22 avril 2014

La foi soupçonnée. Etienne Borne, Roger Garaudy, Paul Ricoeur



Semaine des intellectuels catholiques. Du 10 au 16 mars1971
Foi et religion
René Rémond. Jacques Duquesne. Francis Jeanson. Jean de Fabrègues. Robert de Montvalon. Etienne Borne
Roger Garaudy. Paul Ricoeur. Jean-Louis Monneron. André Mandouze. Vincent Merle. Brigitte Maurel
Patrick Viveret. Pierre Liégé. Philippe d'Harcourt. Jean Brun. Pierre Grelot. André Brien. Serge Bonnet
Etienne Fouilloux. Francis et Germaine de Baecque. Winoc de Broucker. Cardinal François Marty
André Astier. Henri Denis. René Pucheu. Philippe Roqueplo


La foi soupçonnée
avec :

Etienne Borne, Agrégé de l'Université
Roger Garaudy, Professeur de Philosophie à l'Université de Poitiers
Paul Ricoeur, Professeur de Philosophie à l'Université de Paris X

21 avril 2014

Le Christ est vivant chaque fois que nous apportons quelque chose de neuf à la forme humaine

L'action créatrice aujourd'hui exigée de nous par la foi comme par la révolution, repose sur trois postulats dont il nous faut prendre conscience si nous voulons comprendre la signification actuelle de la référence au Christ. Postulat de transcendance, qui affirme la possibilité de se libérer de la nature déjà existante par la création continuée de cette nature ; postulat de relativité, qui affirme la possibilité de se libérer des structures sociales existantes et de leurs aliénations par un acte révolutionnaire créant des possibles nouveaux ; postulat de l'espérance, suivant lequel l'homme et la société sont des tâches à accomplir. Ces trois postulats sont bibliques et évangéliques. Il s'avère, en effet, qu'un seuil historique a été franchi dans l'expérience de la foi en la Résurrection du Christ : l'on est passé d'une liberté conçue comme conscience de la nécessité à une liberté conçue comme participation à l'acte créateur. Le Christ est venu faire brèche dans toutes nos limites, il a inauguré un mode nouveau d'existence en cassant le mécanisme du monde. Il nous montre le chemin : non pas une autre vie, mais une certaine qualité de cette vie. Chacun de nos actes libérateurs et créateurs et, plus que tout autre, l'acte révolutionnaire, implique le postulat de la résurrection. Le Christ est vivant chaque fois que nous apportons quelque chose de neuf à la forme humaine.

Roger Garaudy. Lumière et vie, n°112

20 avril 2014

Islam et modernité



Le 12 juin 1999

Monsieur le Secrétaire Général du Forum islamique et cher Frère,

J'ai été à la fois très heureux et très honoré en recevant votre lettre.
Heureux d'abord parce que votre prise de conscience de la
contradiction fondamentale qui empêche aujourd'hui l'Islam de jouer le rôle de grand éveilleur de la foi et de la culture, et aussi d'un ordre nouveau politique et social, peut être le point de départ d'un renouveau véritable, non seulement de l'Islam mais du monde. Or, c'est là un problème sur lequel je réfléchis et travaille depuis quinze ans.
Je me sens aussi honoré par votre invitation qui m'appelle à
participer a vos côtés et avec les plus sages de nos frères, à cette "renaissance".
Evidemment j'accepte votre proposition.
D'abord parce que les dérives actuelles du monde occidental, avec une Europe de plus en plus «Soumise aux mœurs et aux aventures destructrices des Etats-Unis - "avant-garde de la décadence", comme je l'écris dans l'un de mes derniers livres, conduit le monde à un véritable suicide planétaire.
Ce problème est d'abord un problème religieux: l’'Occident, aujourd'hui sous domination américaine, a déjà réussi à imposer à des multitudes (et surtout à leurs dirigeants) une  
religion qui n'ose pas dire son nom mais que j'appelle "le monothéisme du marché" c'est à dire l'idolâtrie de l'argent, avec toutes les corruptions économiques, politiques, morales, qu'elle engendre. C'est une véritable religion des moyens qui a perdu le sens des fins et privé la vie et l'histoire de finalité et de sens.
Pour combattre victorieusement cette tendance mortelle de la "modernité" occidentale, nous avons la responsabilité, comme
"califes de DIEU sur la terre", de créer une véritable "modernité islamique" qui ouvre une perspectived'avenir à l'humanité entière, car 1* Islam n'est pas unereligion nouvelle parmi d'autres: il est soumission à DIEU c'est à dire la religion fondamentale et première depuis que DIEU "a insufflé dans le premier homme de son Esprit" comme il est dit dans le Coran.
Il peut donc s'adresser à tous, sans esprit de supériorité mais au contraire de fraternité: ABRAHAM est le Père de tous
les croyants, et JESUS est un Prophète de cet Islam éternel,
il y eut même, nous enseigne le Coran, des prophètes
envoyés par le même et unique DIEU à tous les peuples, "même à
ceux dont il n'est pas parlé dans ce Livre "ajoute le
Coran( tels que l'Inde, la Chine, 1'Amérique ou l'Afrique .)
Nous pouvons donc être le "levain" de la renaissance de la foi dans tous les peuples; d'une foi capable d'inspirer l'action qui fera revivre le monde.

Quel est l'obstacle ?
Bien sûr, il y a d'abord l'obstacle extérieur : 1a puissance
diabolique des croisades et des inquisitions qui ont
aujourd'hui de nouvelles et terribles armes pour combattre la
vie et semer la mort, d'Hiroshima au Viet-Nam, à l'Irak, et
aujourd'hui au coeur de l'Europe.
Mais il y a aussi des obstacles intérieurs aux peuples musulmans qui donnent trop souvent une image caricaturale, négative, de l’Islam.
En face de la décadencet  de la fausse modernité de l'Occident, trop souvent nous donnons l'impression d'avoir perdu le sens de nos propres finalités: les uns (surtout parmi les dirigeants)sont tentés par l'imitation de l'Occident, les autres par l'imitation du passé. Ce sont deux impasses:l'un détruit notre foi, l'autre nous enferme dans l'immobilisme et détruit l'élan créateur gui anima l'Islam « matinal» du Prophète et de ceux gui surent s'ouvrir à toutes les cultures du monde/  surtout celles de 1'Asie, pour devenir à leur tour des éducateurs du monde au IXème et au XIII ème siècles à partir de Bagdad et de Cordoue.
A mon avis l'erreur de base, aujourd'hui, c'est de lire le Coran avec les yeux des morts.C'est à dire de confondre la "sharia "avec le "fiqh".
Le Coran nous enseigne (Sourate 42,verset 13)que la "sharia" est la voie ouverte par DIEU à tous les peuples, depuis NOE jusqu'à MOHAMMED.
Elle se résume en trois principes que nous retrouvons
exprimés dans des termes à peu près identiques non seulement
dans la THORA, les EVANGILES et dans le CORAN, mais dans toutes les sagesses du monde car elles sont la condition de toute vie personnelle ou sociale à visage humain et divin :
- DIEU SEUL POSSEDE
- DIEU SEUL COMMANDE
- DIEU SEUL SAIT
ce qui relativise toute propriété, tout pouvoir et tout savoir.

Cette "sharia" a une valeur universelle et éternelle, et c'est en la pratiquant et en l'enseignant que nous pouvons faire renaître la foi au coeur de tout homme et un ordre humain dans toute société et dans le monde en le structurant selon le "tawhid" qui est l'âme de toute action pour rendre le monde UN comme le DIEU qui l'a créé et qui nous inspire.
La "sharia" est parole de DIEU.
Le "fiqh" au contraire est fabrication humaine: il est à chaque époque, et dans chaque peuple, une tentative pour appliquer en lois humaines (fiqh), variant avec les conditions historiques, les princpes éternels et universels de la "sharia".
Sur plus de 6.000 versets, le Coran ne nous rapporte qu'environ 200 versets juridiques donnant les exemples de cette application à la communauté de Médine,comme le feront des juristes de génie, comme ABOU HANIFA ou SHAFIA pour résoudre les problèmes de sociétés fort différentes, comme la Perse ou 1'Egypte.
Ce qui contribue le plus, aujourd'hui, à discréditer l'
Islam, c'est de prétendre imposer au XXème siècle et à tous les peuples, les lois destinées à résoudre les problèmes du VIIème ou du Xème siècle {prescriptions vestimentaires ou alimentaires, législation sur le mariage ou l'héritage, statut de la femme, sur la propriété et les formes historigues du vol e t de sa répression, etc…)
Notre tâche de musulmans est au contraire de créer un "fiqh" du XXème et du XXI ème siècles, à partir des lois éternelles, divines, de la "sharia". De nos grands juristes il ne sert à rien de rabâcher les formules; il s'agit au contraire d'utiliser leurs méthodes créatrices pour construire un fiqh du XXIème siècle, pour résoudre les problèmes qui ne se posaient pas à eux : les multinationales, la "cassure "dumonde entre les affamés et les nantis, les guerres « presseboutons » à l'américaine, l'énergie nucléaire et ses usages,les manipulations génétiques,1'épuisement ou la pollution de la nature, etc...
Alors,mais alors seulement,1'Islam recommencera à rayonner,  et la "sharia" à retrouver son visage éternel au delà du
masque affreux que lui donnent les "traditionnalistes", les
"littéralistes", les soi-disant "ulémas" ignorant la réalité de leur temps (comme le révélait le communiqué de la conférence des Ulémas Egyptiens du 21 octobre 1977,véritable charte de l'intégrisme aveugle et de la confusion mortelle entre la sharia et le fiqh).
Telles sont, mon frère, mes réflexions sur ce que pourrait être un Islam vivant, fécondant les esprits comme il le fit aux époques de ses apogées, au temps du Prophète ou aux siècles de sa grandeur.
Je pense que votre initiative est d'une grande importance et d'une évidente et urgente actualité.
Je suis donc prêt à y participer, et je pense qu'un tel colloque exige une préparation mûrement réfléchie ,avec un questionnaire préparatoire concret pour ne pas se perdre en spéculations abstraites oiseuses.
Il me semble donc qu'un tel colloque ne pourrait se tenir qu'en septembre ou octobre, si nous voulons une préparation réfléchie et une efficacité certaine.
Je suis prêt pour ma part à traiter ce sujet: ISLAM ET MODERNITE".



18 avril 2014

Critique du livre de Garaudy "Le problème chinois" dans Le Monde (1967)



CET ouvrage n'est pas seulement intéressant par le problème qu'il traite, et traite bien. Le ton sur lequel il est écrit, et qui est dans l'ensemble d'une grande sérénité, montre ce que peuvent être la richesse et l'originalité d'une pensée  communiste, enfin libérée de la gangue stalinienne, qui replace l'homme au centre de ses préoccupations. On souhaite qu'en U.R.S.S. aussi paraissent bientôt des livres aussi indifférents aux tabous, aussi capables d'étudier une question à fond et de discuter, par exemple, les thèses de Trotsky avec un calme suffisant pour écrire que Staline avait exagéré, pour les besoins de sa polémique contre lui, l'ampleur de sa divergence avec Lénine sur le rôle de la paysannerie dans la révolution. M. Garaudy n'hésite même pas brièvement il est vrai à répondre à la question, jadis posée par Togliatti et considérée alors comme sacrilège, de savoir pourquoi, dans les deux plus grands pays socialistes du monde, la révolution marxiste a engendré le culte de la personnalité. L'explication qu'il en donne nous paraît quant à nous de nature à satisfaire, pour l'essentiel, plus d'un non-marxiste. Il n'est pas jusqu'à l'ambition essentielle qu'il assigne au communisme, à savoir la « promotion qualitative des besoins de l'homme »,qui ne soit séduisante pour beaucoup de gens, qui, sans donner dans les illusions de l'angélisme, veulent tout de même croire que l'homme ne se nourrit pas que de pain. Cette manière de penser est aux antipodes du stalinisme ou du jdanovisme; elle l'est plus encore évidemment à celles du maoïsme. Mais l'auteur se garde pour parler decelui-ci des schématisations grossières trop souvent employées à Moscou. Bien qu'il désapprouve, et de plus en plus,au fur et à mesure que son analyse progresse, il s'efforce beaucoup plus de comprendre et d'expliquer que de dénoncer. Son étude historique et sociologique de terrain sur lequel le socialisme s'est installé en Chine est dans l'ensemble d'une grande objectivité et résulte de toute évidence d'une très longue recherche personnelle. A quoi s'ajoute que M. Garaudy s'exprime avec beaucoup de clarté et de simplicité .C'est sur ses conclusions évidemment qu'on le critiquera le plus : les « pro - chinois » en dénonçant dans la coexistence pacifique qu'il préconise la voie ouverte à toutes les compromissions avec l'impérialisme et le capitalisme, les libéraux en opposant à sa foi les  inquiétants avatars auxquels a conduit, parfois en un demi-siècle, la greffe du socialisme sur deux grandes nations historiques. Aux uns et aux autres cependant on ne saurait trop conseiller la lecture d'un ouvrage qui fait  passer un souffle salubre dans une controverse où la mauvaise foi et le parti pris sont de part et d'autre trop souvent évidents.

Un volume de 300 pages illustré
aux Editions Seghers, 19 F.(L'illustration
de l'article repésente l'édition de poche chez 
10-18 Editeur UGE, 1968, n°387-388)
Le Monde. Supplément au n°7014 du 2/08/1967