05 décembre 2014

Liberté d'expression: un article et une video de Dominique Jamet

 L'histoire ne relève pas des tribunaux

 A quoi s'acharne le négationnisme ? A nier la réalité    des intentions d'Hitler, de la mise en oeuvre de son  programme d'extermination, des méthodes et des moyens utilisés, du résultat. C'est le crachat sur les morts, l'offense à la mémoire, l'insulte à la vérité. C'est le ricanement sinistre de Darquier de Pellepoix : « A Auschwitz, on n'a gazé que les poux ! »

 Déterminer les origines de l'antisémitisme, resituer la création et l'évolution des camps dans le contexte du régime et de la guerre, comparer les diverses formes prises dans l'Histoire par les politiques d'extermination, établir les responsabilités de tous, y compris des démocraties en guerre, dresser la comptabilité exacte des victimes, analyser les conséquences qui résultent depuis plus de cinquante ans de la tentative nazie d'extermination des juifs et d'élimination de Tziganes, des handicapés, des homosexuels, des communistes, des Slaves et de tout ce qui était dissident ou autre... Tout cela relève des droits et de la mission même des chercheurs et des commentateurs. En toute liberté.

Et qu'on n'aille pas prétendre que, sur cette période, sur ce sujet, tout est dit, connu, ou figé, alors même que chaque jour et chaque controverse nous prouvent le contraire. Par quelle raison, ce chapitre confus et atroce de l'Histoire serait-il seul susceptible d'échapper à toute révision? Le temps qui passe, la prise en considération d'éléments négligés, la découverte de documents ignorés, permettent l'approfondissement des connaissances, débouchent sur des perspectives différentes et des jugements modifiés. Les historiens sont autant de Pénélopes qui reprennent et reprisent indéfiniment la tapisserie que tissent le présent et le passé dans les sensibilités individuelles et collectives.

L'Histoire ne vit et ne progresse que dans et par le débat, la discussion, la remise en cause. La difficulté, dans la matière qui nous occupe, est qu'elle brûle encore. De là que toute proposition de révision, si modeste soit-elle, est aussitôt soupçonnée, parfois à tort, parfois avec raison, de « point de détail » en « point de détail », d'ouvrir la voie à une mise en doute insupportable. Dans un contexte où la passion prévaut sur la raison et où la crainte d'une condamnation sociale et judiciaire peut effectivement inciter les contestataires à la prudence, voire à la dissimulation, tout discours révisionniste est aussitôt présenté comme en pensant plus encore qu'il n'en dit, tenu pour le paravent du négationnisme et confondu avec celui-ci. C'est le cache-sexe de la bête immonde. Le livre de Roger Garaudy (*), par exemple, est ardemment révisionniste : il n'est pas négationniste. Ce livre n'est ni condamné ni saisi. Il n'en est pas moins à peu près introuvable et plusieurs organes de presse, la semaine dernière, se sont étonnés qu'il soit disponible dans certaines librairie et ont demandé qu'il soit retiré de la vente, exigence qui semble avoir été suivie d'effet. S'agissant de cette période de l'Histoire, on a pris l'habitude de régler par une censure officieuse ou par les tribunaux ce qui relèverait normalement de l'indifférence ou de la réfutation. Nous sommes ici sur un terrain soustrait au droit et au sens commun. S'agit-il vraiment d'histoire, ou de politique et de morale ? De science ou de religion ?

Le crime est si énorme et si récent, les souffrances si vives, les ressentiments si violents, la pression si forte qu'un pays qui se dit démocratique a adopté dans divers domaines des lois d'exception et, s'agissant du droit à l'expression, délibérément restrictives des libertés, puisqu'elles font d'une opinion et de sa publication un délit. A un crime sans équivalent, on a opposé des sanctions spécifiques. Pour compréhensible et respectable que soit un tel principe, il procède d'une démarche erronée et aboutit à des conséquences ingérables, je veux dire incompatibles avec des droits d'autre part reconnus comme fondamentaux. Ce n'est que dans les Etats totalitaires de type moderne ou archaïque que le parti ou l'Eglise, ayant élaboré une doctrine officielle, confient à la police et à la justice la mission de la défendre et de pourchasser l'hérésie. Interdire tout débat sur des questions qui relèvent de la connaissance c'est soumettre la science au dogme. Demander à des magistrats de punir l'erreur c'est les transformer en inquisiteurs.

S'il venait à un auteur l'idée de nier le massacre de la Saint-Barthélemy, de le justifier, de le minimiser ou de le « comprendre », les historiens traiteraient-ils son livre autrement que par un haussement d'épaules ou une volée de bois vert? Quel scientifique aurait l'idée de traîner devant une cour de justice l'un de ceux qui croient que la Terre est plate et que le Soleil est son satellite ? Cette idée lui viendrait-elle à l'esprit, ne comprendrait-il pas qu'une condamnation donnerait à un hurluberlu  le statut sinon la stature de Galilée ?


 DOMINIQUE JAMET

Hebdomadaire L'Evènement du Jeudi  du 27 juin 1996

(*) Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, qui vient de sortir lorsque Dominique Jamet écrit son article [NDLR]