04 juillet 2017

Le "miracle" grec, pour le meilleur et pour le pire

C’est la faute « aux » Grecs que nous sommes dans la gadoue !

Tranquillisez-vous ! Ce titre provocateur ne s’adresse pas au peuple grec d’aujourd’hui.
Les réflexions qui suivent concernent la Grèce de l’Antiquité. Mère de la civilisation occidentale, elle qui nous a révélé la grandeur du génie humain avec ses penseurs et ses mathématiciens, ses artistes et ses écrivains qui nous ont ouvert la voie royale du progrès. Imprégnés de culture hellène, grisés par son rayonnement, nous n’avons vu que la magnificence du siècle de Périclès, et en chœur, dans toutes les langues, nous nous sommes écriés Parthénon, Acropole ! A l’unisson nous avons proclamé Athènes centre du monde ! Cela se comprend.
A l’aube des temps modernes, le contexte historique ne pouvait nous révéler ni surtout nous faire comprendre que cette glorieuse culture avait jeté les bases d’une civilisation qui allait bouleverser le monde pour le meilleur comme pour le pire, car fondée sur l’individualisme et la maîtrise de l’univers elle ne pouvait que conduire à l’avènement d’un Kosmocratôr, maître du cosmos, dont Alexandre le Grand fut l’incarnation. De cette volonté de puissance et de conquête est né l’impérialisme qui, dans sa forme actuelle, est prête à précipiter le monde dans un abîme.
De prime abord ce jugement peut vous paraître outré, inapproprié, voire insultant pour les Grecs modernes issus d’une longue histoire qu’ils vénèrent à juste titre. Pourtant, en dépit du titre de cet article – qui n’est qu’une taquinerie – mon intention n’est pas d’accuser ni d’insulter, mais de proposer une réflexion sur la civilisation hellène et d’en tirer une leçon pour la survie de notre planète. Pour ce faire, laissons la parole à Guy de Bosschère (1924-2003) historien de formation, tiers-mondain engagé et auteur de « Les deux versants de l’histoire : Autopsie de la colonisation (tome 1) et Perspectives de la décolonisation (tome 2), Albin Michel, 1968, deux ouvrages de référence qui malgré les années restent d’actualité. Les pages qui suivent sont extraites de la première partie du premier tome intitulée « Le fondement et la structure »
 « Des mythes significatifs.
Sur les décombres de la civilisation mycéenne (IIIème siècle av. J.C) les Hellènes, le nouveau peuple né des invasions, vont édifier une civilisation qui sera désormais incomparable… Des siècles plus tard, naîtra le mythe d’Œdipe qui illustrera fabuleusement l’événement. Selon Hegel, le Sphinx, qui est Egyptien, représente l’esprit voilé ou inconscient. La question qu’il pose à Œdipe, il n’en connaît pas lui-même la réponse claire. Lorsque Œdipe répondra correctement, le Sphynx tombera à la mer et se noiera. Ce qui signifie que la Grèce (qu’Œdipe personnifie) a désormais donné forme à son destin, qu’elle a pris conscience de la voie singulière où elle s’engage…
La singularité du destin hellène sera postérieurement éclairée par deux autres mythes essentiels. Le premier est le mythe de Narcisse qui exalte à travers la prise de conscience de soi-même, le culte de l’individu. Et il apparaît, en effet, que la démarche grecque sera désormais gouvernée par l’individualisme. A la propriété collective la Grèce oppose la propriété privée… Le second mythe est le mythe de Prométhée : l’homme qui viole les secrets de la nature, qui dérobe le feu du ciel pour en éclairer le monde. Ce mythe réfléchit l’image de l’homo faber, l’homme-inventeur, mais aussi l’homme de l’aventure et de l’exploration, préfiguration du colonisateur…
La conjugaison de l’individualisme et de l’esprit créateur conférera à l’homme européen ses caractéristiques fondamentales. (Ainsi) le citoyen grec, le seigneur féodal et le bourgeois capitaliste sont tous, aux différents stades de l’évolution économique européenne, des propriétaires des moyens de production.
 Une philosophie émancipatrice.
La philosophie grecque, dont la spécificité tient précisément au fait qu’elle fonde la notion de philosophie renvoie fidèlement l’image de la réalité en cours d’élaboration… Elle salue l’avènement de l’homme et instaure virtuellement son culte, dégage l’homme des liens qui le retiennent à la nature… Elle contredit tous les courants de pensée religieuse d’Afrique, d’Asie et de l’Amérique précolombienne. L’animisme d’Afrique noire ainsi que celui des Amérindiens enseigne l’indissociabilité de l’homme et de la nature. Les religions d’Asie invitent à une intériorisation perpétuelle… Les religions sémitiques, seules, font exception… La religion judaïque sera messianique, la religion chrétienne, qui en est issue, catholique universelle et la religion musulmane prosélytique. Ces trois religions partagent en outre le même fanatisme intolérant, qui les porte à la guerre sainte…
 L’Europe hellène.
L’Europe historique naît donc de la Grèce des Hellènes… Et, c’est grâce à sa singularité que l’Europe réussira à dominer le reste du monde. L’esprit prospectif et spéculatif, au service de l’intérêt individuel, fait naître le besoin du profit personnel. Celui-ci constituera désormais la plus puissante motivation des principales entreprises européennes… Les découvertes scientifiques et géographiques du XVème siècle prépareront le grand assaut que l’Europe médite inconsciemment de lancer contre le monde… La supériorité écrasante de son armement, alliée à un sens de l’organisation héritée de Rome et à l’esprit de synthèse dont se nourrissent les grands desseins politiques et militaires, assurera à l’Europe, en l’espace de quatre siècles la domination de la planète.
Ainsi, c’est par son rayonnement que la Grèce antique a balayé les civilisations primitives pour créer son propre univers et imprimer sa marque sur l’histoire de l’Occident. A l’heure des génocides et des écocides, ayons le courage d’écouter la leçon de sagesse que nous donnent les Amérindiens, Polynésiens et Mélanésiens – peuples “primitifs que l’Histoire a oubliés”. La survie de notre planète est en jeu.