29 juin 2015

Les dollars et l'homme



Au début de ce siècle, en 1908, Anatole France, dans « L'île des pingouins», avait dégagé l'âme sans âme de ce mode de calcul de la politique américaine. Le professeur Obnubile assiste à une séance du Congrès américain et nous en donne le compte rendu :

« La guerre pour l'ouverture des marchés de la Troisième-Zélande étant
terminée à la satisfaction des États, je vous propose d'en envoyer les comptes à la commission des finances...
Il n'y a pas d'opposition ?...
La proposition est adoptée.
— Ai-je bien entendu ? demanda le professeur Obnubile. Quoi ? vous , un peuple  industriel, vous vous êtes engagés dans toutes ces guerres !
— Sans doute, répondit l'interprète : ce sont des guerres industrielles. Les peuples qui n'ont ni commerce ni industrie ne sont pas obligés de faire la guerre; mais un peuple d'affaires est astreint à une politique de conquêtes. Le nombre de nos guerres augmente nécessairement avec notre activité productrice. Dès qu'une de nos industries ne trouve pas à écouler ses produits, il faut qu'une guerre lui ouvre de nouveaux débouchés.
C'est ainsi que nous avons eu cette année une guerre du charbon, une guerre du cuivre, une guerre du coton. Dans la Troisième-Zélande nous avons tué les deux tiers des habitants afin d'obliger le reste à nous acheter des parapluies et des bretelles.
A ce moment, un gros homme qui siégeait au centre de l'assemblée monta à la tribune.
— Je réclame, dit-il, une guerre contre le gouvernement de la république
d'Emeraude  qui dispute insolemment à nos porcs l'hégémonie des jambons et des saucissons sur tous les marchés de l'univers.
— Qu'est-ce que ce législateur ? demanda le docteur Obnubile,
— C'est un marchand de cochons.
— Il n'y a pas d'opposition ? dit le président. Je mets la proposition aux
voix.
La guerre contre la république d'Emeraude fut votée à mains levées à une
très forte majorité.
— Comment ? dit Obnubile à l'interprète ; vous avez voté une guerre
avec cette rapidité et cette indifférence !...
— Oh ! c'est une guerre sans importance qui coûtera à peine huit millions
de dollars.
— Et les hommes...
— Les hommes sont compris dans les huit millions de dollars. »

(Anatole France. « L'île des pingouins », Ed. Calmann - Levy, 1908. Livre IV, chapitre 3)

 [cité par Roger Garaudy, « Les Etats-Unis, avant-garde de la décadence », Ed. Vent du large, 1997, pages 186 et 187

28 juin 2015

Etre à la fois « bon communiste » et « bon chrétien » ?

PEUT-ON être à la fois « bon communiste » et « bon chrétien » ? La question a souvent été posée. Le P.c.f. s'est longtemps penché sur le problème, chargeant, par exemple, à une époque, quelqu'un comme Roger Garaudy de consacrer une partie de ses activités politiques aux relations de son parti avec les milieux religieux. Au-delà des relations entre hiérarchies, nombre de militants ont réglé le dilemme eux-mêmes par leur pratique personnelle : conciliation de la messe et de la vente de «l'Humanité-Dimanche » dans certains cas, abandon d'une des deux activités dans d'autres cas. Chacun a choisi selon sa conscience. Et les mises en garde de l'Eglise n'en pouvaient mais... : force travaux de sociologie ont démontré qu'on passe facilement du militantisme chrétien au militantisme communiste. Dans cet élan, « l'inévitable » s'est produit : des prêtres ont fini par prendre leur carte du P.c.f. Jean Galisson est de ceux-là : prêtre et communiste. Pas un curé tout à fait ordinaire, c'est vrai : il est prêtre-ouvrier ; il tient sa paroisse, il dit ses messes, fait ses enterrements, célèbre ses mariages mais, en même temps, il continue d'exercer son métier de menuisier. Et, en plus, il trouve le temps de militer au Parti communiste, où il est trésorier de sa cellule. On dénombre huit cents prêtres-ouvriers en France. Quelques dizaines d'entre eux militent dans ou autour du P.c.f. Jean Galisson n'est donc pas le seul dans son cas. Jean Galisson sort d'une période de six mois de chômage. Il a cinquante ans. Dont vingt ans de militantisme syndical et dix ans de Parti communiste. Il se dit clairement, tranquillement marxiste. Il reprend volontiers à son compte, la phrase de René Andrieu : « Le plus difficile n'est pas d'adhérer, mais de rester. » Rester où ? Dans l'Eglise ou dans le parti ?

27 juin 2015

27 juin 1905: mutinerie sur le Potemkine

 Jean Ferrat chante Potemkine
 
Jusqu'au 13 avril 2016, vous pouvez voir le film de S.M. Eisenstein "Potemkine" sur le site d'ARTE à l'adresse http://cinema.arte.tv/fr/article/le-cuirasse-potemkine-de-serguei-eisenstein

26 juin 2015

En août1981 à Tripoli



LA CONFÉRENCE DE SOLIDARITÉ A CONTRIBUÉ À RÉDUIRE L'ISOLEMENT DE TRIPOLI
LE MONDE | 02.09.1981

Tripoli (A.F.P.). - Organisée par le Congrès du peuple arabe qui regroupe des partis de gauche, à la suite de l'affrontement aérien américano-libyen dans le golfe de Syrte (le Monde du 20 août), la conférence de solidarité avec le peuple libyen, réunie à Tripoli, aura contribué à faire sortir le régime du colonel Kadhafi de l'isolement dans lequel l'avait plongé son intervention au Tchad.
Dans un communiqué final, adopté lundi 31 août, la conférence souligne que " les sept cents participants représentant plus de deux cents partis, syndicats, organisations officielles et de masse, venant de quatre-vingt-cinq pays différents, ont exprimé leur solidarité avec la Libye et leur admiration devant les réalisations de la révolution du 1er septembre " (date de l'accession au pouvoir du colonel Kadhafi en 1969). Ce texte " condamne l'agression des États-Unis contre la Libye " et approuve la création à Tripoli d'un " Front international de lutte contre l'impérialisme ".
Parmi les participants figuraient M. Ratsiraka, président malgache, M. Yasser Arafat, chef de l'O.L.P., M. Habib Chatti, secrétaire général de la Conférence islamique, le philosophe Roger Garaudy, le coordinateur de la junte du Nicaragua, M. Ortega. En revanche, les présidents Assad, de Syrie, et Goukouni Oueddeï, du Tchad, n'ont pas assisté à la séance de clôture. On notait aussi l'absence des Iraniens et d'une haute personnalité algérienne.

24 juin 2015

Pour une nouvelle formulation de la foi chrétienne, par Roger Garaudy



 
Lovis Corinth. Le Christ rouge. 1922
Aujourd'hui ce que l’on appelle la crise, sans toujours prendre conscience de sa profondeur, c'est la désintégration du tissu social: 1'affrontement aveugle d'appétits concurrents conduit à 1'absence de toute finalité humaine de nos sociétés capitalistes, à un individualisme du repliement sur soi, qui juxtapose des millions de solitudes et de désespoirs par absence de but.

Les questions sur le sens de notre histoire commune, et sur le sens de la vie de chacun émergent du quotidien. Le désir confus et angoissé de sortir du cercle de ce qui est fermente en chacun.



Les interrogations majeures naissent des couches sociales les plus caractéristiques de notre temps, celles qui constituent «le bloc historique nouveau » porteur de 1'avenir: ouvriers travaillant à la chaîne, dont la vie personnelle est étouffée par la répétition de gestes vidés de sens, techniciens et ingénieurs dont notre société fait des technocrates interrogés sur les moyens et jamais sur les fins, scientifiques ayant une vision positiviste du monde dominée par 1’entropie [1], la loi de la mort.



Pour que la Bonne Nouvelle de 1'Evangile devienne en chacun une espérance vivante, une nouvelle formulation de la foi est nécessaire.

Comment dire la foi chrétienne dans un langage que puissent entendre des hommes et des femmes d'aujourd'hui, des hommes et des femmes qui ne la partagent pas encore ?

Tout ce qui est tué, chez des millions d’hommes et de femmes, par le mécanisme quotidien, DIEU et la foi, ne peut être, au départ, éprouvé par eux que comme une absence, un vide à combler.

La foi, cette manière de vivre de la vie de tous, d’être responsable de 1'avenir de tous, d’ avoir conscience que notre histoire, n’est pas déjà écrite, déjà finie, mais qu'elle doit être inventée et inventée par tous, cette foi doit s’enraciner dans les préoccupations d’aujourd'hui, les plus lancinantes, les plus immédiates, les plus quotidiennes.

Nous devons partir des angoisses, des protestations, des révoltes élémentaires pour en dégager le mouvement plus profond qui les suscite, le sens, 1’orientation.

Comment peut émerger aujourd'hui le besoin de la foi, à partir de l'expérience quotidienne de la vie des multitudes, et comment répondre à ce besoin?

22 juin 2015

La saga de la solidarité. Christiane Singer

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Histoire d'enfants

La paix ?
Les adultes standards veulent seulement qu'on la leur fiche - et, le plus tard possible, reposer en elle.
Aussi qui l'inventerait, la paix, sinon les enfants ?
Du moins aussi longtemps que les écrans mornes et lugubres n'ont pas vomi dans leurs yeux de lumière toute la hideur du monde ! Les enfants dont je vais conter l'histoire avaient - j'en mets ma main à couper - ce tison toujours avivé au fond de leurs prunelles, cet éclat de joie qui vous incendie le coeur en moins de deux quand vous n'en avez pas blindé les portes.
Pourquoi étaient-ils joyeux ?
Je crois que tous les enfants le sont jusqu'à ce que vous leur demandiez pourquoi. Objectivement, en effet, ces enfants-là n'avaient pas de « raison » d'être dans la joie : pieds nus, mal vêtus, mangeant sans doute à la sauvette dans du fer-blanc, souvent la morve au nez et les cils collés. Mais leur « raison » - en était-ce une ? - était superbe : ils étaient vivants !
Pour les nantis, à l'autre bout du monde, être vivant, c'est comme être repu, nourri, abreuvé,
épouillé, vêtu, cela ne mérite pas qu'on s'y attarde. Mais pour ces enfants, cela n'allait pas
de soi !
Ils n'en revenaient pas d'être vivants, de sauter, de bondir, de s'accroupir, de chanter à tue-tête,
de voir au sol en plein midi onduler la chaleur comme un insaisissable serpent aux mille anneaux... d'être là, seulement là, dans la généreuse et brûlante poussière de l'Afrique,
là, là, témoins de la Vie !
Oui, mon histoire se passe en Afrique. Je la dois à un merveilleux jeune homme de quatre-vingts ans : le philosophe et mystique Raimund Panikkar.
Marc, un jeune ami américain, décide d'éviter le service militaire et s'engage dans le service social pour une année. Il se retrouve moniteur de sport dans un village africain. Grâce au sport, il ne sera pas contraint de faire passer des modes de vie, des dogmes, des idéologies. Il pourra rencontrer des jeunes dans le seul plaisir du mouvement et les inviter à se dépasser dans l'effort. C'est du moins ce qu'il pense.
Il n'y a qu'une chose qu'il n'ait pas remarquée: combien ce produit d'exportation – le « sport » - transpire la rivalité et la compétition et combien sous le déguisement sympathique - maillot de corps et baskets – transparaît l'obsession d'évincer l'autre et de gagner.
Gagner envers et contre tous. Contre la vie s'il le faut. En somme : toutes les options guerrières du cynisme économique.
Pour l'instant, notre jeune Américain, encore « inclus » dans son système d'origine et frappé
par là même de cécité, ne décèle rien. Le « sport » permet d'être ensemble, voilà tout, et
dé jouer et de vibrer et d'oublier le supplice des méninges, l'horreur qu'il y a à ingurgiter tant de réponses à tant de questions qu'on ne s'est jamais posées ! Ah oui, comparé à la souffrance
de l'« école assise », le sport est clément!
Voilà notre jeune homme devant les enfants. Il croit en dénombrer plus qu'ils ne sont. Du
moins, il voit beaucoup plus de paires de jambes, beaucoup plus de paires de bras que le
chiffre annoncé laisse prévoir, et il entend beaucoup plus de rires qu'il ne compte de rangées
de dents ! Pourtant ils sont douze à peine – du vif-argent !
La spécialité de Marc dans les écoles américaines où il fait du bon travail est de secouer
l'inertie des jeunes et surtout celle de leurs derrières habitués à peser, morts et lourds, sur
des sofas. Il voit bien que la situation ici est différente, mais son potentiel de ressources
apprises ne la prévoit pas. Un court instant, comme une brise, l'effleure l'idée d'apprendre
d'abord de ces jeunes à jouer aux osselets, aux toupies, à ces jeux qu'il observait tantôt sur la
place du village. Mais tandis qu'une instance en lui, lucide et perspicace, hésite et soupçonne
l'absurdité de son entreprise, comme bien souvent, c'est la part « experte » de sa personne qui s'enfle et triomphe. Il réunit donc la petite troupe autour de lui, explique les règles de la course, montre les jalons de la piste, son chronomètre incorruptible et son sifflet.
Même le podium est dressé pour le vainqueur: deux caisses superposées, flanquées de deux plus petites où prendront place par ordre d'arrivée le second et le troisième.
Les prix sont disposés sur une feuille de bananier : trois sacs de pop-corn - un très gros
et deux moyens.
Voilà. Tout est en place. Les enfants sont, après maintes contorsions acrobatiques, alignés
en position de départ.
L'ordre règne.
Et à l'instant où retentit le coup de sifflet, les enfants bondissent en avant comme propulsés
par des ressorts et détalent. Mais dans l'élan même du départ, leurs bras se sont grand ouverts et ils se sont saisi les mains !
Ils courent ensemble.
Dans un vent de poussière d'or.
Ils courent ensemble.

Cette histoire vraie contient en germe d'autres histoires vraies et toutes celles qui ne le sont pas encore mais qui attendent d'éclore.
Les dieux de cendre et de sang, de mort et de fers croisés, les dieux de la compétition, de la rivalité, de la domination et de la guerre, qui peut nous obliger de les honorer ?
Partout où des mains se joignent et se rejoignent continue la plus vieille histoire de la nature et de l'humanité, la saga de la solidarité. De nouvelles mailles se nouent au filet qui nous retient de tomber dans l'abîme de l'inhumanité.


Christiane Singer, Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?, Le livre de poche, pages 69 à 73, 2001