30 août 2010

Les mythes fondateurs de la politique américaine


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L'anti-américanisme n'est ni une forme de nationalisme ni de racisme ni d'aucune forme du refus de l'autre, d'un autre homme ou d'un autre peuple. Il est la lutte contre un système, contre une conception de l'homme et d'un mode de vie. Historiquement il est né dans un continent qui tente de l'imposer au monde par la puissance des oligarques politiques, financiers et militaires aujourd'hui à la tète des Etats-Unis. Ils ne peuvent d'ailleurs le faire qu'avec la complicité et la servilité des dirigeants d'un grand nombre de pays.
Pour être plus clair encore -pour ceux surtout qui voudraient confondre "anti-américanisme " et xénophobie- pour enlever au mot "américain ", qui désigne un mode de vie et une conception du monde, toute attache géographique ou ethnique avec ceux qui sont nées ou ont émigré en Amérique depuis 1620, avec le " Mayflover ", et qui y ont créé ce système à la fois colonial et racial (selon ses origines), dominateur et mercantile (selon son histoire), j'appelle "américain " tous ceux, dans le monde, qui veulent imposer au peuple ce "modèle ". Sa caractéristique principale est que la société toute entière est soumise aux exigences de l'économie et du marché et non l'économie et le marché au service de la société.
Madame THATCHER et TONY BLAIR, CHIRAC et JOSPIN ( " avec leur effacement de l'Etat devant le
marché "), SCHROEDER, SOLANA et tant d'autres de leur "gang " sont aussi "américains " que CLINTON ou Madame ALBRIGHT, KISSINGER ou BREZEZINSKY.
Tel est le fondement de notre "anti-américanisme" : il est dirigé contre un système et ses dirigeants, et combat pour en libérer le peuple américain dans son immense majorité qui est, comme nous, victime du même "système ".
L'américanisme nous avons donc à le combattre partout, et parfois même jusqu'au dedans de nous-mêmes. Car ce système, comme nous le montrerons, s'il triomphait universellement, nous conduirait à un suicide planétaire et à un effacement de l'homme, c'est à dire de la recherche du sens humain et divin de notre vie et de notre commune histoire.
Cet américanisme ne porte pas ce nom parce qu'il serait la tare propre d'un peuple ou d'une nation mais parce que le complexe militaro-industriel qui dirige sa politique aux Etats-Unis détient aujourd'hui, grâce à deux guerres mondiales, la plus grande richesse et la plus grande puissance.
Notre analyse aura pour objet d'en retracer la genèse, les étapes de son développement, et son étape actuelle qui, à travers les convulsions d'un monde cassé, nous conduirait à l'abîme si nous ne découvrions pas, comme nous l'essayerons, les moyens d'en stopper les dérives. 

LES MYTHES FONDATEURS DE LA POLITIQUE AMERICAINE
Ce qu'on appelle "le nouveau monde " parce que le colonialisme a systématiquement ignoré et détruit les brillantes civilisations qui, depuis des millénaires, peuplaient ce continent, avait déjà connu, dans son hémisphère Sud, des destructions telles, après l'arrivée de Christophe COLOMB, que le premier prêtre ordonné aux Amériques, et devenu évêque, Monseigneur BARTOLOME de LAS CASAS, pouvait écrire dans son livre: LA DESTRUCTION DES INDES : " la barbarie est venue d'Europe ".
Dans l'hémisphère Nord, au-delà du Mexique, le colonialisme s'est introduit sous une forme nouvelle. Lorsqu'en 1620, un groupe d'émigrants anglais, calvinistes puritains fuyant les persécutions, débarquèrent dans le Massachusetts, ils considéraient que leur vocation était de créer une terre nouvelle. Ces colons qui devinrent, deux siècles après, les créateurs des Etats-Unis, s'enracinant dans un pays où ils n'avaient point d'histoire, se fondèrent sur le mythe : leur départ d'Angleterre était un nouvel " exode " biblique.
L'Amérique était la " terre promise " pour y bâtir le Royaume de DIEU. Ils invoquèrent cette mission divine pour justifier leur chasse aux Indiens et le vol de leur terre, selon le précèdent biblique de JOSUE et de ses " exterminations sacrées " : " Il est évident -écrit l'un d'eux- que DIEU appelle les colons à la guerre... Les Indiens comme probablement les anciennes tribus des Amalécites et des Philistins, qui se liguèrent avec d'autres contre Israël ". TRUMAN NELSON " The puritans of Massachusetts : From Egypt to the Promise Land. " (Judaïsm Vol. XVI, 2, 1967)
La " terre promise " devint dès lors une terre conquise. Cette pratique de spoliation et de massacres n'était pas en contradiction avec leur conception religieuse, car l'enrichissement, comme la victoire étaient pour eux le signe de la bénédiction divine.
Lorsqu'ils proclamèrent leur indépendance à l'égard de l'Angleterre, le Père Fondateur, Georges WASHINGTON, dans son discours inaugural comme Président des Etats-Unis, donna la formule la plus parfaite de ce qui allait devenir le principe directeur de la politique américaine jusqu'à nos jours ; "Aucun peuple, plus que celui des Etats-Unis, n'est tenu de remercier et d'adorer la main invisible qui conduit les affaires des hommes. Chaque pas qui les a fait avancer dans la voie de l'indépendance nationale semble porter la marque de l'intervention providentielle."
La " main invisible " est l'expression inventée par ADAM SMITH pour couronner sa théorie économique : si chaque individu poursuit son intérêt personnel, l'intérêt général sera réalisé. Une " main invisible " réalise cette harmonie.
WASHINGTON voit dans cette " main invisible " " l'intervention providentielle " de DIEU en même temps que la loi fondamentale de l'harmonie entre les intérêts individuels et l'intérêt général.
Son successeur, JOHN ADAMS écrivait en 1765 : " Je ne cesse de considérer la fondation de l'Amérique comme un dessein de la Providence, conçu en vue d'éclairer et d'émanciper la portion de l'humanité qui se trouve encore réduite en esclavage. " L'écrivain HERMAN MELVILLE au XIX ème siècle : " Nous les Américains, sommes un peuple particulier, un peuple élu, l'Israël de notre temps ; nous portons l'arche des libertés. " (America as a civilization. p.893)
Il est significatif que jusqu'à nos jours soit évoquée cette profession de foi et son premier auteur : sur chaque dollar sont imprimés côte à côte le portrait de WASHINGTON et cette devise, inattendue sur un billet de banque : " IN GOD WE TRUST " (Nous avons foi en DIEU).
Ce sera désormais une constante de la politique du nouveau " peuple élu " : DIEU et le dollar sont les deux mamelles du pouvoir.
Le successeur de WASHINGTON à la présidence des Etats-Unis, JOHN ADAMS, déclare à son tour " L'Amérique a été créée par la Providence, pour être le théâtre où l'homme doit atteindre sa propre stature. " (Autobiographie. Tome I. p. 282)
Les premiers théoriciens de la confédération ne cessent, comme le Révérend DANA, de souligner cette filiation divine du Nouvel Etat : " La seule forme de gouvernement, expressément instituée par la Providence fut celle des Hébreux. C'était une république confédérale avec JEHOVAH à sa tête. " (DANA. Sermons. p. 17)
Le troisième Président des Etats-Unis, JEFFERSON, proclamera, lui aussi, que son peuple est " le peuple élu de DIEU ". (Notes sur l'Etat de Virginie. Section XIX)
Tout comme le Président NIXON, deux siècles après, dira : " DIEU est avec l'Amérique. DIEU veut que l'Amérique dirige le monde. "
Il en sera de même pour tous les Présidents des Etats-Unis pour justifier toutes leurs prédations. La contradiction entre la profession de foi et la pratique réelle, est une constante de la politique américaine : le Président Mac KINLEY partait à la conquête des Philippines pour les " élever, les civiliser et les
christianiser ".
" Pour ne citer que quelques exemples : en 1912, envahissant le Mexique, le Président TAFT déclarait : " Je dois protéger notre peuple et ses propriétés au Mexique jusqu'à ce que le gouvernement mexicain comprenne qu'il y a un DIEU en Israël et que c'est un devoir de lui obéir. "
Le langage n'a pas changé de WASHINGTON à CLINTON, l'Amérique, selon les oligarques qui la dirigent, n'ayant pas cessé d'être le bras armé de la Providence divine. En pleine guerre du Viêt-nam, le Cardinal SPELLMAN, Archevêque de New York, parlant au nom de tous ceux qui " croient en l'Amérique et en DIEU " allait à Saigon pour dire aux massacreurs du Viêt-nam : " Vous êtes les soldats du CHRIST ! "
Aujourd'hui encore, pour justifier son surarmement et son trafic d'armes, qui sont le fondement le plus efficace de la " prospérité économique " des Etats-Unis, à la fois par les subventions gouvernementales, le financement, par l'Etat, de la recherche et du développement en faveur des industries de guerre, et de la vente d'armes à l'étranger, secteur le plus florissant des exportations américaines, SAMUEL HUNTINGTON, idéologue du Pentagone, dans son livre " LE CHOC DES CIVILISATIONS " déguise les projets d'hégémonie mondiale des Etats-Unis en une croisade religieuse opposant la " civilisation judéo-chrétienne à la collusion islamo-confucéenne. "
Les politiciens, les médias et leurs promoteurs, se chargent d'anesthésier le peuple en travestissant ces mythes en réalité historique. Et ceci dès les origines. L'un des premiers et des plus pénétrants analystes de la politique américaine, TOCQUEVILLE, notait déjà : " je ne sais si tous les Américains ont foi dans leur religion, mais je suis sûr qu'ils la croient nécessaire au maintien des institutions républicaines. " Il ajoutait : " Les uns professent les dogmes chrétiens parce qu'ils y croient, les autres parce qu'ils redoutent de n'avoir pas l'air d'y croire. ...Aux Etats-Unis le souverain est religieux et par conséquent l'hypocrisie doit être commune. "
Déjà Alexis de TOCQUEVILLE avait décelé ce conformisme dans son livre sur la " DEMOCRATIE AMERICAINE " en 184O : " Je ne connais pas de pays où il y a si peu d'indépendance d'esprit et de discussion qu'aux Etats-Unis. "
En 1858, l'écrivain Henry David THOREAU, l'un des rares dissidents (auteur de WALDEN, ou LA VIE DANS LES BOIS), écrivait : " Nul n'a besoin d'une loi pour contrôler la liberté de la presse. Elle le fait elle-même et plus qu'il ne faut. Virtuellement la communauté, arrivée à un consensus concernant les choses qu'on peut exprimer, a adopté une plate-forme et a convenu tacitement d'excommunier quiconque s'en écartait, si bien que pas un sur mille n'ose exprimer quelque chose d'autre. " Le conditionnement et la manipulation de l'opinion publique, qui sont aujourd'hui, dans les pays dont les dirigeants ont accepté la tutelle américaine, ce que l'on appelle " la pensée unique " fut l'une des caractéristiques de " l'américanisme " originel.
Le MAC CARTHYSME n'a pas attendu MAC CARTHY, en 1952, pour régner, mais celui-ci lui a donné son label d'" anti-américanisme ", aux Etats-Unis même, en y traquant les activités " unamerican " (anti-américaines ou " non-américaines "), même chez ses plus respectables intellectuels, par exemple OPPENHEIMER, l'un des pionniers de la recherche de l'énergie atomique.
Cette composante de l'américanisme, à une époque d'apogée des Etats-Unis, était une version moderne du puritanisme inquisitorial des origines, lorsque les législateurs du Connecticut, dans les années 1640-1650, TOCQUEVILLE nous le rapporte, édictaient cette loi pénale puisée dans les " livres sacrés " : " Quiconque adorera un autre DIEU que le Seigneur sera mis à mort. "
La différence fondamentale, c'est qu'on invoque aujourd'hui le même DIEU pour défendre d'autres " valeurs ", ou plutôt une absence de valeurs autres que marchandes : la liberté (du commerce) ou les " droits de l'homme " (qui sont le dernier souci des oligarques).
Tel était donc le premier MYTHE de la politique américaine, le plus sanglant de tous : nous sommes le " peuple élu ", car il a servi de justification à toutes les exactions nationalistes et colonialistes en établissant une hiérarchie entre les races supérieures et les races inférieures avec le " droit " de domination qui en découle et aussi avec la prétention de se situer, grâce à cette investiture divine, au-dessus toute loi internationale (par exemple les décisions de l'ONU) qui n'émanent que de volontés humaines. (L'Etat d'Israël considérait comme " chiffon de papier " -l'expression est de BEN GOURION- la première résolution de l'ONU concernant l'Etat d'Israël : celle qui institue cet Etat et qui en fixe les frontières, ou encore les Etats-Unis engageant la guerre contre la Yougoslavie, en violation de la loi internationale sur la souveraineté des peuples, et sans mandat de l'ONU.)
L'on sait par exemple à quelles exactions, dans sa variante hitlérienne, le nom de " peuple élu " conduisit l'exaltation de la supériorité de la " race aryenne ", du " peuple élu ", germanique, ayant pour mission de créer un " homme nouveau " en instaurant une domination universelle. A une telle prétention, se réclamant d'une " élection divine ", ROUSSEAU répondait avec fermeté : " Votre Dieu n'est pas le nôtre, dirai-je à ces sectateurs. Celui commence par se choisir un seul peuple et proscrire le reste du genre humain, n'est pas le père commun de tous les hommes. " (Emile. Livre 4)
Le deuxième fondement de l'américanisme est celui qui naquit aussi de la Déclaration d'Indépendance et de son interprétation immédiate par le premier Secrétaire d'Etat au trésor désigné par WASHINGTON : Alexandre HAMILTON.
HAMILTON était, pour l'essentiel, un disciple d'Adam SMITH, considérant que la propriété était un droit " sacré " de l'homme, et que sur le marché (où se rencontrent, guidés à leur insu par une " main invisible ", les intérêts personnels, ils convergent vers " l'intérêt général ").
Le marché est ainsi le seul régulateur des relations sociales.
HAMILTON se sépare de SMITH sur un point seulement : le rôle de l'Etat. Chez HAMILTON l'Etat doit, non pas intervenir pour atténuer les inégalités croissantes qu'engendre nécessairement le libre jeu de la concurrence sur le marché, mais au contraire pour y devenir le partenaire des entreprises les plus performantes en allégeant leurs impôts et taxes, et en leur accordant le maximum d'aide ou de commandes publiques.
La Banque Centrale, en particulier, doit jouir d'un statut autonome la mettant à l'abri de tout contrôle démocratique qui risquerait d'interférer dans l'affrontement permanent entre les forts et les faibles.
L'un des traits les plus remarquables de la doctrine d'HAMILTON (si proche de Georges WASHINGTON qu'il fut l'inspirateur du discours d'adieu à la nation de celui-ci lors de son retrait) c'est la place éminente qu'il accorde à la corruption comme élément moteur du système puisqu'elle est une incitation majeure dans la recherche de l'intérêt personnel, moteur du système.
Ce rôle de la corruption, indispensable corollaire de l'économie de marché, caractéristique, jusqu'à nos jours, de " l'américanisme " triomphant, c'est à dire du " monothéisme du marché ", est reconnu comme une conséquence logique, inéluctable, du système.
Alain COTTA, dans son livre sur "LE CAPITALISME DANS TOUS SES ETATS", définit la logique du système : " La montée de la corruption est indissociable de la poussée des activités financières et médiatiques. Lorsque l'information permet, à l'occasion d'opérations financières de tous genres -en particulier celles de fusions, d'acquisitions et d'OPA- de bâtir en quelques minutes une fortune impossible à constituer fût-ce au prix du travail intense de toute une vie, la tentation de l'acheter et de la vendre devient irrésistible. " (Alain COTTA : " LE CAPITALISME DANS TOUS SES ETATS " Ed. FAYARD 1991)
L'auteur ajoute : " l'économie marchande ne saurait qu'être favorisée par le développement de cet authentique marché ...La corruption joue en somme un rôle analogue au plan. "
NOAM CHOMSKY a parfaitement défini l'objectif essentiel de la politique extérieure américaine de défense de la " démocratie ", c'est à dire des sociétés " ouvertes " :
" La politique étrangère des Etats-Unis est conçue pour créer et maintenir un ordre international dans le cadre duquel les entreprises des Etats-Unis peuvent prospérer, un monde de 'sociétés ouvertes', ce qui signifie des sociétés qui sont ouvertes aux investissements fructueux, favorables à l'expansion du marché d'exportation et aux transferts de capitaux, ainsi qu'à l'exploitation des ressources humaines et matérielles par les entreprises américaines et leurs succursales locales. Les 'sociétés ouvertes', dans la véritable acception du terme, sont des sociétés qui sont ouvertes à la pénétration économique et au contrôle politique des Etats-Unis ".
Telles sont à l'origine, les principales composantes de " l'américanisation ".
1 - La conviction d'être le " peuple élu " ayant la " destinée manifeste " de dominer le monde pour y instaurer la cité de DIEU.
2 - La certitude que le signe de cette élection divine est la réussite et le succès, dont la manifestation la plus évidente est la richesse, quels que soient, selon les conceptions d'HAMILTON, à l'aube du système, les moyens employés par les " gagnants " pour y parvenir.
3 - Les inégalités initiales dues à la race ou à l'hérédité d'une condition sociale font du
" libre échange " la règle du jeu la plus efficace pour donner aux plus forts la possibilité d'écraser les plus faibles.
4 - De là découle que la réussite dans les affaires est " un acte moral ", selon l'expression de SCHLESINGER, et que les " gagnants " et surtout les supergagnants y sont honorés sinon sanctifiés. C'est ainsi que John ROCKFELLER évoquait sa " mission "; " C'est DIEU qui m'a donné la fortune ... Le pouvoir de gagner de l'argent est un don de DIEU ... Ayant reçu ce don, j'estime de mon devoir de gagner toujours plus d'argent et de l'employer pour l'humanité selon le mode que me dicte ma conscience. "
Le même arôme spirituel se dégage des succès économiques du pays comme des réussites individuelles. Dans un " séminaire " sur le thème : " Salut économique et salut spirituel " organisé à Los Angelès en mai 1981, réunissant 300 chefs d'entreprises sous le Patronage de la Maison Blanche, NELSON HUNT, propriétaire de la chaîne hôtelière Hilton, déclarait : " Le plus important pour notre pays est d'avoir un environnement spirituel qui signifiera que nous pourrons gagner l'argent que nous sommes à même de gagner. " (Cité dans " LES AMERICAINS " Ed. Mazarine 1983)
Dès 1840 le premier et le plus perspicace observateur des Etats-Unis, TOCQUEVILLE, dans son livre "LA DEMOCRATIE EN AMERIQUE" analysait déjà ce mécanisme alors à l'Etat naissant : " Je ne connais pas de peuple où l'amour de l'argent tienne une plus grande place dans le cœur des hommes ". Un peuple ", ajoutait-il, qui est " une agglomération d'aventuriers et de spéculateurs. " Ce n'était pas là une appréciation raciste sur un peuple, mais la conséquence des conditions historiques de la naissance d'une " nation " qui n'en était pas une, mais comme le dit TOCQUEVILLE, un " conglomérat " d'émigrants n'ayant ni une histoire ni une culture commune.
Ces hommes, quelle que soit leur origine, sont venus, dans leur grande majorité, pour trouver du travail et gagner de l'argent.
Le seul lien qui les rassemblait, Irlandais ou Italiens, Mexicains ou Chinois, était analogue à celui qui lie les membres du personnel à l'entreprise qui les embauche.
Aucune culture autochtone (les Indiens étant exclus) ne pouvait assigner une finalité spirituelle commune à un tel rassemblement de déracinés.
Même si le fait fut masqué par les mythes fondateurs (comme celui de " l'élection divine " et de la " destinée manifeste ") les Etats-Unis furent, dès l'origine, une organisation régulée par la seule rationalité économique et technologique, à laquelle chaque individu participe comme producteur et consommateur, comme défricheur ou comme spéculateur, comme prédateur rival de tous les autres dans l'appropriation de la terre, du pétrole ou de l'or, avec pour seule fin l'accroissement quantitatif de son pouvoir d'achat des choses, et, s'il en est besoin par la corruption des hommes, selon le dogme hamiltonien de la primauté de la corruption. Toute réflexion sur la finalité dernière et le sens de la vie n'ayant, dans le système, aucune raison d'être, et demeurant affaire privée réservée à une infime minorité résistant héroïquement à l'ambiance du vide spirituel d'un univers néo-darwinien obéissant à ce que l'un de ses plus brillants partisans appelle " les lois divines du marché ". (Edward N. LUTTWAK. " LE TURBO-CAPITALISME ".Ed. Odile Jacob. 1999. p.94)
Cette absence de finalité, en dehors de celle de la puissance et de la richesse, est non-seulement une caractéristique du système, mais une condition de survie.
LUTTWAK évoque avec beaucoup de franchise et de cynisme que, dans le régime qu'il défend (et qui est l'ultime développement du capitalisme), " la perte d'authenticité de la personne est en quelque sorte voulue. L'abandon délibéré de la conscience pour une existence somnambulique ... est la meilleure option restante. C'est la garantie du succès pour les entrepreneurs de haut vol les politiciens de premier plan et autres gagneurs, car ils gâteraient leur composition s'ils réfléchissaient aux fins ultimes .... Le turbo-capitalisme ne se contente pas de conquérir des marchés, il étend l'étreinte du marché à toutes les sphères de l'activité humaine. " (Op. cit. p. 285) et il cite en exemple " les Beaux Arts, la littérature, le sport " entièrement détournés de leurs fins ultimes par les exigences du marché : " attirer un public solvable ou des sponsors... il doit devenir un spectacle maximisant le profit ". (Ibidem p. 287)
Cette absence de toute finalité proprement humaine ou divine est la caractéristique la plus profonde de l'" américanisme " régnant aujourd'hui sur le monde : la confusion des moyens et des fins, la substitution du comment ? au pourquoi ? L'argent devenu religion étant le moyen qui se substitue à toutes les fins.
Cette maladie (l'américanisme) a gagné le monde, et l'" anti-américanisme " est une lutte contre cette maladie dont nous avons à guérir le peuple américain lui-même, victime des oligarques financiers, politiques, militaires, qui lui imposent ces vies sans but, cette politique et cette histoire sans signification comme ils tentent aussi de l'imposer au monde.
Une définition profonde du " monothéisme du marché " qui est le dogme dominant de l'américanisme, est donnée (à propos de l'enseignement de l'économie politique, mais elle est valable pour tous les domaines de la culture) par l'économiste Michel ALBERT dans son livre : " CAPITALISME contre CAPITALISME " : (Ed. du Seuil. 1993. p. 230) : " L'impératif catégorique est d'évacuer la question philosophique de la finalité. "
L'on ne peut oublier, faisant la Genèse de l'américanisme, que les Etats-Unis, avant la proclamation de leur indépendance, sont une colonie. Avec tout ce que cela implique de racisme fondamental de la part de la
" race supérieure ", celle du colon.
Sans quoi l'on ne saurait comprendre la contradiction fondamentale du système, avec ses proclamations abstraites d'universalisme en faveur de la "race blanche" et le refus de l'autre, indien ou noir en particulier.
Ainsi, dès le départ de la " compétition " économique, il existe une inégalité radicale.
D'abord, d'après le recensement de 1790, les esclaves noirs-exclus de tout droit civique -constituent 17 % de la population de 4 millions d'habitants-. Parmi les blancs, pour ne retenir qu'un exemple, à Boston, les 10 % les plus riches possèdent les 5/8 des biens de l'ensemble de la population constituée (outre les esclaves noirs) d'ouvriers et de marins pauvres.
Pour justifier l'esclavage les arguments sont variés. D'abord religieux: pour les arrivants, dépositaires du projet divin de reconstruire la " cité de DIEU " dans le "Nouveau Monde", les indiens, n'étant pas chrétiens, sont les suppôts du démon qu'il convient d'exterminer comme le fit JOSUE pour les Amalécites.
A cette justification religieuse, se substitue ou plutôt s'ajoute, un argument fondé sur une conception simpliste, unilinéaire, évolutionniste, de l'histoire : l'indien comme une " bête sauvage " vit de la chasse. "Vivre d'agriculture est le fait du genre humain ; vivre de la chasse est le fait du genre animal... La Révélation a dit à l'homme : Tu travailleras la terre. " Cela seul définit la vie humaine. (BRACKENBRIGE. Indian atrocities, 1782) (1)
L'argument du " démoniaque " s'ajuste parfaitement à l'argument raciste du " barbare ". Ce qui demeure c'est la volonté de destruction de l'autre en le diabolisant.
FRANKLIN conseillait même de pousser les Indiens à l'alcoolisme pour hâter leur disparition et, en attendant, de les dépouiller de la Terre : " Je suis d'avis qu'il faut les obliger à céder une portion de leur territoire, celle qui conviendra le mieux à nos établissements "(2).
Au nom de ces mythes religieux et racistes, les Etats-Unis procédèrent à la plus grande entreprise d'"épuration ethnique" de l'histoire par une " chasse à l'Indien " dont la résistance ne sera écrasée militairement qu'en 1890, avec le massacre des Sioux à Wounded Knee.
Le même refus colonialiste et raciste de l'autre, se déchaîne ensuite contre les noirs avec une extension rapide de la traite des esclaves.
Là encore servit d'abord la référence biblique. S. SEWAIL, juge à la Cour suprême du Massachusetts (qui présida le Tribunal qui condamna les Sorcières de Salem) puise encore dans la Bible et dans Saint PAUL (1 ère Epître aux Corinthiens XII, 13-26) la preuve que DIEU a permis l'esclavage et que les noirs ont hérité de HAM le courroux divin (3).
Puis, sous l'influence de la " philosophie des lumières " les esclavagistes se réclamèrent des lois de la nature et de la philosophie de LOCKE.
Jusqu'à ce qu'apparaisse l'argument économique dans un travesti théologique. " La Providence divine a désigné cette colonie pour que des esclaves noirs de préférence à des Européens, y travaillent, en raison de la chaleur du climat à laquelle les nègres sont plus habitués que les blancs ".
Ils permirent en effet la mise en valeur du territoire.
Une biologie raciste vient en renfort pour justifier l'infériorité de " cette race d'hommes naturellement
serviles (4)".
La contradiction est évidente entre la Déclaration d'Indépendance (faite par des colons propriétaires d'esclaves proclamant " l'égalité des droits pour tous les hommes ", et maintenant l'esclavage pendant plus d'un siècle et la discrimination des noirs jusqu'à nos jours. Deux siècles après, au nom de la "défense des droits de l'homme " les massacres d'enfants et de civils par les bombardements aériens, la famine ou la destruction des infrastructures économiques.
Rejetés, par la Constitution et son " institution particulière ", de la participation civique, les esclaves sont, comme l'écrivait ARISTOTE vingt huit siècles plutôt, des " outils parlant ".
Les " droits de l'homme " sont ceux de l'homme blanc et, pour les Etats-Unis les " Wasp " (White anglo-saxons protestants Blancs anglo-saxons protestants).
Aucun des " codes de l'esclavage " des Etats confédérés, concernant le droit de vote, la propriété, le port des armes, n'est abrogé par la Constitution.
Quant aux Indiens ils sont officiellement exclus (ne payant pas d'impôts), du nombre des citoyens pour les mêmes raisons racistes.
Une loi de 1892 restreint officiellement l'immigration des "races orientales".
A partir du XIX ème siècle, l'influence du " darwinisme social " (élimination des plus faibles par les plus forts), étendra très largement ces discriminations, fondées sur des critères économiques et sociaux.
Dessiner la trajectoire de l'américanisme, c'est retracer, dans les " cercles " de l'Enfer de DANTE, des zones de plus en plus étendues de l'assujettissement au système (5).
Le premier cercle fut celui de l'Amérique du Nord : celui de " l'épuration ethnique nécessaire " pour achever le génocide des Indiens, afin de réaliser, par la possession de la terre avec son maïs et ses blés, et son sous-sol, avec son pétrole et son or, l'accumulation primitive nécessaire pour aborder le deuxième cercle celui de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud.
Le point de départ " légal " de cette première phase est, symboliquement, le deuxième amendement de la Constitution autorisant les citoyens américains (c'est à dire les seuls " blancs " quelle que soit leur nationalité d'origine) à détenir un armement privé.
Il était primitivement destiné à la défense contre les " nuisibles " (les autochtones) et à leur destruction.
Cette disposition avait un caractère tellement primordial et même sacral, que l'amendement demeure encore intouchable, permettant la vente libre des armes à une échelle telle que leur nombre dépasse aujourd'hui le nombre des citoyens américains (plus de 200 millions).
La " ruée vers l'Ouest " prit une ampleur croissante avec le flot des immigrants. La composition en était hétéroclite, allant des repris de justice échappant aux tribunaux de leur pays d'origine, jusqu'aux émigrés politiques, rescapés des répressions de la Sainte Alliance de l'Europe ou des tyrannies d'autres continents. La grande masse en était des paysans sans terre avides d'en posséder une, des ouvriers sans emploi, des déclassés et des désespérés ; et aussi des spéculateurs faillis ou des déserteurs en rupture de ban.
La " frontière " n'a pas, pour les Américains, le sens européen du mot : ce n'est pas le tracé cadastral des limites d'un Etat (variant d'ailleurs selon les vicissitudes des guerres), c'est, pour eux, une ligne toujours mouvante jusqu'à ce que les envahisseurs butent contre l'Océan Pacifique et proclament alors " la fermeture de la frontière ". Mais elle est toujours liée à la lutte où l'homme est " un loup pour l'homme " et où la victoire revient au plus fort, qu'il s'agisse du refoulement et de la spoliation des Indiens, ou des luttes entre les blancs pour la possession du butin.
C'est pourquoi la " Guerre de Sécession " entre les Etats du Nord sera souvent livrée avec la même sauvagerie, et, symboliquement, par les mêmes hommes : Le Général SHERMAN conduisant contre les Sudistes la même " guerre totale " au nom du même refus de l'autre, et de la même volonté de le détruire en le diabolisant.
La découverte de gisements d'or en Californie exaspéra encore cette lutte entre les rivaux pour s'emparer des pépites.
L'ordonnance de 1785 sur la " vente " des terres de l'Ouest avait marqué l'ouverture de la chasse aux indiens -et aux rivaux-, l'appropriation du territoire jusqu'au Pacifique.
En 1823, le Président MONROE formule la doctrine qui marqua le début de la conquête du Deuxième cercle : il considère le continent américain comme un tout dont les Etats-Unis étaient protecteurs :
" Aux Européens le Vieux Continent, aux Américains le Nouveau. "
Elle commença par l'invasion du Mexique et l'annexion du Texas en 1845.
La main mise sur l'Amérique latine s'opéra par deux méthodes distinctes.
Tantôt par une pénétration économique débouchant sur une occupation militaire, et s'achevant par une annexion pure et simple. Ce fut le cas à Porto Rico.
Tantôt les Etats-Unis surent, dans un premier temps, encourager les mouvements d'indépendance qui permettaient de chasser d'Amérique du Sud les Espagnols, les Portugais, les Anglais, puis à créer des gouvernements à leur dévotion ouvrant la porte aux investissements américains. Ils utilisèrent tantôt des dictatures militaires chargées de la répression de toute résistance populaire, tantôt faisant la relève de la terreur par la corruption, en permettant l'accès au pouvoir de dirigeants élus mais également à leur botte pour maintenir, avec la complicité des affairistes locaux, leur emprise économique sur le pays(6).
L'extension à un troisième cercle, ce fut la vassalisation de l'Europe à la suite de cette " guerre de 30 ans " (de 1914 à 1945) véritable " guerre civile " intra-européenne qui laisse une Europe exsangue livrée aux Etats-Unis. Grâce à ces deux guerres, ils détenaient, en 1945, la moitié de la richesse du monde. (George KENNAN " Policy Planning studies " 23 février 1948)
A la fin du XIX ème siècle déjà l'avenir du système et sa victoire finale paraissent assurés. Le sénateur BEVERIDGE, en 1898, ouvrait cette perspective lumineuse :
" Le commerce mondial doit être et sera nôtre, et nous l'aurons. Nous couvrirons les mers de notre marine marchande ; nous construirons une flotte à la mesure de notre grandeur De grandes colonies, se gouvernant elles-mêmes, battant notre pavillon et travaillant pour nous, jalonneront nos routes commerciales. Nos institutions suivront notre drapeau sur les ailes de notre commerce. Et le droit américain, l'ordre américain, la civilisation et le drapeau américains, aborderont des rivages jusqu'ici sanglants et désolés mais qui, par grâce de DIEU deviendront bientôt resplendissants ".
La guerre de 1914-1918 confirme cette vision optimiste en faisant couler des flots de sang sur l'Europe et des flots d'or vers l'Amérique : elle ne vient au secours de la victoire qu'en 1917, après Verdun et la Somme, qui avaient enlevé toute chance à l'armée allemande de l'emporter, (comme elle n'interviendra, après la 2ème guerre -1939-1945- qu'en 1944, bien après Stalingrad qui avait, à son tour, enlevé toute chance de victoire à l'armée nazie.)
La " neutralité " avait, en 1917, accru de 15 % les exportations américaines. La balance commerciale des Etats-Unis est passée d'un excédent de 436 millions de dollars en 1914 à 3.568 millions de dollars en 1917.
Le Président des Etats-Unis est alors WILSON qui, après avoir approuvé la guerre hispano-américaine, la conquête des Philippines, l'occupation de Porto Rico et de Cuba, " fut responsable ", dit FRANCK SCHOELL dans son " HISTOIRE DES ETAS-UNIS " (Ed. PAYOT. Paris 1965. p. 262) d'un plus grand nombre d'interventions que l'ensemble de celles décidées par Théodore ROSEVELT et TAFT ; en 1916 à Cuba, il donne à son Ambassadeur le droit de contrôler le budget… La même année ses croiseurs " Chattanooga " et " San Diego " imposent au Nicaragua Emiliano CHAMORRO, obéissant aux Etats-Unis, et son armée occupe Panama.
Cet " Idéaliste ", pratiquant si bien la politique de la canonnière à l'égard des Etats plus faibles, après Verdun qui, en 1916, a coûté à la France 300.000 morts et la bataille de la Somme qui en a coûté 200.000 aux Français et 400.000 aux Anglais, ayant appris le 16 janvier 1917, que le Ministre allemand des Affaires Etrangères ZIMMERMAN, envisageait une alliance militaire avec le Mexique pour lui faire recouvrer les terres du Texas, du nouveau Mexique et de l'Arizona, annexés par les Américains, se décide (" America first " -l'Amérique avant tout-) à faire débarquer en France le même Général PERSHING qui avait autrefois envahi le Mexique.
(Nous sommes ainsi fort loin de la légende dorée du " LA FAYETTE, nous voilà ! ")
Après le Traité de Versailles, les Alliés, qui avaient contracté des dettes envers les Etats-Unis, sont appelés à les payer au " big business " américain, ce qui conduit les Alliés à imposer à l'Allemagne par les " réparations ", la faillite et le chômage qui fourniront à HITLER les meilleurs arguments de sa propagande démagogique.
Le célèbre économiste Lord KEYNES écrivait, en 1919, dans son livre " LES CONSEQUENCES ECONOMIQUES DE LA PAIX " : " si nous cherchons délibérément à appauvrir l'Europe centrale, j'ose prédire que la vengeance sera terrible : d'ici vingt ans nous aurons une guerre qui, quel que soit le vainqueur, détruira la civilisation. "
Ce qui n'empêche pas WILSON de présenter au Congrès, le 8 janvier 1918, les fameux " 14 points " sur la " défense de la démocratie ". Mais le problème essentiel est celui des dettes et d'abord de celles que les pays de " l'Entente " ont contractées envers les Etats-Unis. Dettes commerciales qui doivent être payées. Et puis il y a celui des " réparations " exigées de l'Allemagne par la France et l'Angleterre, et qu'elle ne peut payer. Alors les Etats-Unis organisent cet étrange circuit : regorgeant de capitaux qu'ils ne peuvent investir dans une Europe insolvable en raison de ses ruines, les Etats-Unis prêtent de l'argent à l'Allemagne pour payer ses réparations aux Alliés, et ceux-ci peuvent alors rembourser leurs dettes aux Etats-Unis.
L'économie américaine surpuissante produit à un rythme tel que les stocks ne peuvent plus s'écouler et que de nombreuses entreprises se trouvent alors en état de cessation de paiement.
La surchauffe du système en plein essor conduit à la catastrophe.
De telle sorte que la nouvelle et formidable avancée, qui avait fait des Etats-Unis, grâce à la guerre, la première puissance du monde, débouchait sur le premier grand échec du système américain : la grande crise de 1929 qui montra, à la stupeur du monde, que l'extraordinaire machine du capitalisme américain pouvait tomber en panne et entraîner la faillite de l'Amérique et du monde.
Ce fut le plus grand traumatisme historique que connut le pays, car cette crise mettait en cause les principes mêmes du système qui, depuis Georges WASHINGTON et Alexandre HAMILTON, étaient tenus pour infaillibles, d'institution divine : la liberté absolue du marché, donnant le pouvoir aux oligarques de la finance , devait assurer le triomphe des Etats-Unis. Ce dogme semblait ratifié par l'histoire : celle de la prise en main des deux premiers cercles qui semblait garante de la victoire totale à l'échelle du monde. Et voici qu'un soir d'octobre 1929, cette tranquille certitude s'effondra. Des banques géantes fermaient, des milliers d'entreprises faisaient banqueroute, certains des capitaines d'industrie se suicidaient, bientôt 9 millions de chômeurs (17 % de la main-d'œuvre du pays) déferlaient dans les rues où se succédaient les révoltes et les répressions de la police montée.
André MAUROIS écrivait alors : " Si vous aviez fait le voyage vers la fin de l'hiver (1932-1933) vous auriez trouvé un peuple complètement désespéré … L'Amérique a cru que la fin d'un système, d'une civilisation, était toute proche. "
La terrible crise n'avait pourtant éclaté que parce que la logique du système avait été poussée à ses extrêmes conséquences : chacun des grands acteurs du système " libéral " était si sûr de la victoire des entreprises, même les plus ambitieuses, par les lois du système, qu'ils avaient anticipé, spéculé sur cette victoire et avaient parié sur elle leur fortune. Il avait suffi de quelques ratées pour que le doute naisse, et que cette brusque méfiance s'inscrive à la Bourse, pour que l'ensemble s'effondre comme un alignement de dominos : les unes après les autres, les entreprises et les banques devenaient insolvables, et l'inversion pessimiste de la tendance rendait plus forte la spéculation sur la baisse, comme auparavant la spéculation sur la hausse et la victoire.
Prenant ses fonctions de Président en mars 1933, Franklin DELANO ROOSEVELT alla d'abord prier. La croyance en la " destinée manifeste " allait-elle être ébranlée ? Ce pays était-il abandonné par la Providence ?
En réalité, c'est le dogme hamiltonien, emprunté à Adam SMITH, qui révélait la contradiction fondamentale du système : il n'est pas vrai que l'addition des intérêts individuels ait pour résultat la satisfaction de l'intérêt général. Elle engendre au contraire une jungle où s'affrontent sans fin les intérêts particuliers en concurrence, empêchant ainsi la constitution d'une véritable communauté. C'est pourquoi se posa alors une terrible question: Les Etats-Unis sont-ils une nation ? Pouvait-on de nouveau croire en son destin ?
ROOSEVELT apparut comme un sauveur en annonçant le " New Deal ", une nouvelle manière de faire face à la dépression. Sans remettre en cause fondamentalement le système il en atténua la rigueur par quelques réformes notamment par la mise en chantier de grands travaux publics, par lesquels l'Etat intervenait enfin pour réduire le chômage et les tensions qu'il suscitait, à l'encontre du rôle attribué jusque-là à l'Etat, depuis HAMILTON : favoriser la grande entreprise privée.
Ce réformisme prudent fut un palliatif aux effets les plus meurtriers de la crise. L'on sortait du gouffre, mais par une solution si partielle du problème qu'en 1937 l'Amérique retombait dans la dépression :
" En 1937, écrit GALBRAITH, on comptait de nouveau 9 millions de chômeurs. "
La crise ne fut définitivement surmontée que grâce à la deuxième guerre européenne.
Là encore les Etats-Unis manœuvrent en fonction de leurs seuls intérêts : dès la défaite de la France, en 1940, ils misèrent sur Vichy et le reconnurent officiellement, s'y faisant représenter par un ambassadeur. ROOSEVELT envoyait auprès de WEYGAND, en Afrique du Nord, ses émissaires : l'Amiral LEAHY et le Consul MURPHY.
En même temps il encourage CHURCHIL à opérer des bombardements massifs même sur des objectifs civils en Allemagne et dans les zones occupées de la Belgique et de la France.
Après la destruction de l'escadre américaine à Pearl Harbour par l'aviation japonaise (dont curieusement l'approche, pourtant massive, n'avait pas été détectée par l'Etat-Major américain) et la déclaration de guerre de l'Allemagne et de l'Italie aux Etats-Unis, le 11 décembre 1941, les liens demeurent étroits avec Vichy, le Général DE GAULLE étant considéré par ROOSEVELT comme " le résidu minuscule et grotesquement anachronique d'une histoire révolue ".
En 1942 le sénateur TRUMAN (le futur Président) écrit : " si l'Union Soviétique faiblit, il faudra l'aider. Si l'Allemagne faiblit, il faudra l'aider. L'essentiel est qu'ils s'entredétruisent. "
En novembre 1942 dans un entretien que rapporte Adrien TEXIER, et auquel assistait André PHILIPS, (porte-parole de DE GAULLE), ROOSEVELT se vantait de son pragmatisme : " Je m'intéresse surtout à l'efficacité. J'ai des problèmes à résoudre. Ceux qui m'y aident sont les bienvenus. Aujourd'hui DARLAN me donne Alger, et je crie : Vive DARLAN ! ... Si QUISLING me donne Oslo, je crie : Vive QUISLING ! ... que demain LAVAL me donne Paris et je crie : Vive LAVAL ! " (7)
De fait le débarquement en Afrique du Nord, tenant à l'écart DE GAULLE, remit le pouvoir à DARLAN. En Italie au Général BADOGLIO qui avait servi MUSSOLINI comme DARLAN avait servi PETAIN.
Pour le débarquement en France les troupes anglaises fournirent le plus fort contingent. Comme les soldats maghrébins fournirent 70 % des effectifs pour le débarquement en Provence.
DE GAULLE ne fut pas informé du calendrier du débarquement en Normandie, et les forces de la France Libre ne reçurent leurs ordres que du commandement anglais. Le plan primitif de libération, prévoyant une administration militaire anglo-américaine, ne fut contrecarré que par une ordonnance de DE GAULLE qui, lui, faisant confiance à la résistance française, proclamait que " chaque parcelle de territoire libéré sera administrée par un délégué désigné par le CFLN, ce qui fut aussitôt reconnu par le Conseil national de la Résistance pour constituer le gouvernement provisoire de la République française. "
Les Etats-Unis tirèrent les profits, d'abord économiques, de la victoire, en imposant leur protectorat au " Troisième cercle ".
Les Accords de Bretton Woods dès 1944, officialisèrent l'hégémonie du dollar en le mettant à égalité avec l'or, en faisant ainsi la monnaie internationale jusqu'à nos jours. Des plans bilatéraux, tels que les accords BLUM BYRNES pour la France qui, en 1944, en échange d'une aide, sur 4 années, de deux milliards de dollars, ouvrait sans condition son marché aux importations américaines. L'Europe entière devint ainsi peu à peu un protectorat américain.
Le Plan MARSHALL en 1947, est une étape significative de cette vassalisation du " Troisième cercle ".
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale les Etats-Unis regorgeant de richesses devant une Europe ruinée, se trouvaient dans la situation d'un enfant qui, ayant gagné toutes les billes, doit en prêter à ses camarades s'il veut continuer à jouer.
Le problème était donc de rendre l'Europe solvable pour absorber et payer la production américaine à un moment où celle-ci, dopée depuis quatre ans par l'exportation des fournitures de guerre, tournait à plein rendement.
Dès 1947 la CIA signalait le double danger, économique et politique, que représentait la situation en Europe au lendemain de la guerre.
" Le plus grand danger pour la sécurité des Etats-Unis est le risque d'effondrement économique en Europe de l'Ouest et sa conséquence : l'accession au pouvoir d'éléments communistes. "
Pour parer à ce double danger les dirigeants des Etats-Unis lancèrent un " Plan MARSHALL " destiné, disaient-ils, à la reconstruction de l'Europe.
Mais les conditions politiques étaient strictes : d'abord éliminer les communistes des gouvernements occidentaux.
L'intervention étrangère est évidente :
-Les ministres communistes français sont exclus du gouvernement le 4 mai 1947;
-Les ministres communistes italiens sont exclus du gouvernement le 13 mai 1947;
-Les ministres communistes belges sont exclus du gouvernement le même mois.
Aussitôt après ces exclusions, le 5 juin 1947, est officiellement proclamée la : " proposition MARSHALL ".
Ce résultat acquis, devenait possible l'application de ce plan qui constituait, outre un moyen de pression politique, un programme de promotion pour l'exportation américaine en Europe.
" L'aide " était le moindre objectif du " Plan MARSHALL ". Une étude datée d'avril 1947, observait que l'aide américaine devait être consacrée uniquement "aux pays d'importance stratégique primordiale pour les Etats-Unis ...sauf dans les rares cas où se présente une occasion permettant aux Etats-Unis de recevoir une approbation universelle grâce à une action spectaculairement humanitaire ". (Joint Chiefs of Staff 1769/1)
Le Secrétaire d'Etat DEAN ACHESON et des sénateurs américains influents se mirent d'accord, en 1950, pour que " si la famine devait se déclarer sur le continent chinois les Etats-Unis devraient fournir un peu d'aide alimentaire. Pas assez pour soulager la famine mais suffisamment pour marquer un point dans la guerre psychologique ". (Stephen SHALOM : Z. Magazine. Octobre 1990)
L'on parla beaucoup, en effet, au temps du Plan MARSHALL, de " solidarité " et de " générosité ". Mais dès 1948, Georges KENNAN, qui avait été jusque-là à la tête du " Conseil National de Sécurité ", écrivait en clair : " Nous possédons environ 50 % de la richesse mondiale, mais seulement 6, 3 % de sa population ... Dans cette situation, il est inévitable que nous soyons l'objet de jalousie et de ressentiment. Notre vraie tâche dans la période à venir est de développer un système de relations qui nous permettra de maintenir cette position d'inégalité sans mettre en péril notre sécurité nationale. Pour réaliser cela, nous allons devoir nous débarrasser de toute sentimentalité, et cesser de rêver tout éveillés. Notre attention devra se concentrer partout sur nos objectifs nationaux immédiats. Il ne faut pas que nous nous leurrions. Nous ne pouvons pas nous permettre aujourd'hui le luxe de l'altruisme et de la bienfaisance à l'échelle mondiale. Nous devrions cesser de parler d'objectifs vagues et, en ce qui concerne l'Extrême-Orient, irréalisables, tels que les droits de l'homme, l'élévation du niveau de vie et la démocratisation. Le jour n 'est pas loin où nous allons devoir agir carrément en termes de force... Moins nous serons alors gênés par des slogans idéalistes , mieux ce sera. " (Policy Planning Studies. 23 février 1948)
Mais ce langage trop franc n'était pas dans la tradition d'une Amérique messianique. Il fallait, depuis deux siècles, que la volonté de puissance prenne un masque moral et même théologique. Une politique de surarmement, la guerre finie, devait se justifier par une lutte contre " l'empire du mal ". Le successeur de KENNAN, Paul NITZE le comprit fort bien : il fallait combattre SATAN et, pour cela, ce fut " le bolchevisme " (entendu d'ailleurs dans un sens large : un pays qui n'acceptait pas, sans condition, d'ouvrir ses marchés aux grandes firmes américaines était " communiste " ou au moins un complice de l'Union Soviétique). Le diable fut alors clairement désigné : ce fut l'URSS comme, après son effondrement, ce sera l'Islam ou, avec HUNTINGTON, " la collusion islamo-confucéenne ", ou le Tiers-Monde dans son ensemble. La stratégie du complexe militaro-industriel avait un fondement métaphysique, missionnaire, et devenait une " croisade " : " DIEU le veut ! "
L'on pouvait ainsi, chaque fois que l'économie américaine avait besoin d'un stimulant, agir par la voie douce des organisations intermédiaires, ou guerroyer aux quatre coins du monde pour y " défendre " le Bien ou ses ersatz : la démocratie, les droits de l'homme, l'ingérence humanitaire, etc

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La méthode " douce " (bien que la misère ou la faim tuent aussi efficacement et aussi massivement que la guerre) ce fut la création d'organismes satellites de l'oligarchie américaine, tels, par exemple que le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale (l'un et l'autre créés à Bretton Woods), qui étendirent sur le monde sous le masque d'" aide au développement " les tentacules de la pieuvre avec une mission essentielle : ne prêter de l'argent qu'aux pays acceptant de se conformer au modèle économico-politique des Etats-Unis celui d'un " libéralisme économique " mondialisé employant des " ajustements structurels " majeurs, dont les principaux sont :
1-Libération des prix,
2-Dévaluation de la monnaie nationale,
3-Blocage, voire diminution, des salaires,
4-Coupes conséquentes dans les dépenses publiques, afin de réduire le déficit extérieur,
5-Privatisation des grands groupes publics (banques, compagnies de transports firmes industrielles),
6-Ouverture des frontières à la concurrence internationale,
7-Spécialisation dans un nombre limité de productions à l'exportation.
Ces exigences ont des effets partout semblables. Libérés, les prix grimpent, rendant les biens de première nécessité inaccessibles à une grande partie de la population tout en enrichissant une minorité. La dévaluation de la monnaie, censée fouetter les exportations, renchérit les produits importés, souvent indispensables à la vie du pays, et n'a qu'une incidence négligeable sur les exportations puisque leur proportion, par rapport à l'ensemble, demeure dérisoire. Le blocage ou la diminution des salaires accentue l'inflation résultant de la libération des prix et induit l'augmentation de la misère et la marginalisation de couches sociales déjà précarisées ou fragilisées par la corruption de nombreux gouvernements locaux.
En Europe l'achèvement de la conquête du " Troisième cercle " put longtemps s'opérer sans heurt en raison de l'abdication quasi générale des dirigeants politiques, quelle que soit leur étiquette idéologique.
En Angleterre, alors que REAGAN imposait aux Etats-Unis, avec la plus implacable logique, ce système, qui enrichissait les plus riches et appauvrissait les plus pauvres, fut copié par la " conservatrice " Madame THATCHER. Après elle le " travailliste " Tony BLAIR se comporte comme un " clone " de madame THATCHER. En France la même soumission au système est observée avec de seules nuances de langage par " la droite " du Président CHIRAC comme par la " gauche " sous la houlette du " socialiste " JOSPIN.
" L'anti-américanisme " c'est-à-dire la nouvelle " résistance " à la nouvelle " collaboration " n'a donc plus de signification géographique.
En Europe, comme sur l'autre rive de l'Atlantique, les marchés dirigent de plus en plus les gouvernements. Grâce à une politique constante de privatisation et de dérégulation financière, les grandes corporations étrangères, et notamment américaines, prennent des parts de plus en plus importantes dans notre économie.
Pour ne citer que des exemples français.
Le fonds Wellington est le premier actionnaire de Rhône-Poulenc. Le fonds américain de Lazard et Templeton entre à la fois dans Rhône-Poulenc et dans Pechiney dont il est, avec Fidelty, l'actionnaire majoritaire. Chez Schneider, le Directeur financier du groupe, Claude Pessin, admet que " notre capital est désormais détenu, à hauteur de 30 % par des investisseurs étrangers. " Il en est de même, à 33 %, dans le capital de Paribas, à 40 % dans les ciments Lafarge, à 33 % dans Saint-Gobain, à 25 % dans la Lyonnaise des Eaux, à 40 % dans A.G.F, etc. ...
Dans Le Monde du 19 novembre 1996, Eric Izraelevicz écrit : " Ce qui frappe c'est le dépérissement du nationalisme industriel en France. Les entreprises étrangères peuvent désormais y acheter tous les joyaux qu'elles veulent sans y provoquer de réaction ".
En un mot l'industrie européenne passe sous contrôle américain. Un pays membre de l'O.M.C. (Organisation Mondiale du Commerce) ne peut plus (à l'exception des Etats-Unis qui peuvent tout se permettre, y compris de donner à leurs propres lois une extension internationale contraignante, comme la loi Helms Burton, interdisant les investissements à Cuba, ou la loi d'Amato en Iran et en Libye.) :
- ni limiter ses importations agricoles, ni subventionner ses exploitations ;
- ni refuser l'implantation de firmes multinationales auxquelles doivent être consenties les mêmes conditions qu'aux industries nationales.
Toute infraction à ces diktats fait du pays un délinquant passible de représailles économiques, menace aussi redoutable que celle des armes. Les pays assujettis aux exigences du F.M.I. (Fonds Monétaire International) savent déjà ce qu'il leur en a coûté d'émeutes et de morts. (De l'Algérie en 1988 à l'Indonésie en 1998.)
Maastricht a marqué un moment décisif de cet asservissement.
Depuis l'acceptation du Traité de Maastricht, plus de 70 % des décisions politiques fondamentales ne sont plus prises par le Parlement mais par les Commissions de technocrates de Bruxelles qui n'ont à répondre devant personne, sauf devant 12 Premiers Ministres se réunissant quelques heures tous les six mois pour entériner des orientations décidant du destin de 340 millions de personnes.
L'Europe de Maastricht est une Europe américaine.
A trois reprises la même formule le proclame dans le texte :
" L'objectif (du Traité) est de développer l'Union Européenne Occidentale (U.E.O.) en tant que moyen de renforcer le pilier européen de l'Alliance Atlantique " (Déclaration sur l'U.E.O. B.4)
Pour que nul ne se trompe sur cette vassalité d'une Europe américaine, il est précisé dans la Déclaration I, que l'éventuelle défense commune devra être "compatible avec celle de l'Alliance Atlantique" (paragraphe I) qu'elle doit se tenir " dans le Cadre de l'U.E.O. et de l'Alliance Atlantique " et que "l'Alliance restera le forum essentiel de consultation" (B,4).
Il ne s'agit donc pas de faire le poids, mais de n'être qu'une composante de la politique étrangère américaine.
L'Europe de Maastricht se situe dans le contexte de la politique de domination mondiale des Etats-Unis.
Le 8 mars 1992, le New-York Times publiait un document émanant du Pentagone. L'on pouvait y lire:
" le Département de la Défense affirme que la mission politique et militaire des Etats-Unis, dans la période de l'après guerre froide, sera de s'assurer qu'il ne soit permis à aucune superpuissance rivale d'émerger en Europe occidentale, en Asie, ou sur le territoire de la C.E.I ".
Ce rapport souligne l'importance du "sentiment que l'ordre mondial est en fin de compte soutenu par les Etats-Unis," et dessine un monde où existe un pouvoir militaire dominant, dont les chefs " doivent maintenir les dispositifs qui ont pour but de décourager des concurrents éventuels qui aspireraient à un rôle régional ou mondial plus important ".
" Nous devons chercher à empêcher l'apparition de systèmes de sécurité exclusivement européens, qui mineraient l'OTAN. " (International Herald Tribune, 9 mars 1992).
Dans l'acte final de la conférence de Maastricht, la Déclaration sur les rapports avec L'Alliance Atlantique ne laisse aucun doute à ce sujet : " L'Union européenne agira en conformité avec les dispositions adoptées dans L'Alliance Atlantique ".
Le traité préconisant que les institutions européennes mettent en œuvre une politique commune pour " tous les domaines de la politique étrangère", cela signifie " à la lettre, écrit Paul-Marie de la Gorce, Directeur de la Revue de Défense Nationale, qu'il n'y aura plus du tout de politique nationale ". Cette disposition figure en tête de l'article J-1, du titre V et aussi dans l'article J. 4.
Il est donc bien clair qu'il s'agit d'une Europe américaine.
Il en est de même de la politique économique et sociale et de la politique tout court.
De même que Bush a lancé en 1991 l'initiative d'un marché unique de toutes les Amériques de l'Alaska à la Terre de feu de même qu'il a notifié au président du Sénégal Abdou Diouf, la volonté américaine d'une unification économique rapide de l'Afrique, de même le Président Reagan, dés le 8 mai 1985 appelait à "élargir l'unification européenne pour qu'elle aille de Lisbonne jusqu'à l'intérieur du territoire soviétique ", Georges Bush s'est félicité des décisions historiques prises à Maastricht : "Une Europe plus unie, dit-il, donne aux Etats-Unis un partenaire plus efficace, prêt à assumer de plus grandes responsabilités." Clinton, en 1998, salue avec enthousiasme la création de l'Euro.
Maastricht signifie un ralliement total, et en principe définitif, à une économie de marché sans limite.
L'article J.3 stipule expressément l'interdiction de revenir sur les décisions.
Robert Pelletier, ancien Directeur général des services économiques du CNPF et membre du Comité économique et social de la CEE au titre du patronat, trace les projections suivantes (Le Monde du 23 juin 1992) : en Espagne, d'ici à 1997, poussée du chômage de 16 % à 19 %, en Italie, "explosion sans exemple historique du chômage"; " calculs, qui donnent le vertige " pour la Grèce et le Portugal. Quant aux Français, " on ne pourra pas leur dissimuler trop longtemps que, la politique induite par Maastricht, sous des couleurs libérales de retour à l'économie de marché, est, en fait, le modèle le plus authentiquement réactionnaire de ces soixante dernières années. "
Ainsi intégrée au marché mondial dominé par les Etats-Unis, l'Europe livre son agriculture, son industrie, son commerce, son cinéma et sa culture entière, aux règles du libre échange dont un économiste aussi prudent que Maurice Allais dit clairement " J'exclurais, au moins pour l'avenir prévisible, toute orientation vers un libre-échange mondial, comme c'est la tendance actuelle ".
Des exemples récents et douloureux justifient ses craintes.
D'abord en ce qui concerne l'agriculture européenne, assassinée pour servir les intérêts des céréaliers américains.
Les accords, du 18 mars 1992, directement inspirés par les Etats-Unis et son Directeur Général américain M Arthur Dunkel, mettent en cause la politique agricole commune (PAC) de l'Europe qui permettrait d'aider les agriculteurs européens à affronter le marché mondial, sous menace de représailles du genre de celles exercées par les Etats-Unis pour imposer à l'Europe l'importation de viandes traitées aux hormones et interdites à Bruxelles.
Aussitôt l'Europe obéit aux injonctions américaines : l'accord européen conclu le 21 mai 1992, pour réformer la politique agricole commune exige la réduction de la production de céréales par la mise en jachères obligatoires de 15% des terres arables, la diminution, sur trois ans, de 15 % de la production de viande de bœuf, et de 2,5 % pour le beurre.
Pour la viande et le lait, la prime à la vache laitière est supprimée pour abaisser la productivité, et les quotas laitiers seront réduits de 2 %.
Cette coupe sombre dans les agricultures européennes (à un moment où 1/5 de l'humanité souffre de la faim) laisse le champ libre aux céréaliers américains pour répondre à la demande solvable. La clé de cette politique agricole monstrueuse : faire chuter la production et la productivité, en réduisant les prix garantis et les surfaces cultivées pour que le marché (appelé pudiquement demande solvable) reste une chasse gardée américaine. Les affamés insolvables sont rayés de la carte alors que 800 000 tonnes de viande de bœuf, 25 millions de tonnes de céréales, 700 000 tonnes de beurre et de poudre de lait sont stockées, aux frais de la communauté, pour s'aligner sur le système agricole américain. 
L'industrie européenne n'est pas moins frappée. Déjà, sous prétexte de maintenir les règles de la concurrence en Europe, le commissaire européen pour la concurrence, l'Anglais Léon Brittan, avait interdit à deux compagnies, française et italienne, d'acheter la firme aéronautique de Havilland, afin de ne pas laisser un groupe européen atteindre une dimension capable de gêner les sociétés américaines. Les Etats-Unis exercent leur pression pour que les avances remboursables accordées à Airbus Industrie ne dépassent pas 25 % du prix des appareils au lieu des 35 % au-dessous desquels les Européens ne peuvent pas descendre. Les Américains, propagandistes du libre échange, menacent, par représailles, de frapper les Airbus de taxes qui leur fermeraient le marché américain.
Il en est ainsi dans tous les secteurs, depuis les eaux minérales, où Léon Brittan s'oppose à l'achat de Perrier par Nestlé pour empêcher, dit-il, la concentration du marché en Europe, (alors qu'il s'agit, en réalité de ne pas ouvrir un marché concurrentiel avec les entreprises américaines), jusqu'à l'électronique : après le groupe néerlandais Phillips et le groupe franco-italien SGS Thomson, le groupe allemand Siemens renonce aux grands espoirs, et abandonne la production de masse à l'IBM américaine. On imagine les catastrophes pour l'emploi et le chômage de cette mise sous tutelle technologique américaine.
L'exemple le plus typique est celui du trafic d'armes. Moins d'un an après les promesses de Georges Bush de lutter contre la prolifération des armes, y compris des armes conventionnelles, un accord de mai 1991, entre le Pentagone et le Ministre de la Défense Dick Cheney, autorise le gouvernement fédéral à aider les exportateurs américains à exposer et à vendre leurs armements.
Il en résulte qu'en 1991, les Etats-Unis ont presque doublé leurs exportations d'armements auxquels la Guerre du Golfe a fait une publicité sans précédent. Les ventes ont progressé de 64 % en 1991 ; 23 milliards de dollars contre 14 milliards en 1990.
Dans tous les domaines, l'Europe est une Europe vassale.
Ajoutons que cette Europe des Douze est un club des anciens colonialistes. Ils y sont tous. Les pionniers : Espagne, Portugal ; les grands Empires: Angleterre, France, Belgique, Hollande ; les tard-venus : Allemagne et Italie. Et, malgré cela, dans les accords de Maastricht, vingt et une lignes sur 66 pages sont consacrées à la définition des rapports avec le Tiers-Monde (titre WII article 130-U), de bonnes paroles sur son développement, sur la lutte contre la pauvreté, la thèse centrale étant : insertion… des pays en développement dans l'économie mondiale, c'est à dire ce qui les tue.
Les anciennes puissances colonialistes européennes ont accepté aujourd'hui, au-delà de leurs rivalités anciennes, la suzeraineté américaine pour constituer un colonialisme d'un type nouveau, unifié et totalitaire.
L'Europe reste ainsi une Europe Colonialiste, mais subordonnée, comme dans le Golfe, aux maîtres américains.
Le système fondé sur le monothéisme du marché engendre la violence et le crime, l'évasion et la drogue, et toutes les formes de lavage de cerveau, (depuis les Rocks à 130 décibels, vidant un jeune homme de toute conscience critique jusqu'à l'hébétude et l'animalité), est destructeur de toute culture. Nous ne reprendrons pas en détail cette analyse pour ne retenir que l'aspect dominant et le plus ravageur de la colonisation culturelle: le cinéma et la télévision.
Washington et Hollywood, sur la lancée de l'Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C., ex G.A.T.T.) et considérant la culture comme un département du commerce, entendent imposer ceci sur la base des principes énoncés dans un document intitulé US Global Audiovisuel Strategy :
· éviter un renforcement des mesures restrictives (notamment les quotas de diffusion d'œuvres européennes et nationales), et veiller à ce que ces mesures ne s'étendent pas aux services de communication;
· améliorer les conditions d'investissement pour les firmes américaines en libéralisant les régulations existantes ;
· lier les questions audiovisuelles et le développement des nouveaux services de communication et de télécommunication dans le sens de la déréglementation ;
· s'assurer que les restrictions actuelles liées aux questions culturelles ne constituent pas un précédent pour les discussions qui vont s'ouvrir dans d'autres enceintes internationales ;
· multiplier les alliances et les investissements américains en Europe ;
· rechercher discrètement l'adhésion aux positions américaines des opérateurs européens.
Il suffit d'ailleurs de lire chaque semaine les programmes de télévision pour mesurer l'importance de l'invasion. Et sa malfaisance en y constatant le déferlement de la violence dans les films américains, et, du point de vue formel, la dégradation du rôle du texte et de ses interprètes au profit des effets spéciaux, au point que nos jeunes, intoxiqués à leur insu par de tels spectacles, appellent films d'action ceux-là seuls où abondent les bagarres et les coups de revolver, les cascades automobiles, les déflagrations, et les incendies.
La part de marché du cinéma français aux Etats-Unis stagne autour de 0,5 %, alors que, dans l'Europe des quinze, de 1985 à 1994, la part de marché des films américains est passée de 56 à 76 %, pour atteindre parfois 90 %.
Sur les 50 chaînes européennes de télévision (même en excluant les réseaux câblés et cryptés et en ne retenant que ce qui est diffusé en clair), les films américains représentaient, en 1993, 53% de la programmation.
Dans le bilan commercial de l'audiovisuel européen face aux Etats-Unis le déficit est passé d'un milliard de dollars en 1985 à 4 milliards en 1995. Ce qui a entraîné, en dix ans, la perte de 250.000 emplois.
La colonisation culturelle est du même ordre de grandeur en ce qui concerne les investissements : les firmes géantes comme Time Warner-Turner, Disney ABC, Westinghouse CBC, accaparent en Europe les studios, accroissent le réseau de leurs salles multiplex, s'ingèrent en maîtres dans les réseaux câblés, multipliant les accords avec les entreprises locales en s'y attribuant la part du lion.
Pénétrant en conquérants dans les pays de l'Est, elles sont en train de s'emparer des principales télévisions privées.
Les quelque 140 monopoles nationaux de l'audiovisuel en Europe ont été dévorés par un oligopole mondial de 5 ou 6 groupes sous direction américaine. En ce domaine aussi le gouffre du déficit s'agrandit : de 2,1 milliards de dollars en 1988, il passe à 6,3 en 1995.
Le lundi 11 octobre 1999, le Professeur Pierre BOURDIEU, devant le Conseil international du Musée de la Télévision et de la Radio, posait aux " nouveaux maîtres du monde " (ceux qui veulent avec Georges LUCAS, dans sa " GUERRE DES ETOILES ", et son premier épisode : le film en numérique
" La menace fantôme ", recréer le passé de l'humanité et lui projeter son futur), cette question fondamentale : " savez-vous seulement ce que vous faites? " Savez-vous que votre loi du profit maximal va tuer la
culture ?
Le film de LUCAS fournit à cette question la réponse la plus claire : LUCAS qui a produit son film lui-même, reconnaît qu'il a coûté 110 millions de dollars, mais qu'avant même que le film soit projeté et que l'on puisse ainsi juger de sa qualité, le marketing avait fait le nécessaire pour que la somme soit déjà amortie par la vente " de produits dérivés " (maquettes de héros extraterrestres, jouets pour en reconstituer les combats, tee-shirts illustrés par les épisodes, etc.)
C'est dire combien la préoccupation commerciale et, en particulier, la recherche du profit maximum, précède la création et en détermine le contenu.
La diffusion, qui dépend totalement du marketing et de la publicité, commande la production.
Il en est de même pour l'édition, où, surtout pour les grands groupes, il n'y a pas de bons et de mauvais livres, mais des livres qui, portés par la publicité et les modes, séduisent le plus de consommateurs, et ceux qui seraient condamnés à une gloire posthume, comme STENDHAL ou, en peinture, VAN GOGH.
Tout étant marchandise quel éditeur, quel musicien, quel cinéaste proprement dit, quel peintre, pourrait rivaliser, à l'échelle mondiale, avec COCA COLA, DISNEYLAND ou MAC DO?
Tel est le résultat d'un système où " toute valeur est marchande ", et où le film, le tableau, le chant, sans parler de la télévision et de son audimat, du journal avec son tirage et sa publicité, sont des marchandises comme les autres, et d'autant plus rentables qu'elles sont déracinées et capables d'attirer un public " mondialisé " et manipulé par la publicité commerciale et la puissance conjuguée de " l'argent et des médias ", comme l'écrit BOURDIEU.
Restent des étapes à franchir pour détruire tout ce qui pouvait subsister de l'autonomie des nations. D'abord le droit de battre monnaie qui constituait depuis des siècles, le critère fondamental de la souveraineté, et ce fut le projet de monnaie unique, de l'Euro, par lequel doit se clore le XXème siècle et s'ouvrir le XXIème siècle.
Restait à parachever la grande entreprise de mondialisation, c'est-à-dire de destruction définitive des économies et des cultures de tous les peuples au profit de la mondialisation de l'empire américain et son monothéisme du marché.
Ce fut le projet d'Accord Multilatéral sur l'Investissement (AMI) que l'on a pu appeler, avec juste raison :
" Une machine infernale pour déstructurer le monde. "
En effet, après la réglementation despotique, par les Etats-Unis, du système monétaire mondial (par le FMI) et du commerce international (par l'OMC), le ligotage final du monde impliquait un traité multilatéral sur la liberté des investissements.
Cette dernière charte du libéralisme sauvage a pour objet d'instaurer dans le monde entier la monarchie absolue du marché en abattant tout obstacle à l'investissement : toute multinationale doit bénéficier des mêmes avantages que les investisseurs nationaux : liberté d'investir, mais aussi de licencier le personnel, de délocaliser les centres de production et de recherche, de transgresser les lois du travail et de l'environnement, les Etats acceptant "sans condition de soumettre les litiges à l'arbitrage d'une Chambre de Commerce Internationale (CCI)"
De cet organisme supranational toute "sentence arbitrale est définitive et obligatoire " excluant par conséquent tout droit de recours. Il est même prévu : " pour que l'investisseur puisse agir contre l'Etat d'accueil... : le dommage bien qu'imminent ne doit pas nécessairement avoir été subi avant que le différend ne puisse être soumis à un arbitrage."
Ce projet, avoue crûment : "l'AMI, comme tout accord international à caractère contraignant, aura pour effet de modérer, dans une certaine mesure, l'exercice de l'autorité nationale."
Ce projet, régissant tous les pays du monde, fut discuté secrètement, depuis 3 ans, par les seuls membres de l'OCDE, groupant les pays les plus riches et excluant tout ce qu'il était convenu d'appeler le Tiers-Monde, alors qu'il comporte des conséquences redoutables en ce qui concerne l'emploi et le chômage, la santé, les services publics, la protection sociale, et l'environnement, d'une manière générale l'indépendance nationale.
Il insiste, au plan social, sur les bienfaits de l'inégalité. L'OCDE définit le " creusement des inégalités " comme " ce que la logique économique recommande ". Elle ne s'interroge pas sur la pertinence de cette logique, elle évoque "l'aiguillon de la pauvreté" et accuse les interventions publiques d'enfermer les individus dans " une logique de la dépendance. "
Il est remarquable que sur ce programme, impliquant non seulement la privatisation totale des entreprises, mais l'exclusion de tout intervention de l'Etat pour protéger les plus faibles, les dirigeants français (de droite comme de gauche) n'ont fait d'objection qu'en invoquant l'exception culturelle. Il est vrai que c'est là un domaine particulièrement sensible puisque de tels accords conduiraient à la ruine du cinéma français, accroîtraient encore la main mise du cinéma sanglant d'Hollywood, qui submerge déjà nos écrans et notre télévision, et assureraient la mainmise des magnats américains de l'information par l'investissement débridé dans la presse et l'édition. Les esprits comme les corps seraient alors livrés aux manipulations de la logique marchande.
Mais c'est la totalité de notre vie et de son sens qui doivent se libérer des tentacules de la pieuvre, c'est-à-dire des toutes puissantes multinationales des 29 pays membres de l'OCDE qui contrôlent les deux-tiers des flux mondiaux des investissements c'est à dire 340 milliards de dollars en 1995.
Parallèlement à cette conquête du troisième cercle par le simple jeu de la pénétration économique et de l'assujettissement politique qui en est le corollaire, le système s'étendait au quatrième cercle, celui de l'Asie, mais avec une autre méthode : celle de l'agression militaire.
Mais toujours avec des prétextes " missionnaires ".
La défense de la " sécurité " américaine commença à des milliers de kilomètres de ses rives, au-delà du Pacifique, en Corée, inaugurant une " mondialisation " de la " guerre froide ". Le prétexte en était une " attaque surprise " de la Corée du Nord liée à l'Union Soviétique contre la Corée du Sud, base américaine. C'était en 1950, et déjà le débouché de l'économie américaine créé par le plan MARSHALL ne suffisait plus pour répondre aux besoins de la machine industrielle américaine lancée, depuis la 2ème guerre européenne, à pleine vitesse. Il fallait donc de nouvelles guerres pour maintenir le système du " développement " vorace d'une telle économie.
La guerre de Corée en 1950, celle du Viêt-nam qui durera jusqu'en 1973, la guerre du Panama en 1989 celle du Golfe en 1991, puis celle du Kossovo en 1999, répondent à. cette nécessité interne du système. Les prétextes invoqués servent à masquer cette logique sanglante.
En Corée et au Viêt-nam il s'agissait de refouler (roll back ) les avancées de " L'Empire du Mal ". Au Panama de punir un trafiquant de drogue, le Général NORIEGA, qui avait jusque- là reçu de la CIA (alors dirigée par M BUSH ) un traitement égal à celui d'un Président des Etats-Unis, précisément pour s'infiltrer dans la maffia de la drogue.
Dans le Golfe, il s'agissait de châtier une invasion comme on ne s'était jamais avisé de le faire, par exemple lors des annexions, condamnées par l'ONU, de la Cisjordanie, du Golan, du Sud Liban, et même de Jérusalem.
Une mobilisation gigantesque des médias mondiaux réussit à faire oublier que jamais le KOWEIT n'avait été indépendant, ni sous l'Empire ottoman ni sous le protectorat britannique, jusqu'à ce qu'en 1961, après la décision du Général KASSEM de nationaliser le sous-sol irakien (dont 94 % était jusque-là détenus par les compagnies pétrolières occidentales de l'Irak Pétroleum), le gouvernement anglais, sous menace d'une intervention militaire, n'arrachât le Koweït à l'Irak, (le Koweït fournissant la moitié de la production pétrolière du pays) et n'y mette au pouvoir, sous sa tutelle, l'un des chefs de tribu les plus corrompus du Moyen Orient.
Malgré les propositions de négociation pacifique et les propositions de retrait de ses troupes au Koweït, faites par le gouvernement irakien sous conditions de mesures analogues pour les occupants sans titres d'autres territoires de la région, les Etats-Unis répétèrent, au prix de plus d'un million de morts irakiens, l'opération colonialiste anglaise de 1961.
Les opinions publiques furent anesthésiées par les montages des agences publicitaires répercutées mondialement par les médias. Le plus révélateur était celui d'une jeune fille témoignant de la férocité des soldats irakiens saccageant les couveuses pour en tuer les enfants. Il fut reconnu, après la guerre, que le " témoin " était la propre fille de l'Ambassadeur du Koweït à Washington et qui était absente du Koweït lors de ces prétendues " atrocités ".
Mais les véritables motifs de la destruction de l'Irak ne pouvait échapper à ceux qui connaissent les mécanismes du système.
L'ex-Président NIXON, libéré du " droit de réserve " par sa retraite, écrivait alors, dans le " New York Times " du 7 janvier 1991 :
" Nous n'allons pas là-bas pour défendre la démocratie parce que le Koweït n'est pas un pays démocratique, et il n'y en a pas dans la région. Nous n'allons pas là-bas pour abattre une dictature sinon nous ne serions pas allés en Syrie. Nous n'allons pas là-bas pour défendre la légalité internationale. Nous allons là-bas, et nous devons y aller, parce que nous ne permettons pas que l'on touche à nos intérêts vitaux. "
Un autre analyste avisé, ancien ministre du Général DE GAULLE, Alain PEYREFITTE, après avoir évoqué le rôle du groupe de pression à Washington, des pro-israéliens désireux de se débarrasser de SADAM HUSSEIN, ajoute dans le " Figaro " du 5 novembre 1990 :
" Le 'lobby des affaires' en est venu à penser que la guerre pouvait relancer l'économie. La Seconde Guerre Mondiale, et les énormes commandes qu'elle a values aux Etats-Unis, n'a-t-elle pas mis fin à la crise de 1929, dont ils n'étaient vraiment jamais sortis ? La guerre de Corée n'a-t-elle pas provoqué un nouveau boom ? Bienheureuse guerre qui ramènerait la prospérité en Amérique. "
Jamais ne fut vérifié avec plus d'éclat le message de JAURES : " Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage. "
En ce qui concerne, l'agression américaine contre la Yougoslavie, les motivations dernières étant les mêmes, elles comportaient de nouvelles harmoniques.
Attaquant, sans mandat du Conseil de sécurité de l'ONU, un pays qui n'avait violé les frontières d'aucun autre, on le soumit à des bombardements sanglants sous prétexte d'une " intervention humanitaire " qui n'avait jamais été invoquée, par exemple, contre les exactions des Turcs à l'égard des Kurdes, ou d'Israël à l'égard des Palestiniens.
Pour tenter de légitimer l'action de la coalition militaire de l'OTAN (qui n'avait pas été créé pour de telles missions et qui n'avait plus de raison d'être après l'effondrement de l'Union Soviétique et la dissolution du Pacte de Varsovie créé pour lui faire face), l'intrusion de l'armée américaine au cœur de l'Europe fut déguisée en intervention de la " communauté internationale ", alors que la coalition satellite ne se composait que du club des anciens colonialistes flanqués de quelques figurants, comme si la " communauté internationale " ignorait l'Asie, l'Afrique, l'Amérique latine, c'est à dire les 3/4 de l'humanité.
Mais cette imposture comportait de grands avantages : d'abord se ménager la clientèle des plus riches pays arabes en se présentant comme les défenseurs des Musulmans que l'on massacrait en Irak, et qu'on laissait écraser, par exemple en Turquie et en Palestine.
Ensuite faire un pas de plus, après la Bosnie, en direction des Balkans et, au-delà, du Moyen- Orient et de ses pétroles : une simple carte du tracé des oléoducs du Daghestan, et de l'infiltration des
" Wahhabites ", de l'allié des Etats-Unis en Tchétchénie et au Daghestan, aux abords de la Caspienne et de ses pétroles, suggère aisément les prochaines étapes de l'opération, en prévision de l'inéluctable chute d'ELTSINE, la prostituée politique qui livre son pays aux Etats-Unis. La restauration du capitalisme sous sa forme la plus sordide, en quelques années, a transformé la deuxième puissance du monde en un pays du Tiers-Monde exploité par une maffia de trafiquants devenus milliardaires par leur collaboration avec le bâilleur de fonds, et réduisant l'immense majorité d'un grand peuple au chômage, à la mendicité, ou à l'exploitation de la drogue ou de la délinquance.
La doctrine inspiratrice du système par le complexe militaro-industriel le plus puissant du monde, n'est plus un secret.
L'on doit à un profond analyste de la géopolitique et des rapports internationaux M Paul-Marie de la GORCE, la publication de deux rapports fondamentaux sur les lignes directrices de la stratégie américaine à l'échelle mondiale. Celui de Paul D. WOLFOWITZ et celui de l'Amiral JEREMIAS, adjoint du Président du Comité des chefs d'Etat-major.
Voici quelques extraits de ces documents du Pentagone :
" L'ordre international est, en définitive, garanti par les Etats-Unis et ceux-ci doivent se mettre en situation d'agir indépendamment quand une action collective ne peut être mise sur pied ou en cas de crise nécessitant une action immédiate. "
" Nous devons agir en vue d'empêcher l'émergence d'un système de sécurité exclusivement européen qui pourrait déstabiliser l'OTAN. "
" L'intégration de l'Allemagne et du Japon dans un système de sécurité collective dirigé par les Etats-Unis "
" Convaincre d'éventuels rivaux qu'ils n'ont pas besoin d'aspirer à jouer un plus grand rôle. " Pour y parvenir il faut que ce statut de superpuissance unique " soit perpétué par un comportement constructif et une force militaire suffisante pour dissuader n'importe quelle nation ou groupe de nations de défier la suprématie des Etats-Unis " et ceux-ci " doivent tenir assez compte des intérêts des nations industrielles avancées pour les décourager de défier le leadership (américain )ou de chercher à mettre en cause l'ordre économique et politique établi ".
(Cités par Paul-Marie de la GORCE dans "LE MONDE DIPLOMATIQUE" d'avril 1992 )
Ces visées sont d'ailleurs confirmées par des textes publics tels que celui-ci tiré de la revue spécialisée de la marine de guerre américaine :
Nous devons maintenir notre " accès sans entrave aux marchés économiques du monde entier et aux ressources nécessaires pour appuyer nos besoins industriels ". Il nous faut donc : " une capacité crédible d'intrusion armée " avec des " forces véritablement expéditionnaires " capables d'exécuter un large éventail de missions allant de la contre-insurrection à la guerre psychologique en passant par le déploiement de " forces en tous genres ".
" Nous devons aussi garder à l'esprit le rapide développement technologique des armes auxquelles les nouveaux pouvoirs régionaux du Tiers-Monde pourront avoir accès ; nous devons donc développer des capacités militaires destinées à exploiter les implications de l'électronique, de la génétique, et autres biotechnologies ... si notre Nation veut affirmer sa crédibilité militaire au cours du siècle qui s'annonce. "
GRAY : " Marine Corps Gazette " (Mai 1990)
Le 3 octobre 1999, les Etats-Unis violent à la fois unilatéralement le traité interdisant totalement les essais nucléaires et les accords signés à Moscou, avec les américains, sur les missiles antimissiles, car la logique de tels armements allait multiplier, à travers le monde, des centres de lancements d'armes atomiques pour saturer les défenses de ceux qui, avec REAGAN, rêvaient d'une " guerre des étoiles ".
La dernière expérience américaine du 3 octobre, dotée d'un budget de 10,5 milliards de dollars, rappelle fâcheusement " l'initiative de défense stratégique " de REAGAN et donne le signal d'une nouvelle étape de la course au surarmement nucléaire.
Les Etats-Unis préparent le déséquilibre de la terreur.
Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une innovation récente, mais d'une constante de la stratégie du système. Par exemple, comme le rappelle un historien de la diplomatie américaine, c'était déjà l'opinion du Président EISENHOWER en matière de stratégie : l'historien Richard IMMERMANN fait remarquer que : " pour lui, la force et la sécurité américaines dépendaient essentiellement de l'accès aux marchés et aux matières premières du monde et plus particulièrement du Tiers-Monde qui devait être étroitement contrôlé.
" IMMERMAN " Diplomatic history " (été 1990)
Le résultat global de l'américanisme est une polarisation croissante de la richesse aux mains de grands groupes industriels et de la misère des multitudes, notamment dans les pays " sous-développés " par leur dépendance à l'égard des anciens et du nouveau colonialisme qui en ont fait des appendices de l'économie de la métropole par les monocultures et les monoproductions, au détriment des cultures vivrières et des activités répondant aux besoins des autochtones (8).
Entre 1975 et 1992 les groupes transnationaux majeurs ont triplé: passant de 11.000 groupes contrôlant 82.000 filiales, à 37.500 groupes contrôlant 207.000 filiales.
Ces groupes détiennent la moitié des avoirs productifs mondiaux et 80 % d'entre eux ont leur siège aux Etats-Unis, en Europe, ou au Japon.
Ce mouvement de concentration du capital n'a cessé de s'amplifier au point que la " Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement " (CNUCED) dans son rapport de l998 sur les investissements mondiaux, a montré que cent groupes économiques sont devenus les " maîtres du monde ". Dans le système actuel de " mondialisation ", grâce à un nombre croissant de " fusions ", rendues possibles par le jeu dominant des privatisations. La CNUCED souligne que les transactions de ce genre du premier trimestre de 1999 équivalent déjà au total des " fusions " de 1998.
Dans cette voie le fossé ne cesse de se creuser entre les pays riches et les pays pauvres (9). C'est ainsi que l'Afrique, le continent le plus déshérité, n'a capté, l'an dernier, que 1,3 % des investissements.
En trente ans de 1950 à 1980, l'écart entre le Nord et le Sud est passé de 1 à 30 à 1 à 150. C'est ce que les politiciens et les médias appellent "les décennies du développement!"
Cette chute se poursuit: en 1980 trente-trois pour cent de la population du Tiers Monde étaient sous-alimentés, en 1988 trente sept pour cent (UNICEF: "Situation mondiale de l'enfance", 1990)
En vertu des lois du système, l'écart grandit, même dans les pays "riches", entre ceux qui ont et ceux qui n'ont pas : en 1991, 5 % des Américains détiennent aux Etats-Unis, 90 % du patrimoine national. En France, 6 % de la population dispose de 50 % du patrimoine national, 94 % l'autre moitié.
Le bilan global du système, l'américanisme, qui n'est rien d'autre que celui du capitalisme sous sa forme la plus achevée : c'est d'avoir fait un "monde cassé" -d'abord entre le Nord et le Sud- dans lequel 45 millions d'êtres humains meurent chaque année de faim ou de malnutrition, parmi lesquels 13 millions et demi d'enfants (chiffre de l'UNICEF). C'est à dire que le modèle de croissance, dont les Etats-Unis sont l'exemple le plus parfait, mais largement imité ou imposé dans le monde, coûte à l'humanité un nombre de morts équivalent à 1 Hiroshima tous les deux jours (10).
Lorsque Monsieur BUSH proclame : " Il faut créer une zone de libre marché de l'Alaska à la Terre de Feu ", et lorsque son Secrétaire d'Etat, John BAKER, ajoute : " Il faut créer une zone de libre marché de Vancouver à Vladivostok ", le plus grand débat du siècle est celui-ci : laisserons-nous crucifier l'humanité sur cette croix d'or ?
Nous avons essayé de comprendre et d'analyser le mécanisme interne de l'américanisme, son origine mythique, extra-terrestre, extra-historique, lui conférant, de droit divin, la domination du monde qu'il a mission de recréer.
Il est en cela guidé par la " main invisible " qui est à la fois celle de DIEU et du marché providentiel conçu par Adam SMITH.
Son objectif n'est donc pas de participer à la création continuée de l'Histoire, comme les autres peuples, mais au contraire, par le triomphe total des objectifs de sa " destinée manifeste " d'atteindre " la fin de l'Histoire " telle que l'a définie FUKUYAMA " lorsque les lois divines du marché régneront sans obstacle dans le monde entier. "
Bien entendu ce projet divin s'est inscrit dans une histoire, comme le furent tous les messages et les messagers de DIEU, mais, comme dans la Logique de HEGEL, le résultat final était déjà virtuellement contenu dans le projet initial.
En d'autres termes nous n'avons pas affaire à une nation qui se donnerait, dans telle conjoncture favorable, une ambition impériale. Il s'agit d'un développement supra-historique: non celui d'une nation ou d'un empire qui, par conquêtes successives, s'approprierait les territoires d'autres nations. Ici, le mandataire de DIEU récupère en deux siècles son propre territoire qui est la planète entière dont DIEU lui a confié la recréation, en apportant " la civilisation ", seule authentique, et la " modernité " du développement, à des barbares parfois, comme le furent les Indiens ou les Noirs, ou à des nations assez arriérées pour défendre leurs identités particulières et leurs cultures différenciées avec la prétention de faire résistance à la mondialisation de cette unique et transcendante modernité.
Une grande partie du monde est déjà " américanisée " et d'abord notre Europe, si bien que l'anti-américanisme est devenu une crise intérieure à l'échelle de la nation comme de la personne. Devons-nous laisser aller cette globalisation mercantile de l'économie, de la politique, de la culture, sous la seule régulation du marché, réduisant toutes les " valeurs " (même esthétiques ou morales) à des valeurs marchandes ? Ou bien allons-nous rejoindre, de l'Amérique latine à l'Asie les premiers noyaux de résistance à ce nivellement des esprits par les seules exigences aveugles de la compétitivité qui rend les riches de plus en plus riches et de moins en moins nombreux, et les pauvres de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux ? Résisterons-nous à l'écrasement darwinien

QUE FAIRE ? 

L'américanisme est une maladie qui s'est aujourd'hui propagée, à l'échelle du monde, et que nous avons donc à combattre à l'intérieur de nous-mêmes et de nos pays.
Le moyen le plus efficace ne peut être la violence : d'abord parce qu'elle servirait à la survie du système qui, nous l'avons vu, a périodiquement besoin d'une guerre pour " entretenir la conjoncture économique ", mais aussi parce que son pouvoir de destruction est considérable. Bien que son armée soit l'une des plus piètres du monde, non par lâcheté individuelle des soldats, mais parce qu'ils ne sont et ne peuvent être motivés par un projet quelconque. Leurs généraux ne leur donnent d'autre objectif que de détruire ; le discours du Général américain commandant en chef en Yougoslavie, ne leur en assignait point d'autre : " nous venons détruire ... "
L'autre axiome fondamental du Pentagone : la guerre "zéro mort", c'est à dire le pouvoir de détruire sans risque, par des bombardements faits à une altitude inaccessible à la défense, est significative : L'Etat Major sait -depuis la guerre du Viêt-nam- qu'une bataille au sol contre des adversaires motivés par un idéal, ne peut conduire qu'au désastre, même si le rapport des forces matérielles est largement en faveur de l'attaquant.
Le mythe des " frappes chirurgicales " est destiné à masquer le fait que, pendant la guerre du Golfe, par exemple, 7 % seulement de l'aviation américaine était équipée de ce dispositif prétendu infaillible pour n'atteindre que des cibles militaires, et que 93 % de leurs bombardiers se contentaient de lâcher aveuglément leurs missiles, détruisant n'importe quoi : des écoles comme des hôpitaux, des usines pharmaceutiques (comme au Soudan) et des agglomérations civiles. Au Kossovo l'on tirait de si loin qu'un bombardier put confondre un tracteur agricole avec un tank.
Ceci ne comporte aucune condamnation de la résistance armée. L'"intifada" des Palestiniens est, de ce point de vue, exemplaire, malgré son coût humain. Un peuple désarmé n'avait plus que les vieilles pierres de sa patrie millénaire pour défier un occupant armé jusqu'aux dents. Malgré ce rapport des forces à mille contre un, la résistance de ce peuple mettait définitivement fin au mythe d'une " terre sans peuple pour un peuple sans terre ".Vieux slogan sioniste que reprenait encore une GOLDA MEIR. Un peuple prouve, par sa résistance héroïque, son existence et sa foi.
Mais la victoire finale ne viendra -et elle viendra- que lorsque le gigantesque appareil à détruire du complexe militaro-industriel des Etats-Unis ne pourra plus soutenir, dans le monde entier, les forces de la mort.
Or, ce colosse aux pieds d'argile a un point faible : la vie artificielle de la Bourse, où les banques, depuis longtemps, ne jouent plus leur rôle propre : collecter de l'épargne pour l'investir dans des entreprises productrices de biens ou de services, mais se livrent à une activité spéculative prélevant des " commissions "sur des transactions réelles ou fictives, sur des " valeurs " qui n'ont parfois d'autre réalité que leur cotation en Bourse.
Il suffit alors que le doute s'installe sur la solvabilité de ces titres pour que des cessations de paiement en chaîne voient s'écrouler, comme un château de cartes ou de dominos, les banques qui avaient misé, comme au casino, sur des actions qui tour à tour flambaient et donnaient des profits fabuleux et instantanés, ou s'éteignaient au moindre vent des rumeurs boursières puisqu'elles n'étaient gagées que sur des " spéculations " (au sens financier mais aussi philosophique du mot) et non sur une économie réelle (11).
LES MYTHES DES PERFORMANCES DE L'ECONOMIE AMERICAINE :
1. La croissance.
Aux Etats-Unis la croissance est plus forte qu'en Europe. Elle est due à trois facteurs essentiels :
a - Les travailleurs américains ont consenti à une intensification des rythmes et à un allongement de la durée du travail, à une forte baisse des salaires, dans les emplois les moins qualifiés, c'est à dire à une augmentation des inégalités.
b - Les pressions exercées sur le niveau des salaires aux Etats-Unis, sont d'autant plus fortes que les très bas salaires imposés, dans les pays pauvres (et pas seulement en Asie du Sud Est mais au Mexique, par exemple après les accords de l'ALENA) contraignent les ouvriers américains à accepter des salaires " compétitifs " dont la tendance est de s'approcher de ceux des Mexicains ou des Asiatiques. Une telle forme de " croissance " implique donc nécessairement " des inégalités " à l'échelle nationale comme internationale.
2. Le taux de chômage est moindre aux Etats-Unis que dans les pays européens.
D'abord parce que les Etats-Unis ont littéralement " exporté " leur chômage en Europe, en particulier par la manipulation monétaire : la dévaluation du dollar a " dopé " les exportations en en faisant baisser les prix.
Ensuite comme l'écrit LUTTWAK : " une raison simple explique la quasi absence de chômeurs de longue durée aux Etats-Unis : l'Etat ne se charge pas de les indemniser. " En poussant cette logique jusqu'à sa plus absurde cruauté l'on pourrait même, du jour au lendemain, en finir avec le chômage : ne plus l'indemniser du tout. Il y aurait des cadavres dans les caniveaux mais la statistique serait resplendissante : il n'existe plus de chômeurs. Cette " logique " est pourtant celle du système néo-darwinien de l'élimination des faibles.
3. Le " niveau de vie "
de la majorité des Américains est supérieur à celui des européens. Ceci est vrai si l'on ne tient pas compte des 33 millions d'Américains vivant au-dessous du seuil de pauvreté et du fait qu'un enfant sur 8, dans ce pays, le plus riche du monde, ne mange pas à sa faim.
Mais l'explication essentielle est plus profonde : de même que l'Etat américain préfère couvrir ses dépenses ordinaires par l'emprunt plus que par l'impôt, les ménages élèvent leur train de vie non en fonction de leurs revenus mais par le crédit.
Si bien que le déficit de l'Etat atteignait déjà 620 milliards de dollars en 1995, et en était déjà à 1.550 milliards de dollars en 1998, et, sur la lancée actuelle atteindrait 3.450 milliards de dollars en 2.000 c'est à dire 36 % du " Produit national brut ".
L'endettement du secteur privé, lui, dépasse les 5.000 milliards de dollars. En paroles simples les Etats-Unis dépensent plus qu'ils ne gagnent et vivent au-dessus de leurs moyens. Il n'est pas nécessaire d'être un " économiste distingué " pour comprendre qu'une telle dérive ne peut se prolonger indéfiniment.
Comme l'écrit le Professeur Michel BEAUD : " A première vue toutes les conditions d'une crise boursière sont donc réunies . "
Si bien qu'à l'heure actuelle la menace de l'éclatement de la " bulle spéculative " menace le " turbo capitalisme " d'un krach plus catastrophique que celui de 1929.
D'abord parce que l'Etat américain serait incapable d'enrayer l'avalanche en raison de sa dette, la dette des municipalités et des comtés passant aussi de 150 milliards en 1970 à 598 milliards de dollars en 1989.
" Il y a un défaut fatal dans le fonctionnement actuel du système ; les banques d'affaires, qui en sont les piliers, n'ont objectivement aucun intérêt à faire des investissements (ou quoi que ce soit) sur le long terme. Leurs revenus ne proviennent pas de dividendes, d'intérêts ou de bénéfices liés à des activités productives, mais de commissions touchées à chaque transaction. Chaque fois qu'ils consentent un prêt les banquiers touchent une commission. Il y a couramment des commissions de plusieurs millions de dollars, parfois plus, qui représentent des millions de dollars gagnés en quelques jours ou en quelques heures et cet argent est généreusement reversé aux banquiers d'affaires eux-mêmes, sous forme de salaires et de primes. L'argent réellement investi à des fins productives est, de leur point de vue, de l'argent qui dort et de l'argent inutile. Ce qu'ils veulent, ce sont des transactions aussi nombreuses que possible.
Le résultat le plus évident de tout cela, c'est de détourner des milliards de dollars (qui auraient pu aller à des constructions, à des fabricants d'équipement à des équipes de recherche) vers les comptes courants personnels des banquiers.
En pleine pénurie de capitaux aux Etats-Unis, résultant de la consommation effrénée, de la faiblesse de l'épargne et du financement des dépenses publiques par des emprunts incessants plutôt que par l'impôt, la pénurie de capitaux patients disponibles est plus grande encore. Or tout investissement réellement productif se doit d'être patient : les usines ne se construisent pas en un jour. (12)"
" L'endettement privé atteint le niveau colossal de cinq mille milliards de dollars, chiffre égal aux 9 dixièmes du total des revenus privés.(13) "
L'économie américaine fonctionne ainsi sans filet de sécurité, et avec des spéculations sur des valeurs virtuelles.
En outre, malgré les dévaluations successives du dollar, la balance commerciale est, dans le moyen terme, largement déficitaire. Son déficit s'accroît en raison d'une consommation débridée, qui fait vivre la nation au-dessus de ses moyens (d'où le montant des dettes privées). En raison aussi de l'appauvrissement croissant du Tiers-Monde, de la montée du chômage, même dans les pays les plus développés, et de la baisse constante des revenus privés de l'immense majorité de la population. Aux Etats-Unis même, il est évident qu'une croissance ne peut être sans limite alors que le nombre des clients solvables est de plus en plus restreint dans le monde.
C'est là ce qui désigne les moyens les plus efficaces (et les plus pacifiques) de la lutte, et, en même temps les responsabilités personnelles de chacun. Il ne s'agit pas de se répandre en plaintes bêlantes contre cet américanisme mortel pour notre économie, pour notre indépendance politique, pour notre culture, nos arts et notre spiritualité ; en un mot pour le sens même de notre vie.
L'économie américaine ne pourrait pas supporter la perte, même partielle, d'un ou deux milliards de ses clients. Elle serait acculée à la faillite.
Or l'immense majorité de nos populations est envahie par l'américanisme dans toutes les dimensions de sa vie : des multitudes portent l'uniforme américain avec ses Jeans LEVI'S et ses shirts d'hommes-sandwichs pour la publicité des marques ou même des universités américaines, une grande part de notre jeunesse préfère le Coca-Cola à toute autre boisson, et fume des Malboro, les enfants considèrent souvent un repas au Mac Do comme une récompense, les films de violence ou, d'épouvante (et les cassettes vidéo et les disquettes qui les reproduisent) dominent le marché à 80 %, et les jeux interactifs qui inculquent les jouissances de la terreur à nos enfants, nous sont apportés à domicile par la télé hollywoodienne qui règne de Taî-peh à Sao-Paulo, comme de Paris à Dakar.
Et surtout les gouvernements qui fournissent au Pentagone leurs supplétifs et leurs valets d'armes sous commandement américain, achètent par milliards de dollars des avions de combat et d'autres formes d'armement aux grandes firmes américaines qui complètent ainsi les cadeaux du gouvernement américain aux grandes entreprises : son budget prend en charge la recherche et le développement dans l'intervalle des " heureuses guerres ", comme dit M. Alain PEYREFITTE, qui assurent périodiquement un boom confortable à l'économie.
Or tout cela n'est possible que par nos lâches consentements.
Pourquoi ne pas exiger d'abord de tout candidat à un Parlement :
1. L'engagement, sans équivoque, de n'accepter aucun contrat d'achat d'armement aux Etats-Unis (car c'est là le poste principal).
2. L'engagement sans équivoque d'exiger du gouvernement le retrait des organisations qui sont, autour du monde, les tentacules de la pieuvre, telles que le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale qui a déjà ruiné le Tiers-Monde, et dont les méthodes de " privatisation ", de réduction de prestations sociales, de fusions, d'OPA, de dérégulation, de délocalisations, conduisent encore aux licenciements, à la " flexibilité de salaires " (c'est-à-dire à l'acceptation résignée de leur abaissement). Et surtout au retrait de l'OTAN, comme en avait donné l'exemple le Général DE GAULLE, pour cesser de fournir une piétaille supplétive à toutes les agressions américaines.
3. Ici commencent à s'exercer directement les responsabilités personnelles : la grève de la redevance télévisuelle, par des organisations d'auditeurs la rendant collective, si nos petits écrans continuent à être saturés par les films au rabais de la production hollywoodienne avec ses " terminators " et ses Tarzans à la gloire du plus fort. Il va de soi que cela vaut pour les salles de cinéma nous servant les mêmes déchets.
4. Se souvenir que toute consommation de Coca-Cola et des Mac Do sont des subventions à l'occupant. Ne pas oublier que les Disneyland ne sont pas seulement des exploiteurs de main-d'œuvre au rabais, mais qu'ils contribuent massivement à la corruption et à la destruction de notre culture en reprenant les thèmes extérieurs de notre folklore pour le transformer en habillage spectaculaire de leurs propres valeurs: la victoire de la force, de la richesse ou de la ruse.
5. Ne pas oublier la corruption qu'ils ont introduite, par exemple, dans notre sport qui n'aurait plus pour vocation de former par milliers des jeunes sains et robustes, mais par la publicité ou l'achat de quelques champions, de faire des spectacles rentables, ne serait-ce que par leurs ventes à des chaînes télévisées, ou par la pub des stades, ou de l'édition des maillots de quelques vedettes médiatisées, ou par l'exploitation de jeunes poussés à l'exploit qui n'ont le choix que d'être achetés par des clubs richement sponsorisés, ou d'être exclus et de perdre leur emploi si leurs performances ne sont pas suffisantes, ou d'accepter le dopage et la drogue, pour les maintenir dans l'équipe.
6. Enfin, 74 % des ressources naturelles se trouvent dans le Tiers-Monde, mais ne sont aujourd'hui contrôlées et consommées que par 20 % des privilégiés de la Terre. Il est possible par un changement radical de nos rapports avec le Tiers-Monde, de procéder non par " transferts de technologies ", qui accroissent la dépendance et ne répondent pas aux besoins des peuples, mais par " troc " afin d'éliminer le dollar comme monnaie mondiale d'échange, et de redonner à chaque peuple la possibilité de se " développer ", non pas selon les modes d'économie importés des pays où la richesse d'une minorité a pour corollaire inéluctable la misère des multitudes, surtout dans le Tiers-Monde, mais de réaliser un véritable développement humain dans la voie originale de son histoire, de sa culture, et de ce qu'elles peuvent apporter, non pas à une " mondialisation " impériale au service du nouveau colonialisme unifié, mais à une universalité symphonique par la fécondation réciproque des civilisations.
Il dépend de nous (et nous ne devons pas cacher que cela implique des sacrifices personnels) qu'il nous est ainsi possible d 'empêcher les provisoires maîtres du monde de nous conduire, au XXI ème siècle, à un suicide planétaire par l'épuisement et la pollution de la nature, par l'appauvrissement et la destruction des hommes et des femmes, par l'exploitation, la corruption et l'exclusion de l'humain au nom d'un néo-darwinisme social impliquant l'élimination des plus faibles, ou de travailler collectivement et personnellement à la résurrection.
Le problème de l'anti-américanisme, n'est ni géographique, ni racial, mais fondamentalement religieux. Car c'est un acte de foi de choisir entre une vie dépourvue de sens et la résurrection des fils de l'homme. Car c'est de l'homme qu'il s'agit. 

ANNEXE
Les Editions Odile JACOB ont publié un livre consacré à l'analyse du même " système ". Il est écrit par un spécialiste américain créateur d'entreprises, théoricien de ce qu'il a appelé lui-même le " turbo-capitalisme ", expert de plusieurs institutions économiques privées ou publiques aux Etats-Unis.
Partant d'un point de vue opposé au nôtre, il donne du système la même analyse, lui pour la louer et en proposer l'universalisation, comme nous pour la critiquer et appeler à sa destruction.
Ce parallélisme témoigne avec une telle force de l'objectivité des deux analyses dans la description du même phénomène, qu'il nous a paru souhaitable d'inviter tous ceux qui s'interrogent sur le sens du mouvement historique de notre époque à lire le livre d'Edward N. LUTTWAK pour constater que de quelque point de vue qu'on se place (laudateur ou critique) il s'agit de la même réalité, du même mouvement.
C'est pourquoi il nous semble nécessaire pour présenter du livre de LUTTWAK un compte-rendu qui ne soit biaisé par aucun parti pris, de lui donner la parole (et le dernier mot) en annexant à notre formulation critique, un résumé de son livre, fait à partir de ses propres citations, pour inciter le lecteur à lire l'ouvrage en son intégralité afin d'être juge dans le débat que nous proposons.
A tous nous conseillons de méditer attentivement sur ce livre : l'un des plus profonds dans l'étude de l'économie de notre siècle : " Le turbo-capitalisme " par Edward N. LUTTWAK, traduit par les Editions Odile JACOB. Paris 1999.
En voici quelques extraits significatifs :
Page 19. Le monde entier est condamné à adopter, à très court terme, le nouveau modèle économique inventé aux Etats-Unis.
Page 50. Il se résume ainsi : privatisations + dérégulation + mondialisation = turbo-capitalisme = prospérité.
Page 53. Ses partisans ne le nomment pas ainsi. Ils se contentent du terme " marché libre ", mais ce qu'ils entendent par-là va bien plus loin que la simple faculté d'acheter et de vendre. Ils vénèrent, professent et revendiquent un modèle : celui de l'entreprise privée, libérée du contrôle administratif, échappant au contre-pouvoir de syndicats efficaces, débarrassée de considérations sentimentales concernant le sort des employés ou des collectivités locales, ignorant les barrières douanières ou les limitations à l'investissement et délivrée, autant que possible, de la ponction par l'impôt. Ce qu'ils réclament avec insistance, c'est la privatisation dans tous les domaines, et la conversion de toutes les institutions publiques -des universités aux jardins botaniques, des prisons aux bibliothèques, des écoles primaires aux maisons de retraite- en entreprises gérées selon des critères de rentabilité.
Page 150. Le mouvement de privatisation des entreprises publiques vise à accroître la productivité, en éliminant les sureffectifs et en remplaçant, chaque fois que possible, des employés efficaces par des machines plus efficaces encore. En Grande-Bretagne, la privatisation des compagnies nationales de téléphone, de gaz, d'électricité, et celles de la sidérurgie, de British Airways et de British Rail a abouti à la suppression de plus de 300.000 emplois.
Page 150. En France et en Italie, où le secteur public contrôle des pans entiers de l'économie, les privatisations permettraient des gains de productivité significatifs. Les conséquences seraient favorables pour le produit national brut et désastreuses pour le marché du travail.
Page 153. L'allégement de la législation du travail doit viser à faciliter les licenciements (préavis limité à un mois et indemnités réduites), limiter les congés payés et le coût des heures supplémentaires, etc.
Page 93. Pour les dirigeants d'entreprises, éviter par tous les moyens les licenciements en encourageant la formation permanente, afin de développer les compétences et la loyauté du personnel, évoque pour eux une incorrigible sensiblerie féminine, tout à fait déplacée dans notre univers néo-darwinien.
Page 88. En réduisant le personnel à tous les niveaux -de la chaîne d'assemblage aux bureaux d'études, des services administratifs à l'encadrement- Boeing a réussi à se débarrasser de quarante-cinq mille employés entre 1992 et 1996. Wall Street s'est enthousiasmé en constatant que la réduction des coûts de production s'accompagnait d'une croissance des ventes sur le marché de l'aviation civile, en pleine phase d'expansion.
Page 89. A Wall Street, l'action, jusque-là déprimée, enregistre une hausse de 1,69 dollar, pour atteindre la cote de 50,63 dollars. ... analystes et brokers interprètent les prévisions de licenciements massifs comme l'indice d'un brillant management. (14)
Page 112. Une entreprise qui crée des emplois est mal gérée, selon les canons de la nouvelle orthodoxie, qui condamne tout facteur susceptible de réduire la rentabilité.
Page 114. Une évidence ressort de cette comparaison : là où le capital fructifie, l'emploi est rare et vice versa.
Page 112. Ainsi ne manque-t-on jamais de citer les succès à l'exportation de la haute technologie américaine, en particulier dans l'informatique, fief des nouveaux titans, pour illustrer le bien-fondé de la libéralisation des échanges, c'est-à-dire des efforts poursuivis par les Etats-Unis pour unifier l'économie mondiale en négociant la levée de toutes barrières sur le commerce, les investissements ou les licences. En contrepartie, la perte nette de quelque deux millions d'emplois -selon les estimation les moins sombres-, liée aux importations dans les autres secteurs, est tenue pour négligeable parce qu'il s'agirait d'emplois peu qualifiés dans des branches en déclin.
Page 25. Le turbo-capitalisme, grand destructeur de privilèges, n'affecte pas seulement les travailleurs syndiqués. Les petits commerçants qui jouissaient de monopoles locaux pour la distribution de leurs produits sont acculés à la faillite par la multiplication des supermarchés ou des magasins de chaînes. La mondialisation
Page 30. La mondialisation, enfin, consiste peut-être, pour l'essentiel, à délocaliser la production plutôt qu'à l'accroître, néanmoins tout transfert international met en jeu des échanges de devises et souvent d'autres opérations financières, comme les prise de positions sur les marchés à terme, pour compenser des taux de change défavorables. En conséquence, l'arrivée du turbo-capitalisme s'accompagne partout d'un gonflement du secteur financier et boursier sans commune mesure avec le développement de l'" économie réelle ", celle des fermes, des usines et des boutiques.
Page 279. Tout naturellement, la répartition des revenus changerait beaucoup, pour devenir plus inégalitaire, selon le modèle des Etats-Unis où les ménages les plus riches, soit 5 % du total, ont vu leur part du revenu total passer de 15-16% dans les années 1970 à 17-18 % au début de la décennie suivante, puis à 21,4% en 1996.
Page 40. Une notion importante sous-tend la règle numéro un du turbo-capitalisme américain : quoi que relatent les Saintes Ecritures des paroles du Christ, la possession de richesses ne constitue pas une entrave à la vertu. Au contraire, selon cette doctrine de la prédestination, elle signale une faveur divine.
Page 41. Les super-gagnants ne sont pas seulement respectés pour leur savoir-faire mais aussi pour leur savoir tout court, ou tout au moins pour celui qu'on leur prête. Il leur est souvent demandé de se prononcer sur les grandes questions de l'actualité, même les plus éloignées de leur domaine de compétence. Au cours de l'année 1997, par exemple, Bill Gates, champion du marketing des logiciels, et Georges Soros, champion de la spéculation sur les devises, ont été cités sans répit et chaque fois avec la plus grande déférence dans l'ensemble des médias américains, sur des sujets aussi divers que l'avenir de l'éducation publique ou la légalisation des drogues. Leurs interlocuteurs tenaient pour une évidence que l'étendue de leur bienveillante sagesse égalait l'envergure de leurs revenus. Ces égards découlent en ligne directe de la règle numéro un, dont les implications vont bien au-delà d'une simple légitimation morale, accordée à l'enrichissement. Loin d'être stigmatisés pour leur avidité, les gagnants sont tenus en très haute estime. Pour les super-gagnants, celle-ci confine à la sanctification.
Page 44. Tout comme la faculté de s'enrichir confine à la sainteté, il y a, dans l'incapacité à échapper à la pauvreté une odeur tenace de péché.
Page 130. L'explosion des revenus au sommet se combine avec l'exclusion à la base.
Page 131. Laissons de côté toute l'imagerie hollywoodienne qui associe pauvreté et couleur de peau pour nous pencher sur les chiffres. Aux Etats-Unis, en 1996, sur un total de 36.529.000 pauvres officiellement dénombrés, 24.650.000 étaient blancs, dont 16.267.000 " Blancs non hispaniques ", contre 9.694.000 Noirs. Page 277. Pour 60 millions de salariés, en dollars réels, leurs revenus étaient plus élevés au début des années 1970, lorsque l'économie était encore réglementée. Par ailleurs, plus de 17 millions de salariés à temps plein -faisant 40 heures par semaine, 50 semaines par an- restent au-dessous du seuil de pauvreté. Page 100. L'existence de ce rebut économique explique le taux de criminalité exceptionnellement élevé aux Etats-Unis et la persistance, dans d'immenses villes, de " zones interdites ".
Page 21. Parmi ces soixante millions d'Américains moins chanceux, nombreux sont ceux qui, après avoir perdu leur poste dans l'industrie ou les services, ont dû accepter des emplois précaires et mal payés dans la vente, le gardiennage, la restauration, la manutention ou le nettoyage. Cette mobilité vers le bas a eu pour effet de rejeter du monde du travail le sous-prolétariat. Ses représentants constituent les gros bataillons des 1,8 million d'Américains qui peuplent les prisons selon les statistiques les plus récentes. A ceux-là, il faut ajouter 3,7 millions de personnes en liberté conditionnelle ou en attente de jugement. Ainsi, le total de la population criminelle s'élève à 5,5 millions de personnes, soit 2,8% de la population adulte, deux fois plus qu'en 1980, quand le turbo-capitalisme en était à ses premiers balbutiements.
Page 86. En 1995, 4,9 millions d'Américains étaient sous contrôle judiciaire: 2,8 millions condamnés à des peines avec sursis, 671.000 en libération conditionnelle, 958.704 enfermés dans les prisons d'Etat, 95.034 dans les prisons fédérales et 446.000 dans les prisons locales. Rapportés à la population totale du pays (hommes, femmes et enfants confondus) ces chiffres signifient qu'un individu sur 189 se trouvait derrière les barreaux, ce qui représente une augmentation spectaculaire par rapport au chiffre déjà très élevé de un pour 480, en 1980. Depuis lors, la tendance ne s'est pas inversée : à la fin du premier semestre 1997, le chiffre total s'élevait à 5,5 millions. Les Américains ne sont plus vraiment choqués par les dimensions gigantesques de cette " émeute " permanente, même si les 8 millions de petits vols, les 3 millions de cambriolages, les 1,6 million vols de voitures, le million d'attaques à main armée, les 639.000 escroqueries, les 102.000 viols et les 23.000 meurtres, selon les derniers chiffres, ont dernièrement augmenté dans la proportion également phénoménale de 6 à 10 % par an et se diffusent depuis déjà longtemps dans les banlieues et les petites villes autrefois tranquilles. Le FBI dénombrait un meurtre toutes les vingt-deux minutes, un viol toutes les cinq minutes, un vol toutes les quarante-neuf secondes, un braquage toutes les trente secondes, un cambriolage toutes les dix secondes, etc.
Page 138. Ressort de l'enquête que le trafic de drogue, générant un revenu de 12.500 dollars par an, en 1987, représentait la profession la plus rentable qui s'offrait à ceux -dépourvus d'éducation- qui l'avaient embrassée. En d'autres termes, toute l'information disponible corroborait que le " personnel " impliqué dans le trafic de drogue avait choisi l'orientation la plus rationnelle et le meilleur consultant en ressources humaines n'aurait pu leur opposer d'arguments décisifs.
Page 138. En réalité, chaque pays développé est condamné à engendrer sa propre " classe dangereuse " de chômeurs chroniques et d'asociaux. A quel rythme ? Aussi vite que les services publics seront concédés à des acteurs privés ou perdront leurs ressources, du fait de la disparition des réglementations commerciales comme de toute autre entrave au fonctionnement du marché, notre nouveau marché libre, informatisé et mondialisé.
Page 137. La criminalité elle-même remplit une fonction sociale. Loin d'être l'expression d'une déviance, elle apparaît comme un choix rationnel. Une enquête portant sur le trafic de drogue à Washington, et analysant dans le détail l'ensemble des décisions de justice, invalide les opinions établies. Selon ses conclusions solidement étayées, le trafic crée quantité d'emplois et permet des investissements fructueux. L'enquête démontre aussi que le choix des entrepreneurs et des employés qui embrassent cette activité découle d'une analyse conséquente de la situation. L'enquête se penche sur les cas de plus de l1.000 trafiquants réguliers et environ 13.000 occasionnels. Pour l'ensemble de la corporation, le revenu net après dépenses se monte à 300 millions de dollars. Même en imputant, selon les méthodes des compagnies d'assurances, une valeur monétaire au risque réel de mort violente ou de blessures dans le cadre d'une concurrence à couteaux tirés, ou au risque mineur d'arrestation et de condamnation. Le grand dilemme
Page 296. Laisser la bride sur le cou au turbo-capitalisme, à la manière américaine et britannique, conduit à aggraver les inégalités de revenus, en échange d'une croissance économique pas si remarquable que cela.Résister au turbo-capitalisme en protégeant les salariés et en préservant les réglementations commerciales ou même, le secteur public, pèse sur les firmes, décourage l'esprit d'entreprise, freine l'innovation technique, ce qui débouche sur moins de croissance et sur un chômage structurel beaucoup plus important. Laisser le turbo-capitalisme se propager sans obstacle aucun aboutit à l'éclatement des sociétés entre une petite minorité de gagneurs, une masse de perdants plus ou moins aisés ou pauvres, et des rebelles qui ne respectent plus les lois. Non seulement le lien social est déchiré, mais les liens familiaux sont érodés.
Page 297. Tel est le grand dilemme auquel nous sommes aujourd'hui confrontés. Jusqu'à présent, aucun gouvernement occidental n'a proposé mieux que de laisser le turbo-capitalisme se propager sans entrave, dans l'espoir qu'une croissance plus rapide résoudra toutes les difficultés. Au lieu de cela, le turbo-capitalisme approfondira la fracture entre la Silicon Valley des héros et le défilé des désespérés. Tout y conduit logiquement, mais les forces politiques dominantes ne veulent pas le voir. Comparé à l'esclavage des défuntes économies communistes, au débilitant socialisme bureaucratique et aux grotesques échecs des nationalismes économiques, le turbo-capitalisme est globalement supérieur au plan matériel et, en dépit de son pouvoir de corrosion sur la société, la famille et la culture, il n'est pas vraiment inférieur au plan moral. Pourtant, accepter que le turbo-capitalisme étende son empire sur tous les domaines -de l'art au sport, sans parler de l'économie- ne peut constituer l'accomplissement de l'espèce humaine.
Notes
(1) Sur tout ceci voir : Elise MARIENSTRASS : " Les mythes fondateurs de la nation américaine ". Ed. Complexe. Bruxelles 1992.
(2) " Thoughts en Indian treatries " American Museum 1791
(3) Samueln Sewall " The selling of Joseph " (p. 83-87) Cité par Marientrass (Op. Cit. p. 237)
(4) Marientrass (Op. cit. p. 229)
(5) Sur cette expansion américaine à travers ces divers " cercles ", se reporter au livre fondamental de Michel BUGNON-MORDANT " L'AMERIQUE TOTALITAIRE " (Ed. FAVRE. Lausanne 1997)
(6) Sur cette domination de l'Amérique latine (le deuxième cercle) voir l'article de M Peña Torres
(7) Cité par Brugnon-Mordant "L'Amérique totalitaire". (Préface de Piere Salinger) Ed. Fauvre. Lausanne 1997.
(8) Voir Brugnon-Mordant. Op. Cit.
(9) En tenant compte que ces appellations abstraites masquent une réalité plus tragique: les pays "riches" comptent une multitude de pauvres, et les pays "pauvres" une poignée de riches, maffieux et "collabos" des géants mondiaux.
(10) Voir Susan George: "Jusqu'au cou". Ed. La Découverte. Paris 1992.
(11) Voir Kennet Galbraith, sur le mécanisme du krach de 1929.
(12) Edwad N. Luttwak. " Le rêve américain en danger ". Ed. Odile Jacob. 1995. p. 165-166.
(13) Edward N. Luttwak. " Le turbo capitalisme " (Op. Cit. p.22)
(14) L'exemple a été imité en France, avec les mêmes effets : licenciements entraînait une hausse des actions de la société en Bouse, ou Michelin est exemplaire : Il ne faut cependant pas accuser Michelin de tous les maux. Le cas Michelin n'est -malheureusement- pas exceptionnel, bien qu'il soit extrême. A l'occasion de l'" université " du MEDEF, Jean Boissonnat déclarait récemment, sous les applaudissements des patrons, que ni l'emploi ni le progrès social ne constituent la finalité de l'entreprise, alors que le patron des patrons, le baron Ernest-Antoine Seillière, surenchérissait en ajoutant qu'il est " normal, pour une grande entreprise, de réduire son personnel de 3 % par an ". Même la politique antisyndicale de Michelin n'est plus une exception. Si l'on ne compte en effet que 4 % de syndiqués dans le secteur privé, c'est parce que, dans les entreprises françaises, on les chasse avec plus d'acharnement qu'au temps de la guerre froide ! Edouard Michelin, formé aux Etats-Unis, trois mois après avoir pris le pouvoir dans l'entreprise, et alors que ses bénéfices ont augmenté de plus de 18% sur un an, annonce une réduction des effectifs de 7500 personnes en Europe -et même en France, et même en Auvergne- pour " satisfaire les actionnaires " et " prendre les devants, afin de préparer dès aujourd'hui les performance de demain ". La Bourse le lui rend bien : à l'annonce des licenciements à venir, le titre a augmenté de 12,6 % .

Roger Garaudy, A contre-nuit, n°5-6