29 novembre 2013

Déclaration universelle des devoirs

Avant sa version 1998 publiée dans "L'avenir, mode d'emploi" (voir aussi: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2012/09/qui-sera-ton-dieu-par-roger-garaudy_20.html), la version 1997 du projet de déclaration universelle des devoirs dans "Les Etats-Unis, avant-garde de la décadence. Comment préparer le 21ème siècle ?":
                                             
                                                     * * *

 
Les principes directeurs de cette libération à l'égard du « monothéisme
du marché » ne peuvent être ceux d'une « Déclaration des
droits de l'homme », qui eurent, lors de la Révolution française de
1789, le mérite de mettre fin aux hiérarchies et aux privilèges du
sang. Mais ils le firent en instituant d'autres hiérarchies et d'autres
privilèges : ceux de l'argent.
Ils le firent en enfermant l'individu dans son égoïsme, et sa
« propriété », en abolissant seulement « l'Ancien Régime » de la
noblesse et de la royauté héréditaires, pour laisser aux possédants
toute liberté d'asservir et d'exploiter la masse des démunis.
Il s'agit aujourd'hui d'autre chose que de cette simple négation
du passé proche : remonter au-delà de tous les systèmes de domination
et de prétention à l'exceptionnalisme occidental et retrouver
le courant majeur et universel de l'humanisation de l'homme, à
partir d'une « Déclaration des devoirs » faisant appel à la responsabilité
de chaque homme et de tout homme, et rappelant ce qui,
au-delà de la nature, le fait homme, authentiquement humain.
Voici l'ébauche que nous proposons d'une « Déclaration universelle
des devoirs » :

Préambule.
La Déclaration des devoirs découle de la distinction entre l'homme
et les autres êtres vivants : la différence fondamentale entre
l'évolution biologique et l'histoire humaine, c'est que l'homme n'a
pas fait la première alors que la seconde est son oeuvre.
L'homme n'a donc pas seulement une nature ; il a une histoire. Il
est habité, qu'il en soit conscient ou non, par toutes les créations
antérieures de la culture humaine. Il est bénéficiaire et responsable
de cet héritage. Ceci comporte le devoir de participer de façon créatrice
à son enrichissement pour continuer cette humanisation de
l'homme.
De ce devoir fondamental découlent tous les autres.

 1°- L'humanisation de l'homme étant l'oeuvre des cultures de
toutes les familles de la terre, tous nos devoirs s'ordonnent en fonction
de cette universalité : toute action et toute pensée ne peut
acquérir valeur humaine que si elle tend à donner à tout enfant, à
toute femme, à tout homme, quelles que soient sa culture d'origine,
sa foi ou son terroir natal, les moyens économiques, politiques, culturels
ou spirituels de développer toutes les possibilités humaines,
créatrices, qu'il porte en lui.
Toute organisation sociale qui se veut humaine ne peut avoir
d'autre but.
Est ainsi abolie, comme négation tribale de l'unité humaine, la
prétention de quiconque à s'autoproclamer « peuple élu ».

2° - Tout pouvoir détenu par un homme du fait de son accession
à un poste de direction ou d'organisation dans la communauté dont
il est membre : Église, Nation, entreprise de production ou de service,
responsabilité professionnelle ou artistique, ou tout autre service
de la communauté, exige de son titulaire des devoirs supplé-
mentaires, notamment celui de veiller, dans l'exercice de son pouvoir
à l'égard de sa propre communauté, à ce que l'action extérieure
de cette communauté ne nuise à aucune autre, même à l'échelle
mondiale.
Par exemple, s'il détient une autorité religieuse, qu'elle ne comporte
à aucun degré l'exclusion ou la répression d'aucune autre,
qu'elle soit religieuse ou non-religieuse. De même, le pouvoir qu'il
détient dans une Nation, à quelque niveau que ce soit, et surtout à
celui de l'autorité suprême, lui impose le devoir de veiller à ce que
les intérêts particuliers de ce peuple n'impliquent aucun privilège
en sa faveur, et moins encore une domination à l'égard d'un autre
peuple.

3°- La propriété implique le devoir de la faire fructifier au service
de l’humanité entière, car cette richesse est l'oeuvre de la science
et de la technique des hommes. Elle appartient donc, depuis des
millénaires, aux générations qui ont créé aussi bien les espèces agricoles
nouvelles que les techniques de l'industrie ou de l'échange,
comme les sciences et les arts qui l'ont créée ou embellie.
Celui qui en est, pour un temps, titulaire, à titre privé ou collectif,
en est donc le gérant responsable. S'il n'accomplit pas ses
devoirs, la communauté dont il est membre a, elle, le devoir de lui
retirer cette charge et de la confier à un autre : personne ou communauté,
consciente de ces obligations.

4°- Les devoirs envers la nature sont un cas particulier des
devoirs envers la propriété ; ni des individus, ni des groupes ne
peuvent s'arroger le privilège de l'épuiser, de la défigurer ou d'en
détruire les richesses pour leurs jouissances particulières. La nature,
telle que nous en héritons aujourd'hui, a été, pour la plus grande
part, « humanisée » par le travail de multiples générations. Elle
ne peut donc être considérée ni comme un réservoir illimité de
richesses pour satisfaire nos appétits du moment, ni un dépotoir
pour nos déchets : elle appartient non seulement aux milliards de
morts qui l'ont fécondée, mais aux milliards aussi de ceux qui ne
sont pas encore nés, et nous avons le devoir de la transmettre plus
féconde encore et plus belle que nous ne l'avons reçue, sans en
hypothéquer l'avenir.

5°- La liberté consiste à n'être pas captif de ses intérêts propres
ou des visées particulières de la communauté à laquelle on appartient,
et à agir seulement en vue de la promotion de tous les
membres de la communauté planétaire.
Elle n'est pas l'attribut d'un individu (en grec atome, c'est-à-dire
particule séparée de tous les autres par un vide). Dans les sociétés
occidentales l'individu est le centre et la mesure de toutes choses et
séparé de tous les autres par la barrière cadastrale de ses « droits ».
Au contraire la personne prend conscience de ses devoirs : être solidairement
responsable du destin de tous les autres.

6°- La sécurité et la résistance à toute oppression (qui ne peut
venir que des individus et des groupes se refusant aux devoirs
humains), découlent de cette solidarité propre à ceux qui sont
conscients de ces devoirs : aucune force physique (l'histoire humaine
en a donné des exemples par la désintégration finale de tous les
empires) ne peut triompher longuement d'une communauté unie
par la conscience commune de ces devoirs universellement
humains.

7°- Tout homme ou toute femme, à quelque niveau de pouvoir
économique, politique, culturel ou spirituel qu'il accède, a le devoir
de s'interroger sur la finalité, c'est-à-dire le sens et le but de son
action : sert-elle à l'épanouissement de l'homme et de tout homme,
ou à sa dégradation et à sa destruction ? Qu'il s'agisse :
- d'entreprises de production (pour ne citer que celles qui procurent
les plus grands profits : les armements et la drogue) ;
- ou de services qui bénéficient du plus grand pouvoir de
manipulation des esprits (tels que ceux de l'information par les
médias, la publicité, l'éducation, les religions ou les arts).

8°- Les « droits » de l'homme découlent de ces devoirs et se résument
en un seul « droit » : nul ne doit rencontrer d'obstacles ou de
limites (qu'il s'agisse d'obstacles ou de discriminations économiques,
politiques, culturelles ou spirituelles) à l'accomplissement
de ses devoirs à l'égard de la communauté planétaire des
hommes...

9°- L'ensemble de ces « devoirs » se ramène à un seul qui fut
énoncé par l'une des plus vieilles spiritualités de notre histoire,
lorsque l'homme prit pleinement conscience de son humanité,
c'est-à-dire de sa spécificité par rapport à toutes les autres espèces
animales. La « nature » n'exclut ni les luttes à mort entre « espèces
distinctes », ni la destruction de milliards de germes. Elle ne peut
donc fournir de lois à l'action proprement humaine. Le devoir
unique, générateur de tous les autres, reçut alors sa première formulation
consciente et éternellement humaine : être UN avec le
TOUT.

Roger Garaudy

pages 161 à 165