'importance croissante du travail intellectuel dans une classe ouvrière
en pleine métamorphose et procédant par directives tracassières
et stérilisantes à l'égard des intellectuels en voulant leur imposer,
dans une perspective à court terme, une conception étroitement utilitaire
de la culture.
Ce recul était d'autant plus grave et d'autant plus imputable à des
erreurs subjectives que le parti communiste possédait pratiquement
la totalité du pouvoir et disposait de tous les moyens d'expression
pour convaincre les masses de la signification historique du socialisme
et de sa nécessité. Or on avait abouti à une redoutable dépolitisation
des masses.
Le "nouveau cours", inauguré par le Comité Central de janvier
1968, et qui constituait, sous l'impulsion d'Alexandre Dubcek et d'une
équipe dirigeante novatrice, une véritable "renaissance du socialisme",
tendait à faire la démonstration dans les faits :
- de la supériorité des rapports de production socialiste et des modes
de gestion économique qui en découlent, sans avoir pour cela à limiter
les possibilités de la démocratie socialiste, mais au contraire en
les développant avec hardiesse,
- de la supériorité de la démocratie socialiste sur la démocratie
formelle des républiques bourgeoises,
L'objectif essentiel proposé par Dubcek était d'éveiller et de stimuler
l'initiative personnelle de chaque citoyen et d'approfondir
la démocratie socialiste en favorisant la discussion afin que chacun
participe activement non pas seulement à l'application mais à l'élaboration
de la politique du parti et de l'Etat.

LE NOUVEAU MODÈLE DE GESTION ÉCONOMIQUE
A l'origine de l'entreprise de démocratisation commencée en janvier
1968 et interrompue par l'invasion du 21 août, se trouvent les
difficultés économiques rencontrées dans le pays.
L'ancien système de planification centralisée et bureaucratique,
qui a régné sans partage jusqu'en 1965, où toute la vie économique
était régie par des directives d'en haut qui ne pouvaient connaître
ni, par conséquent, tenir compte dans le détail des besoins de la nation
comme des individus, avait conduit, à l'intérieur, à l'accumulation
de produits invendables, alors que les demandes de consommateurs
étaient loin d'être satisfaites; plus de 27% de la production ne
correspondait pas à la demande intérieure. A l'extérieur ce fut la perte,
pour la Tchécoslovaquie, de la plupart de ses marchés, qui tenait
certes, pour une large part aux conditions générales de la politique
internationale des pays hostiles au socialisme, mais aussi au fait que
les prix et la qualité d'un grand nombre d'articles exportables n'étaient
plus compétitifs : plus de 25% de la production exportable ne correspondait
pas aux exigences de la clientèle étrangère.
Les méthodes bureaucratiques entraînaient une politique d'investissements
essentiellement quantitative : l'on créait sans cesse de nouvelles
entreprises sans renouveler et moderniser l'équipement technique des
anciennes. Les indices sur le taux de développement étaient ainsi
trompeurs. L'utilisation massive de techniques périmées dans
un grand nombre d'entreprises ne permettait pas un accroissement
rapide de la productivité. En outre, les moyens financiers destinés
aux investissements n'étaient pas utilisés en priorité pour équiper
les secteurs de pointe, déterminants pour l'avenir, mais, routinièrement,
dans l'exploitation minière et l'industrie lourde. Le résultat
c'est que l'on produisait plus lentement, plus cher, et avec une qualité
inférieure par rapport aux autres pays économiquement développés.
De telles faiblesses dans le domaine de la productivité, de l'efficacité
commerciale et de l'évolution technique, freinées par cette conception
primitive de la planification, ne permettait pas d'élever rapidement
le niveau de vie et de faire, sur ce plan, la preuve de la supériorité du
socialisme sur le capitalisme, la preuve que le socialisme ne se contente
pas d'abolir l'exploitation de l'homme par l'homme, mais comme le
concevaient Marx et Lénine, par une productivité supérieure, crée
les conditions d'un plus haut développement matériel, culturel, et
spirituel de tous les hommes.
Le problème central qui était posé pour surmonter les difficultés
était celui des rapports entre le plan et le marché.
C'est d'ailleurs un problème qui se pose, en des termes différents,
dans tous les pays, socialistes ou capitalistes.
Deux positions extrêmes s'affrontaient en Tchécoslovaquie.
Les uns surestimaient le rôle du plan au point d'imaginer qu'il
pouvait remplacer le marché : tout le système des prix, du crédit,
de la production, était ainsi subordonné aux directives strictes du
plan. Il suffisait alors de perfectionner les méthodes mathématiques
de prévision, et, par le calcul opérationnel, de définir les possibilités,
pour déterminer entièrement d'en haut l'économie optimale, sans
avoir recours au rôle régulateur du marché. Ceci ramènerait l'ancien
système autoritaire, amélioré ou aggravé par une variante technocratique.
L'autre attitude, exaltant sans mesure les vertus du marché dans
ses mécanismes spontanés, tendait à réduire le plan à une simple prévision,
à une orientation générale indicative, et à limiter le plus possible
l'intervention de l'Etat dans l'économie, même du point de vue de la
politique financière, du crédit et des prix. Ce qui aboutirait à l'abandon
des avantages de la société socialiste.
L'orientation qui a finalement prévalu consiste en ceci ; l'élaboration
du plan doit s'appuyer sur l'étude du marché sans que ce réalisme
conduise à s'abandonner à la seule spontanéité. Le problème est
d'établir un juste équilibre entre les indications du marché et les
interventions de l'Etat dont l'une des tâches est de modeler le marché
futur dans une perspective qui n'est pas celle de la "société de consommation"
telle qu'elle se développe dans les pays capitalistes.
L'idée centrale du nouveau système de gestion c'est la recherche
d'une relation nouvelle et d'une harmonie entre le plan et le marché.
L'objectif final étant de régler à long terme le développement de
l'économie et de l'orienter vers des objectifs conformes aux exigences
d'une société créant les conditions matérielles d'un épanouissement
harmonieux de chacun.
Le modèle de production et de consommation à élaborer dans une
perspective socialiste est fondamentalement différent de celui d'une
société capitaliste où l'aiguillon unique du profit privé fait de "la
production pour la production" et de son corollaire : "la consommation
pour la consommation" la "loi immanente et coercitive"
du capitalisme, comme le disait Marx.
Le refus socialiste de ce modèle de la "société de consommation"
ne signifie nullement le refus d'une société dans laquelle chacun désire
très légitimement acquérir les moyens qui le libèrent des travaux
répétitifs et pénibles afin de conquérir l'espace nécessaire et le temps
d'une vie proprement humaine. Refuser par principe les fruits du
progrès technique, les richesses créées par le travail et le génie des
hommes, comme ont parfois tendance à le faire les actuels dirigeants
communistes chinois, c'est une forme d'austérité archaïque et, finalement,
de malthusianisme, tout à fait contraire à l'esprit du marxisme.
Autre chose est de combattre la production et la consommation de
ces biens, autre chose de combattre l'usage aliéné qui en est fait dans
une société fondée sur le seul profit et l'intérêt, où la voiture, au lieu
d'être économie de temps, devient fin en soi, obsession et servitude,
la télévision au lieu d'être moyen d'information devient instrument
de conditionnement psychologique et idéologique rompant les relations
sociales.
Ce que le socialisme condamne dans la "société de consommation"
c'est d'abord un système social dont le moteur est le profit et où les
articles produits en masse étant les plus rentables, il faut créer artificiellement
des besoins pour les écouler : une pression constante est
alors exercée, non seulement par la publicité mais par l'ensemble
des rapports sociaux (lutte de prestige, etc.) pour façonner les comportements
stéréotypés dont le lancement des "idoles" pour les jeunes
est l'expression la plus apparente, l'élément déterminant de la diffusion
d'images publicitaires non de besoins humains, personnels, mais
de réflexes conditionnés montés dans les officines de publicité.
En outre, ces prétendues "sociétés de consommation" interdisent
l'accès à l'opulence à des couches entières de déshérités, la saturation
des besoins "solvables" faisant croire à une "surproduction" alors
que subsiste une insatisfaction profonde de larges masses de consommateurs.
Enfin le propre de ces "sociétés de consommation", en régime
capitaliste dominé par les seuls mécanismes du profit, c'est de privilégier
les besoins individuels au détriment des besoins sociaux qui
ne s'expriment pas sur le marché : culture, habitat, santé, etc.
Un tel modèle de consommation n'est pas seulement un phénomène
économique : i l a une signification humaine. Il est appauvrissement
et mutilation de l'homme. Les relations sociales tendent à se réduire
aux seules relations mercantiles, et "l'être" de l'individu tend à se
définir par son seul "avoir".
Le propre du socialisme est précisément, comme le montrait Marx,
d'arracher l'homme à la force d'inertie des mécanismes du capital, aux
aliénations d'une société fondée sur le profit, où sont inversés les
rapports du sujet et de l'objet, et où, mettant fin à la subordination
de l'homme aux choses, chacun est en mesure de s'interroger sur les
fins, la valeur et le sens des mécanismes pour les transformer et les
maitriser.
Lorsque les communistes tchécoslovaques, dans leur réforme économique,
ont reconnu le rôle du marché et réorganisé leur production,
ils n'ont, à aucun moment, opéré un retour au capitalisme.
Le marché dont il était question était non un marché capitaliste
mais un marché socialiste, c'est-à-dire un marché où n'intervenaient
pas des entreprises fondées sur la propriété privée des moyens de
production, mais des entreprises de production socialiste et des organismes
commerciaux ou bancaires socialistes, et c'est là, précisément
ce qui permettrait d'articuler un tel marché avec une planification à
long terme, et de créer un nouveau modèle humain de civilisation
technicienne.
Toutes les mesures techniques de la réforme économique découlent
de cette préoccupation humaine fondamentale.
Dans une première étape, achevée au cours de 1965, des expériences
portant sur environ 40 % des entreprises industrielles ont mis en
évidence le rôle de l'intéressement matériel des travailleurs pour
stimuler la production et surtout la productivité.
La deuxième étape, ouverte le 1e r janvier 1966, a introduit des
modes nouveaux de fixation des prix et des bénéfices des entreprises
en fonction des coûts de revient et des besoins en capital fixe et circulant.
La troisième étape, qui a commencé en 1967, était celle de la transformation
du mode de gestion accordant une plus grande autonomie
aux entreprises.
Les nouvelles formes d'imposition des entreprises, comme la nouvelle
politique des prix avaient pour objet de faire jouer au budget de
l'État un rôle régulateur en favorisant les investissements tendant à
développer une production non pas extensive mais intensive (c'est-à-dire
augmenter la productivité par l'élévation du niveau technique
des installations et préparant le développement à long terme des entreprises),
rapprocher toujours davantage les intérêts de l'entreprise
et ceux de la société dans son ensemble, en créant des moyens financiers
pour des investissements de plus en plus importants dans l'homme.
La régulation et l'orientation du marché futur et de la consommation
ne se réalise donc pas de façon mécanique et autoritaire, par un
plan conçu et dirigé exclusivement d'en haut. La commission du plan
d'État élabore à long terme, et par la médiation du marché, des changements
de structure sociale et un développement des besoins proprement
humains qui modifient le modèle de consommation.

LA NOUVELLE DÉMOCRATIE SOCIALISTE
Une telle transformation du modèle de gestion économique impliquait nécessairement une métamorphose des structures politiques et un développement considérable de la démocratie socialiste, qui était
à la fois la conséquence et la condition du succès de la réforme économique.
Cette transformation de la structure politique est dominée par la
dialectique de la spontanéité et de la conscience scientifique des fins,
comme la mutation économique était commandée par la dialectique
du plan et du marché.
La démocratisation ne tendait pas plus à la restauration d'une
démocratie bourgeoise, formelle, que la prise en considération du
rôle des relations marchandes ne conduisait à une restauration du
capitalisme.
La démocratie socialiste, à la différence de la démocratie bourgeoise,
met fin à l'exploitation et à la domination de classe en instituant
l'égalité de tous les travailleurs à l'égard des moyens de production.
A la différence de la démocratie bourgeoise, qui s'arrête à la porte
de l'usine, où commence la monarchie patronale, et où le travailleur
n'a aucune part à l'orientation et à la gestion, la démocratie socialiste
ne permet pas que les pressions du capital faussent le jeu des mécanismes
démocratiques.
Une telle démocratie, abolissant les privilèges économiques et
sociaux, en donnant à chacun des possibilités égales au départ, peut
seule créer les conditions d'un épanouissement sans entraves de la
personnalité et des dons de chacun et de tous.
Le mouvement de démocratisation, qui a pris son essor en janvier
1968 pour être brutalement stoppé en août, s'est développé sur trois
plans : fonctionnement démocratique du parti, conception nouvelle
du rôle dirigeant du parti, démocratie socialiste dans l'État.
Le " Programme d'action ", publié en avril 1968, soulignait
le rôle décisif du parti communiste dans l'évolution future de la démocratie
socialiste en Tchécoslovaquie : "Le parti communiste est parfaitement
conscient qu'il n'y aura pas de développement profond
dans la démocratie de notre société si les principes démocratiques ne
sont pas systématiquement mis en oeuvre dans la vie intérieure du
parti, au sein du parti même."
Il importait avant tout, dans le fonctionnement du parti comme en
tout domaine, que le stalinisme laisse la place au marxisme.
"Nous rejetons sans équivoque, disait Alexandre Dubcek devant le
Comité central du 12 avril 1968, les méthodes seigneuriales et
administratives dans le travail du parti. Elles stérilisent l'activité de ses membres."
La première mesure concrète fut d'en finir avec le cumul des
fonctions, notamment celui des deux fonctions les plus responsables
entre les mains d'un seul homme qui était à la fois le chef du parti
et le chef de l'Etat, ce qui conduisait nécessairement à la personnalisation
du pouvoir.
Il fallait en finir aussi avec la pratique de la direction administrative,
qui entraînait une limitation des responsabilités intellectuelles,
une indifférence et une passivité.
La discipline, conçue comme acceptation automatique des décisions
d'en haut ne pouvait plus être le critère de la promotion des cadres :
un vaste champ d'action fut ouvert aux initiatives et à la responsabilité
personnelle de chaque membre. L'aptitude à la création étant
un critère primordial du choix des dirigeants, et non pas l'obéissance
mécanique.
L'unité du parti cessait d'être formelle lorsqu'elle n'était plus fondée
sur la passivité mais sur la conscience et la participation créatrice
de chaque militant. Cela supposait que l'on cesse de confondre "le
parti" avec ses organismes supérieurs et son appareil.
Cela supposait que ne soient pas distillées précautionneusement
aux militants les vérités officielles qu'ils avaient le droit de connaître,
et que l'on ne laisse pas aux dirigeants le soin de protéger la base,
comme un mentor, de la connaissance des faits ou des thèses qui
risqueraient d'ébranler sa "foi".
Cela supposait que les grands problèmes, y compris ceux de l'orientation
fondamentale, soient hardiment soumis au jugement des militants
de base, en leur laissant prendre connaissance des différentes
thèses en présence. Les droits de la minorité étaient garantis par le
nouveau projet de statut du parti d'août 1968 qui, pour permettre
une libre circulation des idées, reconnaissait à la minorité le droit de
faire connaître son point de vue, et d'en demander la discussion.
Il ne s'agissait nullement de rompre avec le centralisme démocratique
puisque les décisions prises à la majorité devaient être exécutées
par tous, mais de rétablir le juste rapport dialectique entre le
centralisme et la démocratie.
Cette démocratisation de la vie intérieure du parti permettait de
repenser, dans l'esprit de Marx et de Lénine, et dans celui de Staline,
la conception du rôle dirigeant du parti.
Car jusque là il n'existait pas, à proprement parler, de rôle dirigeant
du parti, mais de direction de toutes les activités du pays, non
par la classe ouvrière et son parti, mais par le seul appareil du parti
monopolisant toutes les formes du pouvoir et se substituant ou s'imposant
à tous les organes de direction de l'économie, de l'Etat ou de la
culture.
"Le rapport des communistes avec ceux qui sont en dehors du parti,
le rapport du parti avec le reste de la société, disait Dubcek, devient
la question-clé d'aujourd'hui."
Le parti exerce véritablement son rôle dirigeant non lorsqu'il donne
des ordres et en impose l'exécution, mais lorsqu'il suscite des
initiatives et, dans la libre émulation de chaque jour, fait la preuve
pratique de son aptitude à les coordonner et à les faire converger
vers le grand but commun : la construction du socialisme. Nous
sommes ici aux antipodes de la conception stalinienne selon laquelle
le parti était le seul moteur et tout le reste " courroie de transmission".
Il faut, pour cela, ajoutait Dubcek, mieux connaître l'opinion des
larges masses dans le parti et hors du parti, fonder la démocratie
socialiste sur "la participation humaine", rechercher "continuellement
et directement le contrôle de la population" sur l'activité du
parti comme sur celle de l'Etat.
Car selon l'expression si forte de Lénine, le socialisme ne se construit
vraiment que lorsqu'il est construit non seulement pour les
les travailleurs mais par eux.
La conscience du but et la science du développement des sociétés
n'est pas un héritage reçu de la direction du parti, considérée comme
possédant, de droit et une fois pour toutes, la vérité et habilitée, par
conséquent, à l'apporter aux masses du "dehors", à agir selon les
principes d'un despotisme plus ou moins éclairé en demandant seulement
aux chercheurs, surtout dans les sciences humaines, de faire
l'apologie des décisions prises et de l'état de chose existant.
C'était là une conception fondamentalement erronée des rapports
du parti avec la science en général et les sciences humaines en particulier
: dire que l'édification du socialisme est affaire de science implique
que les dirigeants politiques aient la possibilité et le devoir de
confronter les connaissances acquises par les spécialistes avec leurs
expériences et celles des masses en considérant que cette composante
"intellectuelle" fait partie intégrante du "travailleur collectif", de la
classe ouvrière, et, par conséquent, participe à part entière à son rôle
dirigeant.
En ce qui concerne la démocratie socialiste dans l'Etat, dans un
pays de tradition républicaine bourgeoise, comme la Tchécoslovaquie,
le problème du rôle du Parlement et des partis dans l'Etat socialiste
est un problème très important mais qui n'est pas le seul.
La renaissance du parlement comme foyer autonome d'initiatives,
le rappel de l'indépendance de la magistrature, le respect des droits
constitutionnels, tout cela est un moment nécessaire de la démocratisation.
Il en est de même des partis politiques et de leur pluralité. Le problème
se pose ici dans d'autres termes que dans un pays capitaliste.
Le "Programme d'action" souligne que l'un des résultats les plus
positifs, depuis 1948, c'est l'amenuisement des oppositions de classes.
Ce qui implique deux séries de conséquences :
- d'abord la lutte de classes n'exige plus les mesures de contrainte
rigoureuses qui étaient nécessaires au temps où il s'agissait de vaincre
l'ennemi de classe,
- ensuite les rapports entre les partis qui, aujourd'hui en Tchécoslovaquie
se réclament tous du socialisme, doivent être des rapports de
coopération entre partenaires et non des rapports entre des partis
exprimant les intérêts de classes ou de couches sociales antagonistes
comme dans le système parlementaire bourgeois.
Mais le problème fondamental n'est pas de transformer le régime
parlementaire bourgeois, c'est-à-dire la démocratie indirecte, en régime
parlementaire socialiste, fondé sur le même principe de démocratie
indirecte, représentative.
Le problème fondamental est de compléter ce système par les organes
d'une démocratie directe propre à se développer en autogestion
socialiste.
Les linéaments de cette démocratie directe commencent à apparaître
en Tchécoslovaquie après le Comité central de janvier.
D'abord sous la forme d'échanges entre la direction et la base,
dont les instruments sont les communications de masse, la liberté de
la presse et de tous les moyens d'expression. C'est pourquoi l'une des
mesures les plus significatives du "nouveau cours" fut la suppression
de la censure : l'on décidait ainsi d'affronter la discussion à armes
égales et c'était là un changement radical dans le style de travail du
parti.
La deuxième forme de démocratie directe est liée à la transformation
de la conception des syndicats dans le sens où Lénine les concevait
: non pas comme une "courroie de transmission" du parti ou
de l'Etat mais comme une organisation de masse autonome, dont
l'une des missions, disait Lénine, est de défendre les ouvriers
contre les déformations bureaucratiques de l'appareil du parti et
de l'Etat.
Le troisième élément, à l'état naissant, de cette démocratie directe,
c'est la gestion directe et l'administration des entreprises par les conseils
ouvriers. Ces méthodes ont permis d'échapper au régime des
"manageering" et de la technocratie. Le modèle d'autogestion envisagé,
après une étude profonde des difficultés yougoslaves, devait être une
synthèse de l'autogestion et des principes du "manegeering" afin de
faire disparaître l'aliénation ouvrière tout en dynamisant l'économie.
Enfin la création d'un Etat fédéral donnait à la nation slovaque
et à sa culture de nouvelles possibilités.
Telles sont les bases de départ d'une véritable démocratie socialiste
de l'Etat.
La pierre de touche d'un système socialiste en train de se construire,
c'est son attitude à l'égard des créateurs.
Car l'essence du socialisme c'est précisément d'être le régime capable
de faire de chaque homme un homme, c'est-à-dire un créateur,
un moment décisif de l'initiative, de l'histoire de la création continuée
de l'homme par l'homme.
Rien n'est plus meurtrier, pour lui, que de prétendre assigner à la
science ou à l'art le rôle immédiatement et strictement utilitaire de
justifier ou d'illustrer ses mots d'ordre à court terme.
Ce fut, jusqu'ici, la politique habituelle des pays construisant le
socialisme sous la contrainte proche de vaincre le sous-développement.
La dimension prophétique de l'oeuvre d'art était ainsi méconnue ou
niée. Le critère principal d'appréciation était le rôle joué par elle dans
la stratégie générale de la construction du socialisme.
Cette erreur fondamentale était un corollaire de la thèse selon laquelle
le socialisme se définit à peu près uniquement par sa base économique
: l'abolition de la propriété privée des moyens de production.
Tout ce qui servait immédiatement cet objectif : accélérer
le développement était bon, vrai, beau. Tout le reste, en art
en particulier était balbutiement de primitif ou perversion de décadent.
L'un des mérites essentiels du "nouveau cours" de la politique
tchécoslovaque a été de poser, d'une manière nouvelle, le problème de
la place des intellectuels dans la nation.
D'abord en ne les opposant pas à la classe ouvrière, en ne les considérant
pas, en bloc, comme appartenant aux "classes moyennes"
avec le rôle diminué que cela implique dans une perspective marxiste.
Ceux qui ont élaboré un modèle humain de la civilisation technicienne,
ont situé à l'intérieur même de la classe ouvrière, comme l'une de ses
composantes les plus riche d'avenir, en raison des conditions nouvelles
du travail nées de la révolution scientifique et technique, le travail
intellectuel et le travail créateur.
A partir de là les problèmes posés par le développement de la culture,
de la recherche scientifique et de la création artistique, ne pouvaient
plus être résolus par des décisions administratives. L'oeuvre
d'art, comme la recherche scientifique, est un moment - et non le
moindre - du travail humain, son moment prospectif, celui de l'anticipation
des fins, du projet, en lequel, Marx, dans Le Capital , reconnaissait
le caractère spécifiquement humain du travail.
C'est ce que proclamait Dubcek devant le Comité Central le 1er
avril 1968 : "Nous aspirons non seulement à un grand développement
des branches de la science qui sont liées à l'accroissement des forces
productives et à la révolution scientifique et technique, mais aussi à
l'essor des sciences humaines et de tous les domaines de l'art qui aident
les hommes à trouver un nouveau style de vie."
Parce que les problèmes, sur tous les plans, ont été posés ainsi,
le Parti communiste tchécoslovaque, depuis le mois de janvier, avait
réussi à rallier l'immense majorité de la population à sa politique,
non par une acceptation passive, mais, comme l'écrivait Dubcek,
"par une activité inaccoutumée de nos concitoyens", par l'activité
créatrice et en même temps spontanée de larges masses, communistes
en tête. Voilà pourquoi le facteur moral a surgi avec une nouvelle
force après la session du Comité central de janvier.
Voilà aussi pourquoi des millions de communistes ont salué avec
joie le printemps de Prague, son renouveau du socialisme, et se doivent
d'étudier les enseignements du modèle créé et de la répression étrangère
qui l'a empêché de se réaliser. Voilà pourquoi aussi ils ont réprouvé
l'invasion du 21 août comme un crime contre l'espérance, un crime
contre le socialisme, un crime contre l'avenir.





Table des Matières
Introduction : La Liberté en sursis par Roger Garaudy 9
1. - Ce que nous voulons par Alexandre Dubcek 25
2. - La démocratie socialiste par Alexandre Dubcek 35
3. - Le programme d’action du Parti communiste de Tchécoslovaquie 45
4. - L e système de gestion économique par Ota Sik 65
5. - Pour un modèle humain de la civilisation technicienne
par Radovan Richta 77
6. - Démocratie socialiste et centralisme bureaucratique
par Frantisek Chamalik 101
7. - Un nouveau style de travail par Gustav Husak 121
8. - Notre politique étrangère par Jiri Hajek 131
9. - La culture , les écrivains et la démocratie socialiste
par Edouard Goldstucker 137