07 janvier 2017

Philosophie, politique, arts, danse, foi...: noblesse de l'acte créateur. Entretien avec Roger Garaudy



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roger garaudy :
noblesse
de l'acte
créateur
Entretien avec Sylvio ACATOS

Revue suisse «Construire» No 9 du 26 février 1975
«p OUR moi, être un homme,
c'est participer à la réalisation d'un projet
qui me dépasse. Je suis alors sauvé,
au sens vrai du mot:- Sinon, je suis damné.
Je n'ai pas lutté contre la mort. Je
disparais tout entier si je me suis enfermé,
durant ma vie, dans les limites de
ma propre.peau.
Quand je parle d'un projet me dépassant,
je n'envisage nullement une conception
élitiste. Je ne-pense pas que
seuls les grands créateurs aient la possibilité
d'accéder à cette «immortalité».
Dès que je transcende mes intérêts' immédiats,
égoïstes, soit dans, une oeuvre
d'art, une Recherche scientifique ou
technique, soit dans le moindre sacrifice
personnel, ce que j'ai fait s'inscrit
pour toujours dans la grande aventure
de l'espèce.
Je me suis exprimé dans le domaine
de la philosophie, de la politique, de la
danse, de l'art. A mes yeux, ce ne sont
pas des activités différentes. Ce qui caractérise
l'homme du point de vue de
son intériorité, c'est le Centre de jaillissement,
le centre dé création, ce que
j'ai appelé ailleurs l’émergence poétique
de l'homme. Je le répète, la création
peut se traduire par une réflexion
philosophique, un combat politique,
une réflexion esthétique - j'entends
par esthétique non une métaphysique
du beau mais une réflexion sur l'acte
créateur. Je crois que la création artistique
sera finalement le prototype de la création politique
dans la mesure où l’on donne au mot «politique»
 son sens noble, c’est-à-dire : la politique
n’est pas simplement l’ensemble des
moyens qui permettent de gouverner,
mais d’abord une réflexion sur les fins de l’homme.
Il ne faut pas que je sois seulement
la résultante ou le produit des conditions
qui m'ont engendré. Par mon
acte, je serai autre chose et quelque
chose de plus. Il me semble que nous
vivons une seule et même réalité humaine:
justement ce jaillissement de
création. Je ne crois pas qu'on puisse
dire: «je crée», mais «la création se fait
en moi». De même, le monde se pense
en moi. L'autre s'aime en moi.
Voyez - vous, c'est le contraire d'une
perspective individualiste. Nous sommes
d'autant plus humains que nous
ressemblons davantage aux autres.
Le"grand péché de la civilisation occidentale,
surtout depuis la Renaissance,
a été d'avoir trop cultivé cette
notion de l'individu dans sa différence.
De ce point de vue le « Je pense, donc
je suis» de Descartes est l'une des plus
grandes perles du sottisier occidental.
Comme si tout commençait par «je»!
Le «je» ne peut s'affirmer qu'au terme.
d’un long effort pour émerger du
«nous». Et que signifie «je pense»? La
pensée n'apparaît pas sous une forme
personnelle, que je sache. Et puis elle
n'est pas la seule activité de l'homme.
Essayez de tirer une esthétique de
l'oeuvre de Descartes. C'est impossible.
L'acte créateur, n'a pas sa. place dans
cette pensée purement conceptuelle.
Voulez-vous trouver une compréhension
de l'amour? Vous devez vous rabattre
sur ce traité de mécanique qui
s'intitule curieusement: «Le traité des
passions de l'âme». Ce n'est pas l'homme
que nous avons là, mais une caricature.»

«La liberté, c'est l'amour ... la création …
Toute autre définition me semble
une pure abstraction. La liberté telle
que la conçoit par exemple Sartre,
c'est-à-dire le pouvoir de l'homme de
dire non, ne m'intéresse pas. Pour moi,
la liberté ce n’est pas un refus, mais
une adhésion, une création.
Il n'y a pas de liberté sans l'acte de
se dépasser.
Etre prêt à faire le sacrifice de son
action, de son être, au profit de l'autre...
Cet amour est l'expression de la réalité
la plus profonde de nous-mêmes. Cette
«Le militant syndical qui cherche
à. sortir de ses intérêts égoïstes je
l'appelle créateur.»

réalité qui, justement, ne permet pas de
dire: «je pense» mais «nous aimons».
C'est ainsi que tout commence,
D'ailleurs, je Crois que l'amour et la
création sont une seule et même chose.
N'y a-t-il pas création lorsque je sors
de moi-même pour aller vers l'autre?
Par conséquent si l'amour est la réalité
première, la création n'est qu'un aspect
de cet amour.»









 «Je considère que 1'homme n'est véritablement
homme que dans le dialogue
avec le dieu-poète,
Je refuse un dieu extérieur à nous,
qui se définirait par concepts. Dieu
fait. Il est une source, un acte en nous..
Je dis que ce dieu se manifeste
chaque fois que quelque chose de neuf
apparaît au sein de l’humanité, que ce
soit une révolution, un acte d’amour,
une oeuvre d'art, une invention scientifique.
Chaque fois que quelque chose
ne résulte pas du passé.
C’est le dieu-poète qui crée, aime en moi.
Si vous voulez, il est la dimension
fondamentale de l'homme.
Foi en l’homme
ou foi en Dieu: c'est la même.
Bien sûr, c'est une idée très chrétienne
de dire que Dieu est amour et
qu'une vie réellement humaine a nécessairement
cette mesure divine, c'est-à-dire:
aucun de mes actes créateurs ne
peut s'expliquer simplement à partir des
causes ou des conditions déjà existantes.
La transcendance n'est pas un
événement miraculeux. Elle appartient
au quotidien.»

 «Souvent ce que nous appelons réalité
a reposé sur sa conception positiviste,
dans laquelle le possible ne faisait
pas partie du réel, parce que l'homme
n'y avait pas sa place. On négligeait
l'action humaine. Les sciences nous ont
montré que nous ne pouvions pas définir
une réalité sans l'homme qui la
pense ou la regarde. En physique, impossible
de décrire un noyau atomique
indépendamment de l'observateur.
Voyez le cosmos, par exemple. Nous en
avons eu des visions si différentes que
je serais bien en peine de le définir
dans son en-soi. Je ne peux essayer de
le définir, qu'à travers la série de représentations
que les hommes s'en sont
fait au cours des siècles.
Réintégrez l'homme dans la nature,
avec ses projets et ses modèles, vous
avez alors un fourmillement de possibles
d'où émergera un seul réel. La réalité,
c'est l'ensemble des possibles et
de ce qu'il est convenu d'appeler le réel
N'oublions jamais ceci : cette réalité
n'a un sens unique  que lorsque nous
considérons le passé. Quand nous envisageons
l'avenir, nous avons un éventail
de possibles. Si nous voulons défataliser
l'avenir, c'est-à-dire refuser- de
croire que nous sommes soumis à un
destin unique, si nous recherchons les
responsabilités, il faut d’abord défataliser
l'Histoire, et prendre conscience
que cette Histoire unique a émergé, elle
aussi, d'une multiplicité de possibles.
L'Histoire à toujours été écrite par
les vainqueurs. Ils ont toujours cherché
à démontrer que leurs victoires étaient
fonction de leur supériorité culturelle.
Et vous avez l’impression d’une nécessité.
Mais il n’y a pas plus contingent qu’une
hégémonie. Le massacre des civilisations
précolombiennes par les Espagnols
ne s’explique pas par la grandeur
d'une culture mais.par la possession
du cheval et d’une arme à feu.
La possession, d'une arme est une pure
contingence. Hiroshima est une contingence
historique, non la preuve d'une
suprématie intellectuelle.»

Nous ne sommes pas programmés
pour l'éternité. Cependant, lorsque je
me tourne vers le passé, que j'observe
le cheminement de l’homme,
je lui trouve en effet un déroulement
cohérent, mais à partir d’une série d’actions
contingentes. Cohérent ne signifie pas
unilinéaire. L’Histoire a des reculs, des zigzags.
J’ignore où nous allons. Sinon, je vous
ramènerais au destin. Nous pouvons
aller vers l’anéantissement. Nous
en avons les moyens, techniques à
l'heure actuelle. Il n'est pas exclu que
l'épopée humaine commencée il y a
des millions d’années prenne fin brutalement
Mais ceci ne priverait pas de
sens notre histoire. Rien ne peut faire
qu'elle n'a pas été.»
Ce que je retiens dans le marxisme,
c’est la liaison entre la théorie et la pratique

Nous assistons aujourd’hui à la faillite
des prétentions de Descartes et
de Faust. Descartes nous a parlé d'une
science qui nous rendrait possesseurs
de la nature. Cette nature, nous l'avons
détruite. Et là nature de l'homme elle-même
a été transformée par la manipulation
psychologique des mass-medias.
Les rapports de l'homme avec la nature,
avec autrui, avec son avenir ont
été, à mon avis. falsifiés par une certaine
conception de la science qui en
réalité  n'est pas la science, mais la
science occidentale. De nos jours, nous
avons besoin d'une sagesse plus générale
qui définisse de nouveaux rapports.
Des rapports avec la nature, non
de conquérants mais d'amoureux; avec
l'homme, non individualistes ni totalitaires,
mais communautaires. Des rapports
qui ne soient pas extrapolation
mais création. Pour cela, ta philosophie
occidentale ne suffit plus. Nous devons
rechercher le' dialogue avec les civilisations.»

«La raison est toujours le résidu
d’une imagination qui peu à peu a créé
des formes de plus en plus riches de
raison. Le syllogisme, la mesquine
logique formelle, puis la conception dialectique
de cette logique, ensuite la dialectique au sens
où l'entendait Bachelard...
Nous avons une évolution de la
raison. En réalité, la raison n'est que le
bilan provisoire des conquêtes de la rationalité.
Lorsque les jeunes en mai 1968 scandaient:
«l'imagination au pouvoir», ils
employaient le maître-mot de l'homme.
L'imagination, c'est la création de
l'utopie.
Dès que vous perdez l'utopie, vous
devenez conservateur. Ces Messieurs de
la Sorbonne qui ont fondé des chaires
de politologie veulent faire de la politique
scientifique; ce n'est qu'une
apologétique du pouvoir établi. Rappelez-
vous Auguste Comte: ordre et progrès.
Quel minable rationalisme! La
raison ne sert qu'à justifier un ordre.
On parle de socialisme scientifique.
Qu'entend-on par là? Un socialisme qui
serait scientifique dans ses fins et non
seulement dans ses moyens? On demande
alors à la science ce qu'elle ne
peut nous donner, c'est-à-dire des finalités.
Car il y a un choix qui doit se
faire, un risque à prendre, c'est là
qu'intervient l'imagination, l'utopie.
J'entends par utopie un modèle qui
nous permet de déterminer le présent à
partir de l'avenir, alors que d'ordinaire
nous faisons l'inverse. Je donne au mot
utopie son sens noble. Il ne s'agit nullement
de cette utopie abstraite, celle
qui ne cherche pas les conditions de sa
réalisation. Marx par exemple n’a jamais
condamné l’utopie, c’est-à-dire
l'utopie concrète  qui est simplement
l’anticipation créatrice de l’homme,
à partir de laquelle il va déduire les
moyens de lui apporter la vie. Ainsi, le
programme Apollo: le projet d'aller sur
la lune a été conçu a priori, à un moment
où aucune condition n'existait
pour le réaliser. Eh! bien, on a commencé
par le futur, on a créé les conditions
nécessaires. Vous voyez que
l'utopie n'a rien d'irréaliste. Elle appartient
au réel. L'homme fait le réel. Il
invente le futur à coups d'utopies. Autrement
dit, la vérité-de demain, c'est la
folie d'aujourd'hui.»

«L'art répond au besoin le plus général
celui de l'homme dé s'affirmer
comme homme, être transcendant.
L'oeuvre d'art me renvoie mon image
de créateur.
«L'art est le plus court chemin d'un
homme à un autre.» Cette belle formule
est de Claude Roy. Le concept
vous fait toujours passer par le détour
d'une chose. Il ne sert qu'à raconter,
qu'à expliquer les choses. Je n'aime pas
un art qui se veut démonstratif, propagandiste.
Si je désire me renseigner sur
la reddition de Breda, je peux lire le;
plus médiocre des historiens, il m'en
apprendra davantage que le célèbre tableau
de Vélasquez. Mais Vélasquez
m'apporte quelque chose d'irremplaçable
qu'aucun historien, même génial, ne
saurait me donner: le sentiment direct
d'une humiliation, d'une grandeur.
Evidemment, cela exige que nous ne
considérions plus que tout ce qui n'est
pas réductible au concept n'existe pas.
Ce qui est le postulat maléfique depuis
Socrate, cet être anormal, depuis Platon,
cet homme maudit, depuis Descartes,
cette catastrophe des temps modernes.
Je me méfie terriblement de la logique,
de la raison. Le concept ne permet
pas l'accès à l'homme.»

- Mais vous êtes un penseur. Non.
un peintre par exemple…
- Je ne suis pas peintre, je le regrette..
C'est pour cela que je réfléchis sur la
peinture des autres.
- Vous utilisez beaucoup le concept
- Oui, mais c'est une infirmité,
Althusser considère le concept comme
une loi, cela m'exaspère. On ne s'en
vante pas quand on est l'homme du
concept. C'est comme si l'on se vantait
d'être cul-de-jatte,
. - Vous auriez voulu être un artiste?
- Bien sûr... Je l'ai souvent dit: quand
on ne peut être ni peintre, ni musicien,
ni danseur, alors on se fait philosophe
et on analyse les créations d'autrui. Ce
qui m'effraie, c'est cette prétention à la
philosophie dite rigoureuse, Rien n'est
plus absurde.
Spinoza, un des hommes que
j'admire le plus, nous expose avec minutie
sa philosophie: théorème, corollaire,
démonstration, lemme. etc.
Qu'est-ce qui a le plus vieilli ? C’est justement
cette forme prétendue rigoureuse.
Qu'est ce qui reste? Le poème, cette
vision merveilleuse de l’homme qui se
saisit à l'intérieur du tout.
 Un philosophe n'est grand que dans
la mesure où il est poète.
- Et Marx, c'est un poète?
- Mieux, c'est un prophète.Il n'a utilisé
le concept qu'au niveau des
«L'homme fait partie du réel,
donc le possible fait partie du réel »
moyens. Je ne le conteste plus alors.
Qu'on ne fasse pas de moi l'ennemi des
sciences et des techniques.
Marx a dit clairement que ses démonstrations
n'auraient de valeur que
jusqu'à une époque déterminée. Plus
tard, lorsque certaines conditions se seraient
réalisées, elles seraient caduques.
Sans doute -son économie politique est-elle
dépassée, sauf, bien sûr, si vous
voulez étudier l'histoire de l'économie
anglaise au 19e siècle. L'essentîel est de
s'apercevoir qu'elle était la vérité de
cette époque. Mais elle n'est plus la vérité
de la nôtre. Répéter Marx, c'est
être dogmatique. Pendant 50 ans, on a
continué d'analyser le capitalisme de la
même manière. Mais les contradictions
changent! Ce qui fait de Marx un homme
de génie, ce n'est pas qu'il ait parlé
pour l'éternité, mais qu'il ait compris
son temps comme personne d'autre.
Essayons de comprendre aussi bien le
nôtre.
En chaque moment, Lénine reconstruisait
sa conception de la Révolution
en fonction des rapports de force
instables. En cinq mois, entre avril et
octobre 1917, il a développé cinq points
différents. On a l'impression qu'il se
contredit. Mais non! Il savait répondre
à des problèmes différents. Il savait se
dépasser.
Il y a ceux qui se réfèrent sans cesse
à l'évangile: Jésus a dit... mais quand?
Pourquoi? Dans quelle situation? Si
nous affirmons que l'évangile a une valeur
éternelle d'éveil, c'est parce que
nous ne répétons pas ses formules, mais
que nous tâchons de revivre dans la vie
d'aujourd'hui ce qui a été vécu autrefois.
Jésus est un homme d'éternité car
il a ouvert une brèche dans l'Histoire.
Il nous a enseigné comment l'ouvrir
dans la nôtre. C'est cela être chrétien.
i1 faut revivre non l'expérience créatrice
des autres, mais le mouvement
qui les a portés.

«La vérité... Elle n'est pas la copie
d'une réalité déjà existante. Je crois que
la vérité, c'est ce qui résulte d'une initiative
de l'homme, d'un projet .humain,
et de sa rencontre avec un certain
nombre de résistances. Toute vérité est
liée à une hypothèse. L’histoire des
sciences montre qu'il en est ainsi. Considérons
les théories de la lumière:
Lucrèce a élaboré la théorie de l'émission;
elle explique un certain nombre
de faits, par exemple l'ombre portée.
Passent quelques siècles. On s'aperçoit
que la théorie de Lucrèce n'élucide pas
le phénomène des interférences.
Maxwell développe alors la théorie
ondulatoire ; tout l’acquis ancien est intégré
dans cette deuxième théorie. Cependant d’autres
phénomènes restent inexplicables,
en particulier la discontinuité dans
la propagation de la lumière. Naît une
troisième théorie, celle des quanta, dans
laquelle se retrouvent tous les éléments des
deux théories précédentes plus, évidemment,
 les nouvelles découvertes.
La vérité est un cimetière d’hypothèses.
Une vérité c’est une hypothèse provisoirement
vérifiée. Il n’y a pas de vérité définitive.
Personne ne détient la vérité. Personne n’est
un fonctionnaire de l’absolu

 «Depuis des siècles, l’homme oublie
son corps... Encore Descartes. A la
suite des Grecs, il a établi de manière
radicale, la séparation de l'âme et du
corps.
La danse, c'est 1a réhabilitation du
corps.
Platon méprisait le Corps.Le christianisme
a abondé dans ce sens avec la
théorie de l’immortalité de l'âme. Allons,
cette vie-là n'a pas tellement d'importance,
l'essentiel se jouera ailleurs,
négligeons le corps, cette guenille
«La foi n'est possible que dans la
mesure où vous avez le sentiment
que les concepts ne suffisent pas. »
une autre vie nous attend, Mais c'est
réduire à néant la vie terrestre, c'est la
dévaluer, c'est la résignation, la source
du conservatisme, de la déshumanisation...
Par la danse l’homme retrouve sa
plénitude. Il est une totalité.
La danse incarne un rapport nouveau
avec la nature. Le corps ne fait
plus qu'un avec ce qui l’entoure. A la
limite, c'est la nature; entière qui est
mon corps. La danse signifie aussi
un rapport fondamental avec les autres
hommes. Je n’analyse pas. Je regarde
danser. Et j'éprouve directement dans
mon corps ce que le danseur ou la danseuse
veut me dire . Je ne raisonne pas.
La danse ne nous manipule pas, elle
nous entraîne. A une célébration. La
danse se pratique souvent en groupe.
On voit bien alors que la technique
reste secondaire, elle n'est plus qu'un
moyen, eue est à sa juste place, elle ne
prétend pas ce substituer, aux fins. Nos
gestes ne sont pas commandés du dehors,
ils viennent du plus profond de
nous-mêmes.
Enfin, la danse est on nouveau rapport
avec le «acre. J'imagine mal une
danse qui ne serait pas à la fois érotique
et mystique, c'est-à-dire qui ne
soit pas seulement la forme la plus sensible
de mon rapport avec l'autre, mais
aussi de mon rapport avec tous les autres.
Dans toute danse, à mon avis, il y
a toujours un commencement de liturgie...
même si c'est la liturgie de
l'amour individuel, l'amour au sens
religieux du terme comme réalité fondamentale
du monde.
Danser sa vie... c'est surmonter ses
aliénations. Voilà pourquoi la danse,
pour moi, est une morale.
Je suis persuadé que l'art prendra la
relève de la morale, lorsque la morale
ne consistera plus à obéir à des règles
pour les' appliquer, mais à inventer les
règles. De ce point de vue, la danse invente
la règle-de l'acte. Actuellement, la
danse dite classique est contestée. Nous
avons là quelque chose d'intermédiaire
entre la technique et l'art. Certains gestes
sont préfabriqués. Je ne dis pas que
ce soit mauvais ... à condition que la
technique demeure conçue comme telle.
Dans la danse, la technique pour la
technique, c'est la mortification de la
danse.»
Chez lui en octobre 1979. Photo J.A. Pavlovsky/Sygma

«Aurais-je dansé ma vie?... Oui, je
 crois... Je ne me suis pas trop laissa influencer...
Il n'y a pas de quoi être fier d’une
vie... Disons que j'en suis content... J'ai
eu la chance de faire à peu près
toujours ce qui me plaisait. Même en
prison.
Si l'on mesure la réussite d'une vie
par les joies qu'on en a retirées, je n'ai
pas à me plaindre... Je peux m'en aller
du banquet en remerciant mes hôtes.
J'ai bien mangé, j'ai bien bu.»

Sylvio Acatos

CONSTRUIRE
Organe de la Fédération des coopératives
Migras, Zurich
Rédaction:

Charlotte Hng, rédactrice en chef

Gabriel BoUlat - Louis Bcwey

Maurice L. Wettriy