04 janvier 2018

Jésus et le "péché originel"

Le péché originel
Mais qu'en a dit Jésus ?

Portique. Basilique de Vérone
Le péché originel est une doctrine de la théologie chrétienne qui décrit l'état dégradé de l'humanité depuis la Chute, c'est-à-dire la désobéissance d'Adam et Ève, premiers êtres humains créés par Dieu qui, selon le Livre de la Genèse, mangent le fruit défendu de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Elle affirme que la nature humaine a été blessée ou corrompue par cette faute originelle et que tout être humain se trouve en état de péché du seul fait qu'il relève de la postérité d'Adam. On parle parfois de « premier péché », « péché d'Adam » ou encore « péché de nos premiers parents »(1).
Cette doctrine, extrêmement débattue depuis ses origines, a toutefois pris des formes bien distinctes dans les différentes confessions chrétiennes, et le péché originel est décrit de différentes façons, depuis une simple déficience, ou une tendance au péché qui exclut toute idée de culpabilité a priori, jusqu'à l'idée d'une nature totalement corrompue et d'une véritable culpabilité collective. Ces conceptions différentes du péché originel induisent des différences notables dans la théologie du salut, notamment en ce qui concerne le libre-arbitre et la grâce.
L'expression « péché originel » ne figure nulle part dans la Bible, mais la doctrine du péché originel s'appuie sur plusieurs passages de l'Écriture : les chapitres 2 (versets 16 et 17) et 3 du Livre de la Genèse, les épîtres de Paul aux Romains (5:12-21) et aux Corinthiens (1 Co 15:22), ainsi qu'un passage du Psaume 51. Le premier exposé systématique qui en a été proposé, et à partir de l'interprétation duquel les controverses se sont déployées, est celui d'Augustin d'Hippone au IVe siècle
L'objet de cette contribution n'est pas de rediscuter sur cette question sur laquelle  des générations de théologiens ont réfléchi et écrit. Relevons que les rares textes bibliques sur lesquels on a bâti cette doctrine sont sujets eux même à interprétation divergente.
Se baser sur le récit de Genèse 2 et 3 est pour le moins hasardeux, lorsqu'on sait que ces notices racontant la ''fabrication'' d'Ève à partir d'une côte d'Adam et ensuite l'histoire de la tentation dans le jardin d'Éden, sont des récits mythiques, élaborés par des narrateurs s'inspirant,( on pourrait dire ''plagiant'') des textes sumériens. Nous en avons apporté la preuve dans un livre publié récemment.(2) D'ailleurs, les exégètes  sérieux des textes bibliques reconnaissent bien le caractère mythique de ces  récits(3). Quant aux écrits de Paul, lisons les  observations de John Shelby Spong (4):
La pensée de Paul était limitée par la vision du monde et les événements de son temps. Vouloir trouver à tout prix une vérité éternelle dans des paroles conditionnées par une culture et une époque qui ne sont pas les nôtres est le comble de la bêtise. Les mots de Paul ne sont pas la parole de Dieu|[...]Paul n'était pas un savant universel. Il n'était même pas un spécialiste de la Bible. Il avait étudié les Écritures, mais il ne connaissait rien au contexte, à l'histoire, à la formation de l'Ancien Testament, contrairement à n'importe quel étudiant d'un grand séminaire anglais ou américain aujourd'hui. La sagesse populaire, à son époque, attribuait la Torah à Moïse et Paul ne mettait pas cela en doute( Rm 9:15;10:15;10:19;1Co 9:9;2Co 3:15). Pour lui, Adam était tout autant que Jésus de Nazareth  un personnage historique au sens propre( Ro 5:14,18). Aucun savant ne défendrait aujourd'hui une telle idée[ ….]Vouloir traiter les mots de Paul comme s'ils étaient la parole infaillible de Dieu suppose que le Chrétien renonce à toute analyse intelligente et admette des schémas culturels depuis longtemps abandonnés.(5).

Maintenant faisons appel au meilleur des théologiens, qui n'a, certes, pas écrit de livres de théologie, (que, soit dit en passant, personne ne lit, exceptés les théologiens et les étudiants en théologie !). Il n'a laissé aucun écrit, mais ses disciples ont recueilli ses paroles et les ont ensuite mises par écrit. Il s'agit, ben entendu, du Christ. Dans l'évangile de Jean, un récit très intéressant met en scène plusieurs personnages : un homme désigné comme un aveugle de naissance, ses parents, les docteurs de la loi, les disciples de Jésus et Jésus lui-même.
   Jésus vit, en passant, un homme aveugle de naissance.
  Ses disciples lui firent cette question: Rabbi, qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle?
                                                                                                                        Jean 9,1-2


D'emblée, les disciples vont poser une question difficile mais bien humaine : qui ? Car il faut toujours à l'homme désigner un responsable, un bouc émissaire en quelque sorte. Rappelons que pour les hommes vivant en ce temps, les drames, défaites, famines, incidents climatiques, maladies, étaient toujours la conséquence de la colère de la divinité, quelle qu'elle soit d'ailleurs.
N'oublions pas les terribles malédictions promises par Yahweh, le dieu d'Israël que nous trouvons dans le livre du Deutéronome au chapitre 28 :
  Mais si tu n'obéis point à la voix de Yahweh, ton Dieu, si tu n'observes pas et ne mets pas en pratique tous ses commandements et toutes ses lois que je te prescris aujourd'hui, voici toutes les malédictions qui viendront sur toi et qui seront ton partage:
  Tu seras maudit dans la ville, et tu seras maudit dans les champs.
  Ta corbeille et ta huche seront maudites.
  Le fruit de tes entrailles, le fruit de ton sol, les portées de ton gros et de ton menu bétail, toutes ces choses seront maudites.
  Tu seras maudit à ton arrivée, et tu seras maudit à ton départ.[
                                                                                                                      Deutéronome 28,15-18
Alors oui, pour les disciples, seul un péché pouvait être la cause d'une cécité de naissance.
Si, dans la mentalité de ces gens, seul un péché grave des parents pouvait expliquer la naissance d'un enfant mal-formé, les disciples vont cependant monter d'un degré, en montrant du doigt l'aveugle-né et en osant dire : '' qui a péché, cet homme […]  pour qu'il soit né aveugle ?''
Les disciples font leur la doctrine théologique du '' péché originel''. Cette doctrine détestable, tiré de récits mythiques compilés par les docteurs de la loi, a été cause d'innombrables souffrances. Elle a permis aux religieux de tous bords d'asseoir leur suprématie sur les femmes pendant des siècles. On relira avec intérêt l'excellent ouvrage de Guy Bechtel (6) à ce sujet.
Pendant dix-neuf siècles au moins, l'Église et ses théologiens n'ont cessé d'éprouver pour la femme des sentiments contradictoires. On aimait sa douceur, sa virginité, ses maternités. Mais on la soupçonnait, au plus profond d'elle-même, de rester éternellement une putain, une sorcière et une imbécile. Même les saintes ont été souvent mal vues par l'Église, car elles essayaient de sortir de l'anonymat d'une façon contraire à la modestie de leur sexe.

Pendant des siècles, l'Église n'a voulu que la soumission. Elle s'est opposée à peu près constamment à la libération de la femme, à son enseignement, à son accès à la culture et au monde du travail, aujourd'hui encore à son ordination. D'où vient ce mythe de l'infériorité féminine, qu'on retrouve à peu près dans toutes les religions, en tout cas dans le judaïsme et dans l'islamisme ? Eve est la première coupable. Elle a précipité l'humanité dans le péché. Depuis la pomme fatale, les femmes ont été accusées, par l'Église, de porter des tares infamantes : " être imparfait " pour saint Thomas, " produit d'un os surnuméraire " (Bossuet), " porte du Diable " (Tertullien), " sac de fiente " (Odon de Cluny), elle a été regardée par les religieux avec crainte et parfois même avec horreur. Cette histoire de l'anti-féminisme chrétien éclaire les combats actuels sur la contraception, l'avortement, le préservatif, (Commentaire de l'ouvrage de Guy Bechtel).

L'accusation lancée par les disciples nous semble aujourd'hui aberrante : comment un nouveau né aurait-il pu  pécher avant sa naissance, car c'est bien cela qui est sous-jacent à la question posée ? La seule explication, qu'une telle idée ait seulement pu effleurer l'esprit des disciples, se trouve dans la doctrine du péché originel, élaboré par les docteurs de la loi et les religieux juifs à l'origine des écrits de la Thora. D'ailleurs, dans la suite du texte, les docteurs de la loi entrent dans une discussion vive avec l'aveugle-né guéri par Jésus.

Voyant qu'ils n'avaient pas le dessus, eux, les spécialistes de la loi, dont ils se prétendaient les seuls dépositaires, (de la loi écrite d'abord, mais aussi de la loi orale données par Yahweh à Moïse), désarçonnés par  les réponses argumentés de l'homme guéri, ils vont le chasser en lui jetant à la figure tout leur mépris.


Les pharisiens appelèrent une seconde fois l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent: Donne gloire à Dieu; nous savons que cet homme est un pécheur.
Il répondit: S'il est un pécheur, je ne sais; je sais une chose, c'est que j'étais aveugle et que maintenant je vois.
Ils lui dirent: Que t'a-t-il fait? Comment t'a-t-il ouvert les yeux?
 Il leur répondit: Je vous l'ai déjà dit, et vous n'avez pas écouté; pourquoi voulez-vous l'entendre encore? Voulez-vous aussi devenir ses disciples?
 Ils l'injurièrent et dirent: C'est toi qui es son disciple; nous, nous sommes disciples de Moïse.
 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse; mais celui-ci, nous ne savons d'où il est.
 Cet homme leur répondit: Il est étonnant que vous ne sachiez d'où il est; et cependant il m'a ouvert les yeux.
 Nous savons que Dieu n'exauce point les pécheurs; mais, si quelqu'un l'honore et fait sa volonté, c'est celui là qu'il l'exauce.
 Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle-né.
 Si cet homme ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire.
 Ils lui répondirent: Tu es né tout entier dans le péché, et tu nous enseignes! Et ils le chassèrent.

Jean 9,24-34

Les  religieux juifs, en affirmant que'' tu es né tout entier dans le péché'' déclarent et certifient que le péché d'Adam s'est transmis tous les hommes. Comment donc auraient-ils pu affirmer le contraire, puisque tous ces récits ont été composés par leurs docteurs de la loi. Ils font preuve d'une indifférence totale  teintée de mépris pour cet homme, et tous les êtres humains en général.

Alors, écoutons maintenant la réponse de Jésus. Elle est extraordinaire, elle révèle la compassion du Christ envers les hommes quel qu'ils soient.

Jésus répondit: Ce n'est pas que lui ou ses parents aient péché; mais c'est afin que les œuvres de Dieu soient manifestées en lui.
 Il faut que je fasse, tandis qu'il est jour, les œuvres de celui qui m'a envoyé; la nuit vient, où personne ne peut travailler.
 Pendant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.
                                                                                                                                 Jean 9, 3-5
Jésus, en disant  : ''Ce n'est pas que lui ait péché,'' signifie aux disciples, aux religieux juifs et aux hommes en général, par delà toutes les  générations, que le péché originel n'existe pas, qu'il est une invention humaine. Nous nous en doutions déjà, mais l'entendre de la bouche même du Christ est extraordinaire. Quel fossé aussi entre des religieux méprisant et un Jésus compatissant, entre l'obscurité ténébreuse de docteurs de la loi, que le Christ accusera d'être les fils du diable, et la lumière qui émane de l'enseignement de Jésus.
MARC
(2) ''Les récits mythiques de Genèse'dans ''Du fondamentalisme biblique à la lumière de l'Évangile'', 2017, p.19, auteur-éditeur disponible directement chez l'imprimeur:  Du fondamentalisme à l'Evangile  
www.karthala.com/.../3093-sauver-la-bible-du-fondamentalisme-un-eveque-repense-l...
(4)John Shelby Spong a été évêque de Newark( 1976-2000) dans l'Eglise épiscopalienne des Etats-Unis. Il a écrit de nombreux ouvrages et il est l'un des rares intellectuels chrétiens à ouvrir les portes d'un christianisme pour notre temps.
(5) John Shelby Spong, Sauver la Bible du fondamentalisme, Karthala,2016, p.125
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