16 août 2016

Sur les sources du marxisme. 3/ LENINE. Par Roger Garaudy



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Il est sans doute difficile de nous débarrasser
entièrement de l'image de Lénine qui a été donnée
par Staline et cristallisée dans ses Principes du léninisme
: un matérialisme sous-développé, une conception
de la dialectique qui n'est plus méthode de
recherche et de découverte, mais instrument de
justification d'une politique, dialectique revenant à
l'évolutionnisme vulgaire que Lénine avait si fortement
critiqué chez Kautsky et chez Plekhanov, une
dogmatisation du matérialisme historique transformé
en une philosophie de l'histoire en cinq stades,
une dictature du prolétariat ramenée de fait à la
dictature du Parti et finalement à celle de son chef,
une conception du Parti sans rapport avec les masses
bloquant la dialectique vivante entre les initiatives
venues d'en bas et leur élaboration scientifique
au profit d'une conception mécaniste, mortifiante,
des « leviers » et des « courroies de transmission ».
Ce qui caractérise, au contraire, fondamentalement
l'oeuvre de Lénine, qui est indivisiblement politique
et philosophique, c'est d'avoir débloqué la dialectique
vivante de l'histoire proprement humaine, enrayée
par les régimes d'oppression qui font de millions
de travailleurs non les sujets actifs, mais les
objets passifs de l'histoire.
Lénine a réalisé le rêve de la jeunesse de Marx :
obliger les rapports sociaux pétrifiés à entrer dans
la danse en leur jouant leur propre mélodie dialectique.


Pour esquisser la trajectoire de cette oeuvre,
depuis son projet initial jusqu'à son accomplissement
révolutionnaire, nous avons souligné que le
développement de cette philosophie ne s'effectue pas
seulement par la seule logique interne du concept,
mais par l'enrichissement que lui apportent les successives
initiatives historiques des masses.
Cette caractéristique majeure de la philosophie de
Lénine est également celle de sa politique militante :
l'on ne peut libérer la dialectique proprement humaine
de l'histoire (celle qui s'affirme par une rupture
révolutionnaire avec la force d'inertie des mécanismes
du capital) qu'en débloquant la dialectique entre
la pensée scientifique et l'initiative spontanée d'en
bas.
Le « moment subjectif » de l'activité révolutionnaire,
c'est indissolublement le moment de la théorie
et le moment de l'initiative des masses.
Toute sous-estimation théorique de l'un ou l'autre
moment stérilise la pratique : mettre l'accent exclusivement
sur l'initiative des masses nous ramène au
culte proudhonien de la spontanéité en attribuant
mystiquement à ces masses le privilège hégélien
d'être porteur de « l'esprit du monde » ; mettre l'accent
exclusivement sur le développement théorique
abstrait, c'est revenir à une conception contemplative,
où l'histoire est déjà écrite et où les hommes ne
sont plus que des marionnettes mises en scène par
les structures.
En établissant ce rapport d'implication réciproque
unissant intimement les deux formules complémentaires
: celle de Marx, selon laquelle les idées révolutionnaires
ne peuvent naître que s'il existe un mouvement
révolutionnaire, et celle de Lénine selon laquelle
sans théorie révolutionnaire il n'y a pas de
mouvement révolutionnaire, l'on retrouve l'âme
vivante de la philosophie de Marx et de Lénine.
Cette dialectique seule permettant de passer constamment
de la logique du développement des structures
à la création par l'homme de sa propre histoire, de
réaliser les conditions permettant de faire de chaque
travailleur un sujet conscient de l'histoire, de passer,
selon l'expression de Marx, de l'ordre des choses à
l'ordre des hommes libres.

Source : Roger Garaudy, Lénine, PUF, 1968
(Lire aussi: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2012/03/le-socialisme-selon-lenine-par-roger.html)