18 janvier 2014

Garaudy vu par Denis Touret

Roger Garaudy (1913-2012)

Intellectuel idéaliste, catholique puis protestant puis communiste stalinien, puis marxiste dissident proche des idées gauchistes en mai 1968, puis catholique puis musulman, à la recherche de la Vérité du Tout, de l'Absolu.
Auteur d'une cinquantaine d'ouvrages, notamment de Dieu est mort, P.U.F., Paris, 1962 ; Karl Marx, Seghers, Paris, 1965 ; Lénine, P.U.F., Paris, 1968 ; Le Grand tournant du socialisme, Gallimard, Paris, 1969 ; Reconquête de l'espoir, Grasset, Paris, 1971 ; Appel aux vivants, Seuil, Paris, 1979 ; Pour l'avènement de la femme, Albin Michel, Paris, 1981 ; Mon tour du siècle en solitaire, mémoires, Robert Laffont, Paris, 1989 ; Avons-nous besoin de Dieu, avec une introduction de l'abbé Pierre, Desclée de Brouwer, Paris, 1993 ; Souviens-toi : brève histoire de l'Union soviétique, Le Temps des cerises, 93500 Pantin, 1994 ; Vers une guerre de religion ? Débat du siècle, Desclée de Brouwer, Paris, 1995 ; L'Islam et l'intégrisme, Le Temps des cerises, Pantin, 1996 ; Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, Librairie du savoir, Paris 1996 ; Grandeur et décadences de l'Islam, Alphabeta & chama, Paris 1996 ; Les Etats-Unis avant-garde de la décadence, Editions Vent du Large, Paris, 1997 ; Le procès du sionisme israélien, Editions Vent du Large, Paris, 1998 ; L'avenir mode d'emploi, Editions Vent du Large, Paris, 1998 ; L'Islam en Occident, Cordoue capitale de l'esprit, L'Harmattan, Paris, 2000 ; Le terrorisme occidental, Al-Qalam, Luxembourg, 2004.
Mettant notamment en cause dans son ouvrage Les Mythes fondateurs... la politique de l'Etat d'Israël à l'égard des palestiniens il est soutenu par son ami l'abbé Pierre, qui est alors exclu de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra) dont il était membre d'honneur, et doit se retirer (provisoirement) de la vie médiatique à la demande du Cardinal Jean-Marie Aaron Lustiger, archevêque de Paris.
Pour "Les Mythes fondateurs" Roger Garaudy a été condamné, le 17 février 1998, par la 17ème chambre du Tribunal correctionnel de Paris pour "diffamation raciale" du fait que "l'imputation d'une exagération du génocide à des fins politiques et cyniques porte à l'évidence atteinte à l'honneur et à la considération de l'ensemble de la communauté juive", et pour "contestation de crimes contre l'humanité" "empruntant pour ce faire largement à ce qu'une littérature révisionniste abondante a déjà publié sur le sujet", donc pour antisémitisme et révisionnisme, à 120.000 francs d'amende et à verser des dommages et intérêts aux organisations suivantes : la Licra, le Mrap, des associations de déportés.

C'est un lieu commun de dire qu'il s'est produit plus de changements en ce siècle qu'en cinq mille ans de notre histoire écrite. Que penser d'un homme qui, ayant eu la chance d'être contemporain de cette prodigieuse mutation, serait resté assis à la même place en la regardant passer ?
Mon tour du siècle solitaire, p.9.

La véritable Histoire est une histoire d'âme. Celle des franchissements de seuils nouveaux dans la création de formes nouvelles de la libération de l'homme. Elle est l'histoire des sagesses, des religions et des arts qui ont rendu visible leur marche invisible. Notre avenir a besoin de prophètes et de poètes, non de Césars et de Napoléons.
Les profondes révolutions font appels à une société ouverte, universelle, où l'homme n'est humain qu'habité par le tout. ... Nous sommes responsables de ce que chacun de nos gestes contient d'éternité.

Ibidem, pp. 432-433 et 435.

 Tous les peuples, avant même la découverte de l'écriture, ont élaboré des traditions orales, reposant parfois sur des événements réels, mais ayant pour caractère commun de donner une justification souvent poétique de leurs origines, de leur organisation sociale, de leurs pratiques culturelles, des sources du pouvoir des chefs ou des projets futurs de la communauté.
Les mythes fondateurs, p.243.

 Ce que l'on appelle "L'Histoire", est écrite par les vainqueurs, les maîtres des empires, les généraux ravageurs de la terre des hommes, les pillards financiers des richesse du monde assujettissant le génie des grands inventeurs de la science et des techniques à leur oeuvre de domination économique ou militaire.
Ibidem, p.245.

 Staline est allé s'asseoir à un coin de la table, puis il se lève et se dirige vers nous ; il pose affectueusement ses mains sur les épaules de Maurice (Thorez). Je suis assis en face de Maurice et de Jeannette (Veermersch) et je n'en crois pas mes yeux de me trouver à moins d'un mètre de Staline.
A cet instant, ce visage si proche et si familier éveille en nous les souvenirs et les sentiments les plus chers de notre coeur : je pense à mon tout petit Jean qui dit toujours devant ce portrait :"C'est pépé Staline" et c'est bien un visage de père qui illumine notre table de son sourire rayonnant à la fois de force tranquille et de bonté.

in le journal L'Humanité, 16 octobre 1952, à l'occasion des 70 ans du "petit père des peuples".

 La grandeur de Fils du peuple, c'est précisément de n'être pas la vie d'un être d'exception, mais, au contraire, la vie d'un homme dont les combats et la pensée s'identifient à la vie, au combat, à la pensée de la classe ouvrière parvenue à ce point de maturité historique où elle porte en elle les espérances de l'avenir national.
Cahiers du communisme, 3 mars 1960, p. 457, à l'occasion de la réédition de Fils du peuple, agiographie signée par Maurice Thorez mais rédigée par M. Jean Fréville, sur les "conseils" de Staline, publié en 1937, qui a notamment pour objet de construire le chef charismatique du parti communiste français, et qui devient le manuel incontournable des militants (Stéphane Sirot, Maurice Thorez, Presses de Sciences Po, Paris 2000).

 LA RESTAURATION DU CAPITALISME
C'est ainsi qu'un apparatchik membre du Bureau Politique du Parti politique de l'URSS, Boris Eltsine, dans la logique d'un système soviétique qui, depuis 20 ans, a abandonné tous les principes (même pervertis) du socialisme et n'en exploite plus que le nom, opère ouvertement, avec l'appui des États-Unis et de l'ensemble du monde capitaliste, le passage de la tentative illusoire de Gorbatchev d'une réforme du socialisme à une restauration du capitalisme.
La mise en scène du « coup d'Etat» du 19 août 1991, qui porte Eltsine au pouvoir, est révélatrice.
Le groupe des comploteurs est au sommet de l'État et de ses moyens de répression, dominant les ministères de la Défense et de l'Intérieur, et tout l'appareil du Parti. Or, des 180 divisions que compte l'armée soviétique, ils n'en contactent que quinze, et n'en mobilisent que cinq, avec ordre de ne pas tirer. En même temps, comme dans le plus extravagant scénario d'Hollywood - sans doute l'empire du mal, comme disait Reagan - ils commandent à une usine de Pskov... 250 000 paires de menottes!
Du côté du ministère de l'Intérieur, aucune communication téléphonique intérieure ou extérieure n'est coupée, sauf celle de Gorbatchev.
Souviens-toi, p. 76-77

 La mission confiée à Boris Eltsine lorsqu'il fut flanqué de son conseiller américain Jeffrey Sachs, est précisément de livrer son pays à cette prostitution. Il suffit pour cela, selon les directives du syndic de liquidation Jeffrey Sachs, qui fut désigné par les Etats-Unis, de se soumettre, contre promesse d'aide financière, aux exigences du «Fonds Monétaire International » (F.M.I.), bras temporel des Etats-Unis pour la politique économique à 1'égard du tiers monde.
Boris Eltsine, suivant les consignes de son mentor américain, a appliqué à la lettre le programme du F.M.I. avec une docilité exemplaire, organisant le chaos.
La privatisation systématique est décidée par cet ancien dirigeant communiste dogmatique et autoritaire. Dirigeant jusqu'en 1989 de la Fédération communiste de l'Oural et membre du Bureau Politique, Eltsine, reniant en bloc tout son passé, s'est converti en ennemi implacable du communisme et du socialisme. Il est, comme tel, utilisé pour détruire de fond en comble l'économie et l'État, afin de laisser place aux affairistes et aux spéculateurs internationaux.
Souviens-toi, p. 83

LES ETATS-UNIS, AVANT-GARDE DE LA DECADENCE
Pour comprendre comment, aujourd'hui, la désintégration des mœurs et des arts a pour l'une de ses causes essentielles la diffusion (et les illusions) du «mode de vie américain », il est nécessaire de situer le problème dans la perspective de l'histoire américaine, car la décadence de la culture, ne jouant aucun rôle régulateur dans la vie de la société, découle de la formation et de l'histoire des États-Unis. En Europe, la culture et les idéologies ont toujours joué un rôle important dans la vie politique, qu'il s'agisse par exemple de l'Europe de la Chrétienté, de l'âge des Lumières et de la Révolution française, du siècle des nationalités - et des nationalismes - ou du marxisme et de la Révolution d'octobre. En Amérique, en dehors des autochtones indiens dont la haute culture régulait les relations sociales (comme chez les Incas), mais qui ont été décimés à 80 % par le grand génocide, refoulés, marginalisés et finalement parqués dans les réserves, tous les hommes qui peuplent aujourd'hui les États-Unis sont des immigrants. Quelles que soient leur origine et leur culture première, ils sont venus essentiellement pour chercher du travail et gagner de l'argent. Irlandais ou Italiens, esclaves noirs déportés aux Amériques, Mexicains ou Portoricains, ils avaient chacun leur religion et leur culture; mais pas une religion et une culture communes. Le seul lien qui les rassemble est analogue à celui qui lie le personnel d'une même entreprise. Les États-Unis sont une organisation de production régulée par la seule « rationalité» technologique ou commerciale, à laquelle on participe comme producteur ou consommateur, avec pour seule fin un accroissement quantitatif du bien-être. Toute identité personnelle, culturelle, spirituelle ou religieuse est considérée comme une affaire privée, strictement individuelle, qui n'intervient pas dans le fonctionnement du système. A partir de telles structures sociales, la foi, la foi en un sens de la vie, ne peut vivre que dans quelques communautés qui ont gardé l'identité de leur culture ancienne, ou chez quelques individus héroïques. Dans l'immense majorité de ce peuple, Dieu est mort, parce que l'homme y a été mutilé de sa dimension divine: la quête du sens. La place est alors libre pour le pullulement des sectes et des superstitions, les évasions de la drogue ou du petit écran, le tout recouvert d'un puritanisme officiel qui s'accommode de toutes les inégalités et de tous les massacres, et leur sert même de justification.
Les Etats-Unis avant-garde de la décadence, pp. 21-22
 La violence la plus sanglante et sa caution par une religiosité hypocrite est un trait permanent de l'histoire des États-Unis, depuis leur origine. Les premiers puritains anglais qui débarquèrent en Amérique y apportaient la croyance la plus meurtrière pour l'histoire de l'humanité: celle de « peuple élu », légitimant, comme des « ordres de DIEU », les exterminations et les vols de la terre des autochtones selon le modèle du livre biblique de Josué, où le « DIEU des armées» donne à « son» peuple la mission de massacrer les premiers habitants de Canaan et de s'emparer de leur terre.
De même que les Espagnols avaient appelé « évangélisation» le génocide des Indiens du sud du continent, les puritains anglais invoquèrent, pour justifier leur chasse aux Indiens et le vol de leur terre, le livre de Josué et les «exterminations sacrées» (herem) de l'Ancien Testament. « Il est évident, écrit l'un d'eux, que DIEU appelle les colons à la guerre. Les Indiens se fient à leur nombre, à leurs armes, aux occasions de faire le mal, comme probablement les anciennes tribus des Amalécites et des Philistins qui se liguèrent avec d'autres contre Israël. » (Truman Nelson: « The Puritans of Massachussets : From Egypt to the Promised Land. Judaïsm. » Vol. XVI, n° 2. 1967.)
Ibidem, p. 23
 Les États-Unis sortirent de la guerre dans une position de domination totale, une position sans parallèles historiques. Leurs rivaux industriels avaient été détruits ou sérieusement affaiblis, alors que leur production industrielle avait presque quadruplé durant les années de guerre.
Les États-Unis possédaient, à la fin de la guerre, la moitié de la richesse mondiale, alors que leurs pertes humaines étaient dérisoires comparées à celles du reste du monde. Cette guerre avait coûté à l'Allemagne plus de 7 millions et demi de morts (dont la moitié de civils), à la Russie plus de 17 millions de morts (dont 10 millions de civils), à l'Angleterre et à la France un million de morts, dont 450 000 civils, aux États-Unis 280 000 soldats (l'équivalent des morts par accidents d'automobiles aux États-Unis pendant la durée de la guerre).
Ibidem, p. 33
 Le« nouvel ordre mondial» rêvé par les dirigeants américains est un autre nom pour la domination mondiale des États-Unis.
Le « droit d'ingérence» est le nouveau nom du colonialisme. Débarrassées du contrepoids de l'Union Soviétique (bradée par les dirigeants russes et désintégrée par les nationalismes), les Nations Unies, composées désormais des États-Unis, de leurs débiteurs et de leurs clients, deviennent une chambre d'enregistrement des volontés américaines pour leur servir de couverture et d'alibi. La gigantesque machine militaire américaine, constituée au temps de l'affrontement Est-Ouest, devenait disponible pour d'autres tâches. L'Europe ne pouvait être une rivale mais une vassale. Le traité de Maastricht dit explicitement, à trois reprises qu'il s'agit d'en faire :"le pilier européen de l'Alliance atlantique".
Ibidem, pp. 74-75

Politique et finalité humaine.
Ce cauchemar n'est pas seulement dans le gouffre de nos écrans, mais au cœur même de nos vies et c'est à ce niveau aussi qu'il faut le combattre; la politique ne devenant alors que l'extérieur de l'intériorité des arts et de la foi. La prétention à la domination mondiale des États-Unis est devenue si évidente (par le délabrement de la vie qu'ils prétendent exporter et imposer au monde entier), qu'elle soulève des colères à l'échelle universelle. L'Europe même, partageant pourtant les privilèges de l'Occident, commence à s'éveiller de la longue torpeur qui l'empêchait de prendre conscience qu'elle est en train d'être dépendante sinon colonisée.
Ibidem, p. 149