25 août 2013

A propos des personnels de l'ex-Université des mutants


(Opinion)
Je ne connais pas les raisons profondes qui ont fait aboutir à cette décision de dissoudre l'Université des Mutants. Il reste que cela fait mal, très mal.
Il y a dans l'histoire de mon pays, et pour ma génération, un fait triste et déplorable qui ne s'oubliera pas et qui ne s'oubliera pas d'autant plus facilement qu'après bien des décennies, le spectre est encore là, sous nos yeux: l'occupation sinon la destruction du Musée dynamique, ce haut lieu de culture, construit en 1966 à l'occasion du 1er Festival mondial des Arts nègres, et légué à une institution judiciaire. Aujourd'hui, tout devrait concourir à récupérer ce musée dans la perspective du tout prochain Festival mondial des Arts nègres en 2006, festival bien opportunément ressuscité. Un autre fait vient de s'inscrire dans l'histoire, un fait qui ne s'oubliera pas non plus s'il aboutissait : la dissolution de l'Université des Mutants, Université créée par Senghor et le philosophe français Roger Garaudy, Université qui, ayant connu ses heures de gloire, sombra presque dans l'anonymat avant de reprendre vigueur et charme, fortement soutenue par le ministère de la Culture, ministère de tutelle et par l'Etat du Sénégal qui fit voter des crédits substantiels pour rénover cette institution de légende, devenue aujourd'hui un bijou, un outil rayonnant et multifonctionnel installé depuis Senghor sur l'île de Gorée, ce qui ajoute à la force de son symbole, de ses missions et dont le seul nom des «Mutants» fait rêver et croire en ce formidable génie créateur du Sénégal!

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SENEGAL-SOCIETE

2013-05-02 
Dakar, 2 mai (APS)- Les ex-agents de l’Université des Mutants de Gorée, un centre international de rencontres et de conférences dissout en 2005, ont lancé jeudi à travers un communiqué, un sos pour réclamer quatre mois d’arriérés de salaire.
‘’Voici quatre mois que nous n'avons pas perçu nos salaires [...]’’, ont déploré les intéressés.

‘’Toutes nos démarches ont été jusque-là sans succès. Nous lançons un sos, car ce personnel est constitué de personnes qui ont fait entre 15, 20 et 30 ans de service et certains sont même partis à la retraite’’, poursuit le texte. Ces ex-agents disent avoir "le sentiment d'être la vieille vache laitière abandonnée’’.

L'Université des Mutants avait été fondée à l'initiative de Léopold Sédar Senghor et de l'écrivain et philosophe français Roger Garaudy.

Elle avait ouvert ses portes le 6 janvier 1979 avec un appui de l’UNESCO et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Mais sa création ne sera officialisée qu'en 1981, à travers la loi 81-03 du 2 février. 

SKS/ASG 

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 31 05.2013
Le ministre de la Culture Abdoul Aziz Mbaye et son collègue de la Fonction publique, du Travail et des Relations avec les institutions Mansour Sy ont eu vendredi après midi une séance de travail sur la situation de l’ancien personnel de l’université des Mutants et le recrutement des animateurs culturels. A l’issue de la rencontre, les deux ministres ont annoncé l’intégration de ces agents dans la fonction publique et donc l’accélération de la procédure.
C’est un bel exemple de solidarité interministérielle et de collaboration. La réunion entre les deux départements ministériels, qui  s’est tenue dans le bureau du ministre de la Fonction publique, a permis de passer en revue deux grandes questions : la situation de l’ancien personnel de l’université des Mutants et le recrutement des animateurs culturels. A l’issue de la séance de travail, Mansour Sy ministre de la fonction publique et du travail a déclaré s’agissant du premier dossier,  que « c’est enfin le bout du tunnel pour ces travailleurs de l’université des Mutants. Les décisions sont prises et les recrutements sont entrain d’être finalisés ».
En ce qui concerne le recrutement des animateurs culturels, le ministre de la Fonction publique a réitéré les propos de son collègue  de la Culture en rappelant que sur les 35 postes dédiés au département, 32 leur sont affectés. « C’est un effort non négligeable», selon le ministre de la Culture Abdoul Aziz Mbaye, qui a salué « la diligence avec laquelle son collègue traite la question des ressources humaines, notamment celles du ministère de la culture. » Il a également exprimé toute sa satisfaction de voir enfin « les prémisses des résultats des efforts qui ont été fournis » pour dit-il  « intégrer dans la fonction publique les employés de l’université des Mutants, dissoute en 2005 par l’ancien régime». Le ministre de la Culture a aussi rassuré en ce qui concerne les animateurs culturels. « Les commissions de recrutement sont entrain d’accélérer le travail, suite aux instructions du Président de la République données lors du dernier Conseil des ministres. Et ce n’est plus qu’une question de semaines pour que les travailleurs de la défunte université des Mutants et les animateurs culturels soient officiellement intégrés dans l’administration.
                                                                  
Photo ci-contre: en 1978, Garaudy et Senghor inaugurent l'Université des mutants

23 août 2013

Je ne crois pas...

 
Je ne crois pas que Dieu ait un fils. Pourquoi pas une fille ?
Je ne crois pas qu'un homme ait été conçu du Saint-Esprit et soit né d'une vierge.
Je ne crois pas aux miracles de Jésus.
Je ne crois pas à la vision, par les apôtres, de Jésus ressuscité.
Je ne crois pas que Jésus soit le sauveur de l'humanité.
Je ne crois pas à la présence de Jésus au cœur d'un morceau de pain.
Si je me permets de déclarer tout cela, ainsi, un peu brutalement, c'est que bien des chrétiens, y compris la plupart des membres de la hiérarchie catholique, en parlent comme si c'était des réalités physiques historiques…, même si ce n'est pas de fait l'essentiel de la théologie et de l'exégèse. Nous sommes en pleins mythes, comme dans les religions grecque, romaine et égyptienne d'autrefois. Ayons, chrétiens du 21ème siècle, l'intelligence de comprendre et le courage de le dire. Car ce n'est pas déshonorant, ni pour la réflexion ni pour la foi, de proclamer cela. Derrière l'expérience mystique de la première communauté chrétienne, face à leur ami Jésus, il y a toute une expérience humaine, profonde et même divine… mais dite dans les cultures juive et grecque de l'époque.
Dieu n'est pas lié à l'humanité par un événement historique exceptionnel (la naissance, la vie, la mort de Jésus). Les premiers apôtres ont compris la présence continuelle de Dieu au cœur de chaque homme. Mais ils l'ont dit dans leur vision de l'époque, à leur manière. Nous avons à dire la même réalité dans notre culture actuelle: tout être humain est né aussi de Dieu, et pas seulement Jésus.
Jésus n'est pas le sauveur de l'humanité. Pour moi, cette expérience mystique des apôtres, j'ai envie de la dire d'une autre façon:
C'est à chaque être humain d'être le sauveur de son voisin.
C'est à chacun de nous d'accepter d'être sauvé par son voisin.
Dieu ne se situe:
-          ni à l'origine de l'univers: la création. Le monde a-t-il commencé ? C'est une question scientifique et non plus religieuse. La création, ce n'est le dogme du début du monde, mais l'affirmation que tout ce qui existe aujourd'hui vient toujours de Dieu. La création, c'est du présent et non du passé.
-          ni à l'extérieur, là-haut: bien des chrétiens réagissent encore dans cette conception religieuse : "Il descendit du ciel… Il monta au ciel." Le premier astronaute russe au retour a déclaré: je n'ai pas rencontré Dieu.
-          ni à la fin de l'humanité, marquée par le retour de Jésus et la résurrection générale: les premiers chrétiens vivaient dans l'espérance du retour de Jésus-Christ, dans les mois ou les années qui allaient venir. Nous sommes encore dans cette visée de la résurrection générale à la fin des temps: "Il reviendra dans la gloire pour juger les vivants et les morts". Il nous faudra attendre encore combien de siècles ? Comme pour la création, l'avenir et la fin du monde sont des questions scientifiques et non plus religieuses.
Mais c'est Dieu qui, au sein des mystères de chacun, donne un sens à l'avenir de l'humanité. Alors laissons de côté nos références au passé, et prenons tout notre temps pour commencer à vivre aujourd'hui ce que nous souhaitons que soit demain. Le regard des apôtres sur Jésus, c'est le regard que j'ai sur tout être humain, sur l'avenir de l'humanité.
Bien des hommes, bien des femmes le vivent actuellement, qu'ils soient chrétiens ou d'une autre religion, ou même athée, non-croyants. Nous avons ensemble à dire cette expérience qui nous est commune, même s'il nous faudra encore beaucoup d'années pour la dire par des mots, des images identiques. Donnons au christianisme un avenir qui ne soit pas celui d'une religion à part, qui s'appuie sur un évènement passé, mais celui d'un grand rêve, d'une utopie de ce que nous souhaitons que soit demain :
-          Tout être humain est un mystère au plus profond de lui-même, que chacun ne peut même pas arriver à dire. Tout être humain est un absolu, quels que soient sa race, son âge, sa culture… Chrétien , je crois que tout être humain est habité par Dieu, est parole de Dieu, présence de Dieu… et pas seulement Jésus.
-          C'est dans la solidarité, la fraternité, l'amitié, l'amour que se construit l'avenir de l'humanité. Chrétien, je crois qu'au-delà de nos tendances naturelles à la haine, la violence, la guerre… une humanité tout autre est susceptible de naître. Nous avons à lutter ensemble pour faire surgir cette humanité encore inconnue, parce que divine.
De plus en plus, je n'ai pas envie d'utiliser le mot "Dieu". J'ai plus envie de parler du divin qui est au plus profond d'entre nous et nous pousse à faire surgir un tout autre monde. Le divin appartient à notre nature humaine.
                                                                                                 Un chrétien d'Orléans
http://www.ecoutetpartage.fr/spiritualite.htm

18 août 2013

La reconquête de l’espoir



L'avenir n'est pas « ce qui sera » , mais ce que nous
ferons. L'histoire passée non plus n'était pas inéluctable.
Car l'homme n'est ni une chose, ni un animal. Il
n'est ni captif d'un instinct, ni esclave d'un destin, ni
l'enfant gâté d'une Providence, ni la marionnette d'un
quelconque déterminisme.
L'homme fait sa propre histoire. Il ne peut pas la
faire arbitrairement, mais toujours dans des conditions
léguées par le passé. Ce qui distingue l'homme de tous
les autres êtres de la nature, c'est qu'il invente des
projets, qu'il ouvre des possibles.
Bien entendu, lorsque nous relisons le passé, en
chaque moment de l'histoire, un seul possible a
triomphé. L'histoire est écrite par les vainqueurs : pour
justifier leur victoire, ils doivent montrer qu'elle était la
seule solution aux problèmes posés. Mais devant nous,
l'éventail des possibles est encore ouvert, les projets
peuvent encore s'affronter, et l'issue du combat n'est
pas déjà écrite.
Lorsqu'il y a plus de vingt ans, au lendemain de
l'écrasement du Printemps de Prague, j'écrivais : « Le
Socialisme, ce n'est pas cela ! » , dans un livre déjà intitulé
Reconquête de l'espoir, certains me traitaient d'utopiste.
L'utopie de 1992, le projet, ne sera pas nécessairement
la réalité de demain, mais elle propose une
hypothèse de travail qui aidera à modeler cette réalité.
En revanche, i l suffit de croire qu'il n'y a rien à
faire et de se comporter en conséquence, c'est-à-dire
en ne faisant rien, pour que l'avenir ne soit rien
d'autre que le prolongement du présent et du passé. Se
résigner, ce n'est pas obéir au destin, c'est le rendre
inéluctable.
Les victoires de l'avenir se remporteront d'abord
dans la tête et le coeur des hommes, car les armes, toutes
les armes, qu'elles soient guerrières, policières, économiques,
bureaucratiques ou idéologiques, sont maniées
par des hommes. Et lorsque quelque chose se casse dans
la tête et le coeur de ces hommes, ces armes, même les
plus sophistiquées et les plus redoutables, tombent de
leurs mains. C'est pourquoi militaires ou politiciens se
trompent toujours, eux qui mesurent seulement la force
par la puissance de feu et la logistique. Il arrive que le
plus faiblement armé gagne, comme au Viêtnam ou en
Algérie, ou même qu'un peuple aux mains nues
désarme une puissante armée, comme celle du shah
d'Iran. Cela les déconcerte : la foi n'entre pas dans leurs
circuits électroniques.
Ce qui ne signifie pas que l'on verse dans l'illusion
angélique jusqu'à croire que les idées sont le moteur de
l'histoire.
Ce livre, qui fait tant de place — paradoxalement
penseront certains — à la foi dans l'élaboration d'un
projet politique, tend précisément à faire prendre
conscience de l'unité profonde entre une politique qui
n'est pas un département du marché mais une branche
de la culture, et une foi qui n'est pas seulement verbale,
rituelle, désincarnée, mais qui, au contraire, est la
partie invisible de l'action, comme l'action est l'expression
visible de la foi.
Cette action est la plus réaliste qui soit, car la pire
utopie, désormais, c'est le statu quo, l'acceptation des
dérives qui conduisent à la mort.
Dans la formation de ses projets, l'Occident a
commis des erreurs d'aiguillage. Notamment dès le
4e  siècle, en substituant à la prodigieuse levée de Jésus
et de son projet libérateur une théologie de la domination
qui la liait aux pouvoirs et l'empêchait d'aider les
peuples à découvrir, à travers le message de Jésus, les
fins de leur action.
Depuis la Renaissance, une conception mutilée de la
raison comme instrument de puissance et d'exploits
techniques, ne pouvant assigner des fins, a donné à
l'homme des moyens cyclopéens, mais n'ayant d'autres
fins que leur accroissement pour produire toujours plus
de biens et de services.
Il s'agit donc, pour ne pas multiplier les déraillements
et leurs dérives, de remettre en question les
formes de religion, de politique, de rationalité qui les
ont suivis. Non par un « retour aux sources », mais par
une réflexion sur les incidences actuelles de ces mauvais
choix et sur les conditions inédites dans lesquelles nous
avons à résoudre ces problèmes pour reprendre le cap.
Chacun de nous en est personnellement responsable.
Comme le chantait le poète Nazim Hikmet :
Si je ne brûle pas ,
si tu ne brûles pas ,
si nous ne brûlons pas ,
comment les ténèbres
deviendront-elles clarté?

ROGER GARAUDY
LES FOSSOYEURS. Un nouvel appel aux vivants
Conclusion, pages 213 à 215
l'Archipel éditeur, 1992

16 août 2013

Défenseur Jacques Vergès, adieu !

Jacques Vergès, qui fût le défenseur entre autres de Roger Garaudy, est mort. Cette video, parmi de nombreuses, montre sa réaction face à un journaliste inculte et provocateur qui tente de le piéger sur la question de son antisémitisme supposé (supposé de quiconque ne soutient pas aveuglément Israël !). On trouvera ici la plaidoirie de Maître Vergès au premier procès de Roger Garaudy (voir photo ci-dessous) (1998).





Le communiqué du Parti communiste réunionnais en hommage:

Rares sont les vies humaines qui, dès le plus jeune âge et jusqu’au bout, ont été ainsi consacrées, sans jamais dévier, à la défense de la dignité et des droits humains que cette cause soit juste ou qu’elle apparaisse indéfendable de prime abord.

Dans les pays dont les peuples étaient privés de leur souveraineté et où le colonisateur présentait les patriotes comme des rebelles ennemis de la liberté, Jacques Vergès - qui s’était engagé dès 17 ans dans les Forces françaises libres pour combattre le nazisme - a toujours pris le parti des résistants sans jamais céder aux menaces et aux attentats.


Sa contestation de l’ordre injuste l’a conduit à inventer et mettre en œuvre le concept de défense de rupture. Refuser la loi du plus fort et démontrer qu’elle n’est en fait qu’une injustice à combattre sans merci. Refuser la bien-pensance et défendre la dignité et les droits de tous les accusés quels que fussent les crimes dont ils étaient accusés.


Acteur éminent des luttes anticoloniales, c’est de son vivant que Jacques Vergès est entré dans l’histoire de la deuxième moitié du XXe siècle. C’est pourquoi, sitôt connue la nouvelle du décès de Jacques Vergès, c’est du monde entier qu’affluent les réactions et abondent les hommages.


Le Parti Communiste Réunionnais, s’associant à ces hommages, salue la mémoire et l’œuvre de cet homme d’exception, ce grand Réunionnais.


Au nom du Parti Communiste Réunionnais, nous présentons à toute sa famille et tout particulièrement à son frère, Paul Vergès, nos très sincères condoléances.

15 août 2013

De la "modernité"



Le mot de « modernité » recouvre un ensemble
assez confus de comportements :
— une civilisation dominée par les sciences et les
techniques. Une raison pragmatique, liée à l'efficacité,
et devenue l'arbitre de la réalité : toutes les
questions auxquelles elle ne peut pas répondre sont
de fausses questions. Y compris les questions du bien
et du mal, déterminées dès lors par les rapports de
force.
— un monothéisme totalitaire du marché, c'est-à-dire
de l'argent. Un système où toutes les valeurs
sont réduites à des valeurs marchandes.
— un mode de vie « occidental » qui tend à
réduire l'homme à un producteur de plus en plus
efficace, un consommateur de plus en plus vorace en ses
plaisirs, mû par le seul intérêt individuel.
Urbanisme cancéreux des « promoteurs, mégalopoles,
pieuvre des supermarchés, barbarie informatisée
des modernes fossoyeurs, hypnose télévisuelle induisant
un somnambulisme de masse, la « modernité » seraitelle
la mort lente de l'art, de l'amour, de la foi, de tout
ce qui donne à la vie un sens et une responsabilité ?
Est moderne, dit le dictionnaire Robert, « ce qui
bénéficie des progrès récents de la technique et de la
science ».
Une science mythique, telle que le positivisme put la
croire reflet d'une réalité absolue et système achevé.
L'essor des sciences et des techniques, depuis le
20e siècle en particulier, semblait justifier cet optimisme
d'un productivisme déchaîné qui serait capable
de répondre à tous les besoins et de fabriquer le
bonheur.
La science considérée comme seule source de vérité et
seule dispensatrice d'espoir refoulait la religion comme
archaïsme. La sécularisation est aussi l 'un des critères
de la modernité. Cette rupture avec l'autorité de la
tradition conduisait à l'exaltation de l'individualisme
en rupture avec le passé.
L a notion de rupture est devenue la dominante de la
modernité. L'art moderne, en peinture par exemple,
s'est défini par une série de ruptures à l'égard des
canons du passé, de l'imitation de la nature, notamment
par la perspective et l'anatomie.
Briser la couleur, et c'est l'impressionnisme.
Briser l'espace et la forme, et c'est le cubisme.
Briser l'anecdote et la chose, et c'est l'abstraction.
Ce qu'il est convenu d'appeler le « nouveau roman »,
après les ruptures de Joyce et de Faulkner, systématisées
en France par Robbe-Grillet, c'est la rupture avec
le sujet, intrigue ou récit, le personnage et sa psychologie,
le temps linéaire ou l'espace structuré.
Cette notion de rupture est devenue tellement dominante,
obsessionnelle, que la « modernité » a fini par
être changement pour le changement, nouveauté à tout
prix. Fût-ce en puisant, par ignorance du passé ou par
défi conscient, dans la tradition.
Prenons par hasard, dans une revue « branchée »,
l'annonce d'un concert Rub à Dub : « A u moment où le
rock n'avait plus rien à raconter que son passé, voilà
que, comme par enchantement, se lèvent partout des
hordes de breakers, smurfers, rappers, scratchers, toasters,
qui démodent d'un coup tout le spectacle dominant,
qui renvoient à la case départ tous ceux qui
avaient eu tant de mal à se faire un petit nom dans la
culture rock. Tous ceux qui étaient " bien branchés ",
mais sur une prise où n'arrivait plus le courant. »
Cette fébrilité dans la recherche du nouveau pour le
nouveau, quels qu'en soient le sens et la valeur, est une
nouveauté qui se contente de nier ce qui la précède.
Peindre ses cheveux en vert ou en rose est une
manière de se désolidariser par défi, sans être pour
autant une originalité, moins encore une création.
L'avant-garde de n'importe quoi.
L'originalité n'est pas simplement la singularité de
l'extravagance et de l'arbitraire, mais la connaissance
profonde du passé et des exigences de son rejet pour
répondre à des problèmes inédits. Sans quoi le jamais
vu et la table rase se substituent à la création véritable,
qui est à la fois l'intégration organique des créations
antérieures et leur dépassement.
L'un des peintres les plus novateurs et les plus
subversifs du 20e siècle, Juan Gris, écrivait que « la
grandeur d'une création nouvelle se mesure à l a force
du passé qu'elle porte en elle, et non à son ignorance des
efforts antérieurs de création et de dépassement ».
Cette frénésie du rejet ignorant conduit à la désertification
de l'homme dans tous les domaines, de la vie
privée à la politique.
Un couple dit moderne est un couple pour qui les
rapports entre la sexualité et l'amour ne posent pas de
problèmes.
Une morale dite moderne est un comportement
permissif, qui ne s'est jamais interrogé sur le sens
qu'ont pu avoir les normes avant leur légitime rejet.
Une telle morale ne se situe pas « au-delà du bien et du
mal », mais en deçà.
Une société dite moderne est une démocratie occidentale
au sein de laquelle les lois du marché et de la
croissance sont les seuls régulateurs.
Dans la dernière période, cette défaite de l'homme,
victime de ses progrès techniques, a reçu une sinistre
confirmation dans les deux variantes, Est et Ouest, de
la « rationalité » occidentale.
L'une, celle de l'Ouest, a conduit à dix Hiroshima
dans la boucherie du Golfe.
L'autre, celle de l'Est, à l'implosion du système
soviétique, où l'on a cru qu'un essor illimité des sciences
et des techniques permettrait de « rattraper et de
dépasser » le capitalisme, s'intégrant ainsi au modèle
occidental de croissance, sans prendre conscience que
l'inégalité n'est pas une maladie du capitalisme mais
qu'elle fait partie de sa structure, car elle est la
condition même de la croissance.
Ce qui est fondamentalement en cause dans cette
conception de la « modernité », c'est le modèle de
rationalité occidentale.
Or, cette conception réductrice de la « raison », dont
Nietzsche avait souligné déjà qu'elle est « la marque
distinctive des Européens », est aujourd'hui mise en
cause par le développement même des sciences, qui fait
éclater les mythes du scientisme.

Roger Garaudy, Les fossoyeurs, Un nouvel appel aux vivants,
Editeur l’Archipel,  1992, pages 108 à 111