12 avril 2013

Existe-t-il des alternatives démocratiques à la délégation de pouvoir ?




Démocratie, émancipation, leur redonner du sens !

« S’émanciper individuellement car personne (homme/femme providentiel/le, argent, dieu ou autre) ne nous émancipera à notre place. Et collectivement, car aucun être humain ne peut s’épanouir seul dans son « coin » tout en travaillant nos inévitables et nécessaires contradictions. »
C'est ce à quoi nous invite Claude Ramin !
Après, interrogeons-nous, il y a certainement beaucoup de questionnements pour inciter à la réflexion sinon à l'action...
Michel Peyret



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Existe-t-il des alternatives démocratiques à la délégation de pouvoir ?

La première interrogation qui me vient, n’est-ce pas un mot valise ? Ce serait opposer alternative à alternance ? N’est-ce pas la succession de deux positions dont une seule est vraie ? Et revendiquer une autre alternative ne revient qu’à remplacer la précédente, sans compter que rester dans le contre n’est jamais que l’autre face de la même pièce. On ne change pas de logiciel et à force de pédaler le nez dans le guidon on ne se pose même plus la question du pourquoi on pédale.

La deuxième interrogation c’est que l’alternative qui peut advenir n’est peut-être pas celle à laquelle nous pensons implicitement, et qu’inconsciemment nous projetons dans nos discours imprégné(e)s, que nous sommes par une culture de gauche. L’histoire aurait un sens, tout retour en arrière serait impossible, effet cliquet, et nous irions à marche forcée vers un avenir radieux porté par le progrès infini dans une société harmonieuse ? Or la fin ne justifiera jamais les moyens.

Aujourd’hui, comme hier, dans l’hexagone comme au niveau européen au moins, démocratiquement, si nous accordons encore un tel qualificatif au régime institutionnel en vigueur, l’alternative risque de virer au brun tant les idées de compétition et de haine de l’Autre se sont banalisées. Ces dernières années nous assistons à la victoire idéologique de ces idées funestes via l’alternance autour de TINA des années Reagan/Thatcher et la porosité des camps en présence dans une société éclatée.

La troisième interrogation porte sur les alternatives et leurs convergences à priori selon l’idée que « l’union fait la force », complétée implicitement là encore par « l’union est un combat ». Derrière quelle chapelle ? Selon quel schéma porteur d’une seule voie/voix ? L’union ne conduit-elle pas à l’uniformité/uniformisation de la pensée tout en restant dans une logique concurrentielle ? L’uniformisation de gauche répondrait ainsi à celle de la globalisation capitaliste ?

Faut-il à priori converger ?
Le premier pas n’est-il pas de (re) faire société à travers une démarche ascendante, horizontale et non violente. Le (re) étant pris dans le sens d’aller à la racine des choses parce que nous voulons changer de société, et non pas changer la société.

(Re) tisser les liens, à partir de ce qui affecte les gens au quotidien et aller à la rencontre de l’Autre, pas à pas, sur la durée et  faire vivre nos paroles.
Retrouver nos racines, les questionner, et sortir ainsi de l’ethnocentrisme occidental, parce que chaque être humain est égal à l’Autre, chaque culture est égale à l’autre. Chaque être humain et chaque culture apportent leurs richesses en partage pour faire vivre le métissage à travers leurs entrelacements, tels ces rhizomes qui font éclater la roche. Pour se fédérer ensuite en restant à la fois attaché(e) à notre propre singularité et ouvert à l’Autre, pour croître en humanité chemin faisant.

Remettre en question nos modes de vie et notamment « le bien-être occidental » par une désaccoutumance à la consommation et à la  croissance pour vivre une sobriété joyeuse et partagée en harmonie avec nos écosystèmes sur une planète aux ressources finies et en prenant soin du devenir des générations futures.
Seuls les liens libèrent les êtres humains alors que les biens aliènent.

Alternatives démocratiques à la délégation de pouvoir :
N’est-ce pas penser dans le cadre existant, sans se pauser pour prendre le temps du nécessaire questionnement ?
Vivons-nous aujourd’hui ici dans un régime démocratique, et là-bas ?

La démocratie se réduit-elle aux élections dont découle la délégation de pouvoir ? La démocratie est-elle seulement séquentielle ? Consiste-t-elle à  mettre ou ne pas mettre un bulletin dans l’urne tous les 5/6 ans ? Les majorités sont calculées en rapportant les suffrages obtenus par l’élu(e) aux suffrages exprimés, or si nous les rapportons aux inscrits nous nous situons autour de 25 à 30%, hors scrutin présidentiel.

Quelles sont les différentes légitimités à prendre en compte ? Nous soutenons que les gens classés sous les vocables «abstentions », «blancs et nuls» ; mais aussi les gens qui refusent de se prêter à ces joutes électorales, comme celles et ceux qui ne se réinscrivent plus sur les listes électorales suite à un changement de lieu de résidence, comme celles et ceux qui sont toujours privés du droit de vote malgré d’anciennes, et toutes nouvelles, promesses électorales sont aussi porteurs d’autres expressions, tout aussi légitimes.

Nous refusons d’être catalogué(e)s comme de doux rêveurs, voire plus souvent comme des inconscients ou des « je-m’en-foutistes ». Refuser aujourd’hui de se prêter à ce jeu de dupes est un geste éminemment politique car, en creux, il appelle à (re) construire, à partir de notre intelligence collective, d’autres formes d’organisations, d’autres règles pour (re)faire société.

Les représentant(e)s issues de ces élections se soucient-ils/elles de leurs mandants une fois élu(e) ou gèrent-ils/elles leur carrière professionnelle ? Cette professionnalisation de la vie politique, où la communication prend le pas sur les idées, est-elle compatible avec l’exercice de la démocratie ? Ne conduit-elle pas à un « entre gens » et au clientélisme par le cumul des mandats dans le temps et la fonction ? Fonction, augmentée, si on ose dire, par les différentes attributions octroyées de droit aux édiles dans différents organismes (exemple du maire qui est aussi président ou membre du conseil d’administration de l’hôpital). L’expérience des sortant(e)s devient un argument de la campagne électorale suivante et les médias dominants organisent la présélection des supposés prétendant(e)s crédibles via sondages et autres débats médiatiques.

Sans remonter aux calendes grecques, arrêtons-nous un instant à 2005 dans l’hexagone. Au cours de cette année là et avant le référendum portant sur le TCE (traité Constitutionnel Européen) la représentation nationale a voté une modification de la constitution la rendant conforme à ce traité. Pour la représentation nationale, et avec l’appui des médias dominants, il ne faisait aucun doute que ce traité serait adopté par le peuple, on connaît la suite. Précisons encore une chose à propos de ce référendum, celui-ci n’a été rendu possible que par le fait du président de la république d’alors, c’est-à-dire le fait du prince en quelque sorte !

Cependant ce que le peuple a chassé par la porte le 29 mai 2005, la représentation nationale réunie en congrès par un autre président a bafoué la décision populaire en faisant rentrer par la fenêtre le frère jumeau du TCE sous le nom de traité de Lisbonne.

Quel sens politique donner à cette représentation ? Si délégation de pouvoir avait un sens, et au-delà des positions défendues par les représentant(e)s politiques lors de la campagne électorale sur le TCE, la dite représentation se serait grandie en refusant le frère jumeau par simple respect du verdict populaire d’alors.

Combien de fois la constitution de la cinquième république a été modifiée via le congrès pour la rendre compatible avec les directives de l’Union Européenne ? Et dans le même temps les mêmes nous rabattent les oreilles sur le fait que la dite constitution est la table de la loi.

En Europe combien de fois des peuples ont été obligés de revoter jusqu’à ce que le verdict soit conforme aux vœux de la gouvernance globalisée ? Combien d’autres peuples ont été privés d’expression, les décisions étant prises par leurs représentant(e)s respectifs ?

Le prix Nobel de la paix attribué à l’UE et la cérémonie de remise du prix à l’aréopage qui se trouve en charge de la gouvernance est un pas supplémentaire dans le fait de mépriser les gens de peu d’ici et de là-bas, car l’UE c’est ce que l’on connaît en Europe et c’est aussi Ceuta et Melilla et la chasse sous nos fenêtres de différentes populations. Ce prix n’est pas le nôtre, c’est le prix de l’INDECENCE.

Pouvoir politique et son organisation ?

Ou plus sûrement pouvoir des milieux financiers et/ou économiques via les lobbies des transnationales qui ont bien plus de poids auprès des « responsables politiques » que l’expression des peuples. Qui a permis cette domination sans entrave de l’argent aux dépens du devenir des humains et de nos écosystèmes ? Qui a mis en place de telles super structures comme l’UE, le FMI, la BM, l’OMC,… via de lointaines délégations de pouvoir ? Que font aujourd’hui les pouvoirs politiques, mis à part s’autoproclamer décideurs pour masquer leur dépendance vis-à-vis de ce pouvoir occulte qu’ils ont mis en place, si ce n’est de faire appliquer la logique dictée par d’infimes minorités pour toujours accumuler plus, de rassurer les marchés et d’obéir aux notes d’officines privées.

D’ailleurs on ne parle plus de démocratie mais de gouvernance dans cette globalisation capitaliste.

Et comme cela ne va pas de soi pour les peuples, le pouvoir politique complète son œuvre, si on ose dire, par la mise en place de la répression, de la surveillance, par la violence.

Pour prendre un exemple actuel le président du changement et son premier ministre, ex-maire de Nantes, initiateur obstiné de l’aéroport de Notre-Dame des Landes, lancent les forces de l’ordre, comme ils disent, pour déloger, y compris en grimpant aux arbres, des gens qui non seulement s’opposent à ce projet irrationnel et coûteux mais défendent aussi un écosystème fragile et des terres agricoles. Non seulement on casse les habitations 48 heures avant que la loi interdise les expulsions et on saccage aussi les potagers. Quel mépris ! Quelle misère morale de la richesse et de leurs suppôts !

Violence encore lorsque des Etats s’octroient le droit d’exporter la démocratie à coups de B52 et autres drones ou « rafales »…

Autorisons-nous aujourd’hui à questionner le rôle des partis politiques dans l’organisation du pouvoir politique.

N’est-ce pas autour d’eux que s’organise la vie institutionnelle politique ? Leur fonctionnement n’est-il pas de type pyramidal ? Toute structure/organisation n’a-t-elle pas sa propre logique interne qui est de croître ? Cette logique ne prend-elle pas rapidement le pas sur l’intérêt général dans cette vie politique professionnalisée ? Combien de militant(e)s participent réellement à la vie de leur organisation ? Quelle est la représentativité des partis politiques par rapport à l’ensemble des contemporains qui, bons enfants, participent à leur fonctionnement via les subventions distribuées par l’Etat au prorata du nombre de suffrages obtenus lors d’élections ?

En externe ce type de fonctionnement ne se traduit-il pas par une démarche descendante selon un schéma pré établi que les militant(e)s vont décliner pour apporter la « bonne parole » et convaincre celles/ceux qui sont supposés ne pas savoir ? Et cela, en dehors des qualités humaines des militant(e)s. Et en dehors du « tous pourris » ou autre complot.

Et en même temps interrogeons-nous sur l’autre versant, celui des gens de peu, qui laissent faire, n’est-ce pas alors s’en remettre à l’homme/femme providentiel/le, et/ou au représentant(e) ? 

Cette organisation pyramidale s’étend aussi à d’autres structures syndicales, voire associatives. Chaque organisation, au nom de l’expertise dans son domaine, participe à reproduire le modèle de cette a-société où l’on vit séparé et non ensemble.

Autorisons-nous à questionner le mode de financement de différentes associations notamment via les subventions octroyées par les collectivités territoriales ?

Qu’en est-il du lien de dépendance qui peut se créer, même inconsciemment (don et contre don), lors de l’attribution de telles subventions ? Quel est l’impact sur la pérennité de la structure ? Sur leurs objectifs ? Et pour le donateur quel bénéfice peut-il en tirer ? Cela ne participe-t-il pas aussi du clientélisme ?

Ne pourrions-nous pas porter le débat sur la place publique en d’autres termes : D’où vient l’argent permettant l’octroi des subventions ? Cet argent n’est-il pas notre bien commun et nulle oligarchie même locale ne peut le confisquer et l’attribuer en fonction du degré de soumission de la structure.


Autorisons-nous encore à questionner le fonctionnement des coopératives actuelles ? Combien de coopérateurs participent réellement aux décisions quant à leur fonctionnement, et/ou aux décisions concernant les investissements ?

Aujourd’hui le mot démocratie se confond avec ce seul modèle qui s’est/a été imposé aux peuples de la planète. Ce modèle n’est même plus discuté/disputé. Or d’autres modes d’organisation de la vie politique ont existé, notamment le tirage au sort pour le dire vite.

Au nom de quoi ne serions-nous pas capables d’inventer, de créer et de soumettre à expérimentation ?

Prenons le mouvement des peuples qui ont fait le printemps arabe, avons-nous suffisamment mesuré à travers nos standards du monde occidental le courage de ces gens de peu qui ont vaincus leurs peurs et ont osé affronter le tyran en Tunisie et en Egypte notamment ? Et combien ce mouvement porté par les gens ordinaires pour regagner leur dignité a été confisqué/détourné via les élections organisées par d’autres qu’eux.

A tel point, que restant à la surface des choses, certain(e)s commentateurs parlent aujourd’hui d’automne voire d’hiver, pour eux la révolution a échoué, la page est déjà tournée et on passe à autre chose.

Comme s’il suffisait de tourner dans l’instant une page en suivant les canons de ce monde occidental et/ou abattre un mur pour reprendre l’autre schéma relatif au grand soir.

Et si la page ouverte par les gens de peu notamment en Tunisie, en Egypte, et ailleurs, restait à écrire au jour le jour, débarrassée de l’instantanéité qui sied si bien à cette modernité et/ou aux promesses des lendemains radieux dans l’autre version ? La dignité retrouvée, la peur vaincue, et même s’ils ne peuvent pas suivre le calendrier fixé par d’autres qu’eux, le mouvement ne s’arrêtera pas, avec des avancées et des reculs, des erreurs aussi, dont nous apprendrons tous, là-bas et ici. Entendons à nouveau la pensée de G.Deleuze : « c’est aux devenirs révolutionnaires qu’il faudrait croire plutôt qu’à l’avenir des révolutions ».

Ce mouvement de mouvements dont la philosophie est partagée par le mouvement « Democratia Real Ya » du 15 mai (15M) en Espagne, dans les mobilisations en Grèce, Portugal et ailleurs en dehors des « sunlights », en passant par « Occupy Wall Street », lie/relie les gens de peu. Où partout dans le monde les peuples tentent de se frayer un chemin au quotidien pour (re) donner sens au mot démocratie car elle est/reste partout en danger.
Cela prend/prendra du temps, voilà un facteur essentiel pour le plein exercice de notre puissance d’agir.

Autorisons-nous à mettre en tension « pouvoir : qui n’est que faire faire » et « puissance d’agir qui est : penser/faire par nous-mêmes » Certain(e)s se sentent obligé(e)s d’ajouter « réelle et maintenant » au mot démocratie tant elle a été, et est, bafouée, ici et là-bas.

Etablir une nouvelle constitution ? Et quid du pouvoir ?
Constitution établie par qui ? Par une constituante élue selon les mêmes critères qu’actuellement ? Par tirage au sort ? Pour partie ? En totalité ? Ratifiée ensuite par le peuple ?

En Islande une constitution a été rédigée par une assemblée tirée au sort au sein de la population parmi des gens volontaires, cela a pris plus de deux ans. Six propositions ont été extraites de ce projet par le gouvernement, puis soumises à référendum. Elles ont été adoptées par les deux tiers de la moitié des électeurs avec cependant une moindre participation à ce vote par rapport aux référendums précédents lorsque les citoyens avaient refusé d’avaliser les indemnisations négociées par leur gouvernement en faveur des créanciers étrangers.

Or cette décision populaire reste encore subordonnée à l’appréciation du parlement pourtant désavoués à deux reprises lors des négociations avec le FMI et l’UE ?

Au Venezuela où figure pourtant dans la constitution un début de démarche ascendante, via la mise en place de conseils communaux qui vient « côtoyer » la démarche descendante classique, ne va pas de soi. Parce que d’une part cette démarche reste soumise au bon vouloir du président, via ses représentant(e)s, président certes élu démocratiquement selon les standards en vigueur. Et d’autre part on assiste à un manque de participation des gens de peu aux assemblées et ainsi le processus semble s’étioler sur la durée, du moins jusque là.

Cette démarche de mise en tension de deux légitimités est pourtant porteuse de sens, elle doit nous interroger quant à la difficulté à mettre en mouvement les gens ordinaires à travers une démarche qui porte pourtant sur l’organisation de leur quotidien. Difficultés que nous constatons tout autant ici.

Ainsi, ici aussi, interrogeons-nous sur le fait qu’aussi belle soit-elle la nouvelle constitution promise, comme les différents textes qui définissent les libertés fondamentales et les droits fondamentaux sur le papier, changera-t-elle, changeront-ils, réellement l’exercice du pouvoir et l’effectivité des droits ?
Le pouvoir est-il resté longtemps aux mains des soviets ? Quatre ans après (1921) la révolte des marins de Cronstadt a été écrasée dans le sang. 

Aujourd’hui encore certain(e)s misent sur le rôle des minorités agissantes, des masses critiques; ne se referment-elles pas dans une nasse critique ?

En d’autres termes, et en dehors des qualités et de la sincérité des personnes, « prenons-nous le pouvoir ou est-ce le pouvoir qui nous prend ? »

Travaillons à sortir de ce « nous » et « eux », sortir de ce « nous » et « vous » pour (re)construire le nous, où chacun(e) a sa place et apporte selon ses possibilités. Et où, bien que différents, nous sommes en même temps égaux.

Et si, plus sûrement, rien n’était durablement inscrit/acquis ? Et si sans irruption des gens de peu au quotidien toute prise de pouvoir était illusoire et dangereuse ?

Et s’il fallait sortir de la centralité du travail, autre asservissement au/du pouvoir, pour retrouver le sens de l’œuvre ?

Explorer ainsi la piste du Revenu Inconditionnel d’Existence pour libérer du temps, et prendre le temps de la délibération collective pour (re) donner sens à nos existences, singulières et collectives ?

Entendons Jacques Rancière à propos de la démocratie : Elle n’est fondée dans aucune nature des choses et garantie par aucune forme institutionnelle. Elle n’est portée par aucune nécessité historique et n’en porte aucune. Elle n’est confiée qu’à la constance de ses propres actes. La chose à de quoi susciter la peur donc de la haine, chez ceux qui sont habitués à exercer le magistère de la pensée. Mais chez ceux qui savent partager avec n’importe qui le pouvoir égal de l’intelligence, elle peut susciter à l’inverse du courage, donc de la joie. (Dans « La haine de la démocratie », p.106).

Lorsque la loi devient trop injuste, et est source de violences, devons-nous participer davantage à notre propre asservissement ?

Pour retrouver notre dignité ne devons-nous pas sortir des cases que d’autres nous ont assignées ? Et nous infiltrer de façon non violente dans chaque espace de liberté qui nous reste.

Face à la brutalité et au langage guerrier employé depuis des lustres par chaque camp, nous refusons la violence, celle exercée par le marché, comme celle de la majorité, versus la dictature du prolétariat. On ne change pas de société en empruntant les méthodes de celle qui ne veut pas mourir, et parce que la violence appelle la violence. Entendons Albert Einstein : « Un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu'il a été créé ».

Aujourd’hui nous voulons (re) chercher, chacun(e) et ensemble, notre part de féminité, de sensibilité, et de doutes.

Ne devons-nous pas vaincre nos peurs, ici aussi, reprendre confiance en nos capacités et libérer ainsi nos potentialités individuellement et collectivement, (re) faire l’école et l’école buissonnière et retrouver notre esprit critique.

C’est-à-dire, faire dès maintenant un pas sur le côté pour faire « autre chose et autrement » et ne plus faire à l’identique, ni contre. Et faire des allers/retours entre cette société éclatée, violente et triste et «les en dehors».

Travailler au quotidien ces «en dehors», sur la durée, pour (re) donner sens à nos existences et (re) construire une société décente.

Entendons le manifeste des neufs intellectuels antillais (dont l’un d’entre eux nous a quitté depuis) publié en  février 2009, au moment des mouvements des peuples aux Antilles : « Dès lors, derrière le prosaïque du "pouvoir d'achat" ou du "panier de la ménagère", se profile l'essentiel qui nous manque et qui donne du sens à l'existence, à savoir : le poétique ».

C’est faire/penser de façon horizontale, sans chef, ni porte parole et nous débarrasser de tous les oripeaux liés au pouvoir parce que le pouvoir n’est jamais que la dictature d’une minorité sur d’autres minorités.

C’est établir de nouvelles règles pour nous organiser. Nous disons «auto organisation» et non pas «auto gestion» car dans cette dernière expression c’est une fois de plus l’économique qui prime alors que nous voulons selon la formule de (K.Polanyi), ré encastrer l’économie dans le Politique.

Il n’y a pas un seul type d’organisation (pyramidal) mais probablement autant de façon de s’organiser que d’actions à construire avec les gens de peu, c’est-à-dire nous (« sans guillemets »).

Lorsque nous nous associons et/ou lorsque nous créons une coopérative d’entraide par exemple, nul besoin de faire des copié/collé de statuts qui vont institutionnaliser la structure et pervertir ce pour quoi elle a été construite.

Notre contrat sera fondé sur la confiance que nous avons les uns envers les autres, entre nous et autour de nous, parce que notre façon de nous organiser montre le chemin que nous voulons explorer, expérimenter et de nos erreurs nous apprendrons ici, comme des façons de faire de là-bas. Entendons Gandhi « la fin est dans les moyens comme l’arbre est dans la graine ».

C’est faire par nous-mêmes, en réinterrogeant nos «savoir faire» et nos «savoir être» et parce que nous ne pouvons pas tout savoir nous ferons appel à des experts, que nous choisirons, capables d’exprimer des points de vues différents/divergents, pour les mettre en tension, et nous soumettrons nos prises de décisions à expérimentation.

C’est se (re) mettre en marche de « communes » en « communes », parce que nous voulons mettre en partage nos expérimentations et nous enrichir des expériences des Autres ; et non pas nous replier sur nous-mêmes, ni vivre en autarcie.

A l’objection, justifiée, en partie, qui est celle de «l’échelle», en quoi aujourd’hui la prétendue représentation élective apporte-t-elle un levier pour travailler la démocratie ?

C’est aussi tout autant se réapproprier le temps, et prendre le temps, c’est faire l’éloge de la lenteur parce que nous voulons ré enchanter nos vies. Parce que nous aimons la vie, nous voulons rêver, créer.

C’est (ré) apprendre à mettre en tension, et non dépasser systématiquement, deux positions contradictoires à partir d’un principe d’égalité où « ce n’est pas ma solution, ce n’est peut-être pas davantage la tienne ». Nous pouvons parfois dépasser les contradictions et parfois nous continuerons dans ce que P-J Proudhon appelle l’équilibration des contraires dans une dynamique infinie des contradictions sans prétendre abolir les contradictions dans une société meilleure.

Ainsi n’est-ce pas redonner sens au mot démocratie, et à celui d’émancipation ?

S’émanciper, entendons encore Gandhi : « Sois le changement que tu voudrais voir advenir », et non émanciper.
S’émanciper individuellement car personne (homme/femme providentiel/le, argent, dieu ou autre) ne nous émancipera à notre place. Et collectivement, car aucun être humain ne peut s’épanouir seul dans son « coin » tout en travaillant nos inévitables et nécessaires contradictions.

 Claude Ramin