05 septembre 2016

Démocratie représentative ? Représentative de quoi ?



Marx remarquait, dès les débuts de la
démocratie représentative en Europe, qu'en
vérité les gouvernements ainsi désignés par le
suffrage n'étaient que des fondés de pouvoir
du Capital. Ils l'étaient pourtant bien moins
qu'aujourd'hui ! C'est que si la démocratie est
représentation, elle l'est d'abord du système
général qui en porte les formes. Autrement dit :
la démocratie électorale n'est représentative
qu'autant qu'elle est d'abord représentation
consensuelle du capitalisme, renommé
aujourd'hui « économie de marché ». Telle
est sa corruption de principe, et ce n'est pas
pour rien qu'à une telle « démocratie », Marx,
ce penseur humaniste, ce philosophe des
Lumières, pensait ne pouvoir opposer qu'une
dictature transitoire, qu'il appelait la dictature
du prolétariat. Le mot était fort, mais il
éclairait les chicanes de la dialectique entre
représentation et corruption.
Au vrai, c'est la définition de la démocratie
qui pose problème. Tant qu'on sera persuadé,
comme les thermidoriens et leurs descendants
libéraux, qu'elle réside dans le libre jeu des intérêts
de groupes ou d'individus déterminés, on
la verra s'abîmer, lentement ou promptement
selon les époques, dans une corruption sans
espoir. C'est que la démocratie véritable, s'il
faut conserver, ce que je crois1 1, ce concept, est
tout autre chose. Elle est l'égalité devant l'Idée,
devant l'Idée politique. Par exemple, pendant
longtemps, l'Idée révolutionnaire, ou communiste.
C'est la ruine de cette Idée qui identifie la
« démocratie » à la corruption générale.
L'ennemi de la démocratie n'a été le
despotisme du parti unique (le mal nommé
« totalitarisme ») qu'autant que ce despotisme
accomplissait la fin d'une première séquence
de l'Idée communiste. La seule vraie question
est d'ouvrir une deuxième séquence de
cette Idée, qui la fera prévaloir sur le jeu des
intérêts par d'autres moyens que le terrorisme
bureaucratique. Une nouvelle définition, et
une nouvelle pratique, en somme, de ce qui
fut nommé « dictature » (du prolétariat). 

Alain Badiou, "De quoi Sarkozy est-il le nom ?"
Nouvelles Editions Lignes, 2007, pages 122-123