02 mai 2017

Des chiffres fondamentaux...



Il y a […] des chiffres fondamentaux, qu'il faut que tout le monde connaisse, qu'il faut que tout le monde ait dans sa poche, des chiffres qui sous-tendent ce qu'il faut bien appeler une logique de classe, extrêmement stricte, extrêmement tranchée, et qui est telle qu'elle rend stupide ou impraticable la norme démocratique, même la plus formelle. À un certain degré d'inégalité, parler de démocratie ou de norme démocratique n'a plus aucun sens.

Je rappelle ces chiffres :
1 % de la population mondiale possède 46 % des ressources disponibles. 1 %-46 % : c'est presque la moitié.
10 % de la population mondiale possède 86 % des ressources disponibles.
50 % de la population mondiale ne possède rien.

Ainsi, la description objective de cette affaire, en matière de population, en matière de masse, signifie que nous avons une oligarchie planétaire qui représente à peu près 10 % de la population. Cette oligarchie détient, je le répète, 86 % des ressources disponibles. 10 % de la population, ça correspond peu près à ce qu'était la noblesse dans l'Ancien Régime. C'est à peu près du même ordre.
Notre monde restitue, reconfigure, une situation oligarchique qu'il a traversée et connue il y a longtemps et à laquelle, sous d'autres formes et sous d'autres aspects, il revient.

Nous avons donc une oligarchie de 10 %, et puis nous avons une masse démunie d'à peu près la moitié de la population mondiale : c'est la masse de la population démunie, la masse africaine, asiatique dans son écrasante majorité. Le total représente à peu près 60 %. Et il reste 40 %. Ces 40 %, c'est la classe moyenne. La classe moyenne qui se partage, péniblement, 14 % des ressources mondiales.

C'est une vision structurée assez significative : on a une masse de démunis qui fait la moitié de la population mondiale, on a une oligarchie nobiliaire, si je puis dire, du point de vue de son nombre. Et puis on a la classe moyenne, pilier de la démocratie, qui, représentant 40 % de la population, se partage 14 % des ressources mondiales.

Cette classe moyenne est principalement concentrée dans les pays dits avancés. C'est donc une classe largement occidentale. Elle est le support de masse du pouvoir local démocratique, du pouvoir parlementarisé. Je pense qu'on peut avancer, sans vouloir insulter son existence ,[…] qu'un but très important de ce groupe, qui quand même n'a accès qu'à une assez faible partie des ressources mondiales, un petit 14%, c'est de n'être pas renvoyé, identifié, à l'immense masse des démunis. Ce qui se comprend fort bien.


Alain Badiou
Notre mal vient de plus loin
Penser les tueries du 13 novembre
Fayard pages 30 à 32

L'intégralite de cette conférence d'Alain Badiou peut être lue ici: http://la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/alain-badiou-penser-les-meurtres-de-masse-du-13-novembre-version-texte