19 avril 2013

Représentation proportionnelle, mandat impératif, contrat de législature, démocratie directe, démocatie économique

   Dans un pays de vieille tradition parlementaire, comme la France, quel rôle [...] peut jouer le Parlement [...] ?


   Dès l'origine, le Parlement, instrument par lequel la bourgeoisie entend exprimer ses intérêts de classe face à la monarchie féodale, présente un double caractère:
   - il est un organe représentatif de la nation,
   - il est un organe de gouvernement de l'Etat bourgeois.
   En tant qu'organe représentatif, la tendance a toujours été de conserver à ce Parlement son caractère de classe par une série de lois électorales qui [...] ont toujours eu le même objectif: réduire au minimum la représentation des travailleurs.
   En tant qu'organe de gouvernement, la tendance constante de la bourgeoisie dominante a été d'utiliser le décor parlementaire pour camoufler la réalité de sa dictature de classe s'exerçant à travers l'appareil permanent de l'Etat.
   L'utilisation du Parlement comme l'un des instruments politiques permettant le passage au socialisme exige donc que l'on mette fin à l'utilisation de classe du Parlement par la bourgeoisie, c'est-à-dire que l'on fasse en sorte:
   - qu'il cesse dêtre faussement représentatif,
   - qu'il cesse d'être faussement le pouvoir.
   Le problème ne peut pas être résolu seulement au plan politique, car le jeu politique est fondamentalement faussé par l'influence politique exercée par les forces économiques.
   Néanmoins, un certain nombre de mesures politiques, institutionnelles, sont nécessaires pour que le Parlement ne donne pas une image déformée de l'opinion et pour qu'il ne soit pas une apparence de pouvoir.
   Du point de vue des institutions quatre mesures fondamentales seraient nécessaires pour réaliser un véritable régime représentatif: la représentation proportionnelle, le mandat impératif, le contrat de législature, la démocratie directe.
   La représentation proportionnelle est nécessaire pour que le Parlement et les diverses assemblées élues soient l'expression la plus exacte des grands courants d'opinion [...]
   Le mandat impératif est la deuxième garantie d'une démocratie loyale. L'on a souvent dégagé cette loi constante de la politique française traditionnelle: les électeurs envoient à la Chambre des députés une majorité de gauche, et à la fin de la législature un gouvernement de droite est au pouvoir. Ce jeu de bascule découle évidemment de l'organisation d'ensemble de l'économie et de l'appareil d'Etat dont l'influence sur le Parelement est infiniment plus puissante que celle des électeurs. Mais, avant d'aborder ce problème de la transformation des structures économiques et de la machine d'Etat correspondante, il est certaines dispositions institutionnelles qui doivent pouvoir assurer fidélité et stabilité de l'institution parlementaire. Jusqu'ici les élus demandent une véritable délégation de pouvoir "en blanc" sur un programme abstrait ou sur des options trés générales. L'une des institutions les plus propres à assainir les moeurs parlementaires serait le mandat impératif, exigeant de chaque candidat non des promesses floues et susceptibles d'interprétations multiples mais un catalogue précis de mesures législatives, définies dans la forme même où elles devront être votées, et un calendrier des réalisations afin que la fidèlité aux engagements pris puisse être jugée d'après un critère objectif et simple.
    Le contrat de législature , c'est-à-dire  un programme liant le gouvernement et la majorité sur les problèmes essentiels de la politique intérieure et extérieure pendant la durée de la législature, ne peut avoir sa pleine efficacité que comme corollaire du mandat impératif, car ainsi seulement le programme ne sera pas un compromis entre  des états-majors de partis, mais une émanation directe du corps électoral. La violation du contrat si elle est le fait du gouvernement implique sa censure et son remplacemejnt par une nouvelle équipe fidèle au contrat; si elle est le fait de la majorité, elle implique la dissolution et le retour devant les électeurs.
    La démocratie directe: Rousseau estimait qu' "à l'instant qu'un peuple se donne des représentants il n'estn plus libre", et, en même temps, qu'il n'est pas "désormais possible au souverain de conserver parmi nous l'exercice de ses droits si la cité n'est trés petite" (Du Contrat Social, Livre III, chap.XV, Editions Sociales, p.157). L'on ne pouvait en effet concevoir, de son temps, comment pouvait s'exercer une démocratie directe lorsque la totalité des citoyens (quelques milliers à peine dans l'Athènes classique) ne pouvait s'assembler sur une même place pour discuter des problèmes de l'Etat.
    Mais les conditions nouvelles de communication [...] permettent de surmonter cette contradiction. Il est devenu possible de s'adresser à des millions d'hommes à la fois, à tout un peuple. Dans le cadre du capitalisme [...], cette possibilité technique a été utilisée comme moyen d'une mise en condition de l'opinion publique pour instituer, pour maintenir ou pour renforcer le pouvoir personnel par une communication à sens unique: le chef de l'Etat, son gouvernement et ses porte-parole organisent un monologue apologétique, la nation entière jouant le rôle de récepteur passif. Le camouflage de l'opération est assuré par une diversion: le dialogue est autorisé, à dose homéopathique, en octroyant la parole quelques minutes, tous les quatre ou cinq ans, aux leaders de l'opposition.
    Il s'agit d'institutionnaliser le dialogue, et de le rendre permanent, en permettant à chaque grand courant d'opinion, sans discrimination ni exclusive, de s'exprimer à la radio et à la télévision sur chaque problème important de la politique intérieure ou extérieure, afin que chacun puisse juger contradictoirement de tout, non seulement pour critiquer l'action entreprise mais aussi pour s'y associer activement et coopérer personnellement à son succès.
    Bien entendu ces quatre premières mesures impliquent un profond changement constitutionnel et une restauration des libertés publiques tant en ce qui concerne les syndicats, que la presse ou les collectivités locales.

    Mais de telles dispositions politiques ne suffisent pas pour instituer une démocratie véritable, car elles ne touchent pas encore aux racines économiques de toutes les perversions de la démocratie.
  [...] La démocratie politique n'est pas suffisante pour assurer à chaque homme sa pleine initiative et son plein épanouissement. La démocratie est une création continue. Les communistes ne séparent pas la lutte pour la démocratie de la lutte pour le socialisme. Ils ne séparent pas la création des conditions de l'initiative politique de chaque citoyen de la création des conditions de l'initiative économique de chaque travailleur.
   Il ne saurait y avoir de démocratie véritable si la démocratie s'arrête à la porte de l'usine et si le citoyen, théoriquement souverain devant l'urne électorale, est tenu, dans son travail,  de se soumettre inconditionnellement à l'autocratie patronale.

Roger Garaudy, Pour un modèle français du socialisme, Gallimard, Collection "Idées actuelles", 1968, pages 323 à 328