30 août 2012

La voix qui chantait seule sur la colline...

«La voix qui chantait seule sur la colline  réveille des rumeurs dans l’ombre des vallons…»
                                                   Roger Garaudy

Roger Garaudy est mort le 13 juin chez lui dans la banlieue parisienne. La faucheuse l’avait déjà provoqué en 2001, lorsqu’il a été foudroyé par une double hémorragie cérébrale le jour même où il devait inaugurer la médiathèque moderne de sa Fondation pour le dialogue des cultures à Cordoue en Espagne. Tandis que sa famille le rapatriait en France dans un état critique, il apprenait les attentats qui venaient de se produire aux USA le 11 septembre, et il en tirait le titre de son dernier livre qui était prêt, Le terrorisme occidental. Philosophe reconnu, Garaudy, qui voulait être prêtre, a eu un parcours atypique. De son enfance chrétienne, il gardera des valeurs-clefs, influant sur sa trajectoire qui bifurquera sur le communisme dont il sera l’un des porte-voix attitrés. Ses livres sont appréciés. Garaudy passera de la philosophie de la misère à la misère de la philosophie, en mettant en doute bien des certitudes. Il entame une troisième vie en embrassant la religion musulmane.
Les tenants des thèses sionistes peuvent désormais dormir sur leurs deux oreilles. Leur pourfendeur acharné le plus en vue est désormais dans l’autre monde. Garaudy aura été sans doute un homme complexe, dont le parcours sinueux a désarçonné plus d’un même parmi ses plus fidèles amis.  D’ailleurs, pouvait-il en être autrement pour celui qui a déclaré que sa vie est faite de ruptures et qu’il n’en regrette aucune, car, précise-il, «aucune ne fut un reniement de ce qui la précédait, mais le dépassement d’une limite.» Parce qu’il a tenu un discours autre que celui qu’ils avaient l’habitude d’entendre, les défendeurs du sionisme politique l’ont voué aux gémonies, lynché médiatiquement et menacé  même dans son intégrité  physique. Peu de voix à l’époque se sont fait audibles pour venir à sa rescousse.
L’Abbé Pierre, qui a volé au secours de son ami et dénoncé le «lobby sioniste international» sur les plateaux de télévision français, en a eu pour son compte. Avant d’être évincé médiatiquement, il a été invité à se rétracter publiquement pitoyablement, la gorge nouée, les yeux embués.

Comment a-t-il pu oser ?
«J’imagine les insoutenables pressions dont il a été l’objet. Je comprends sa position face à l’armada médiatique qui est indigne de cette humiliation en direct. Mais l’Abbé Pierre restera mon ami pour l’éternité. D’ailleurs, on ne cesse de se rencontrer», déclarait Roger il y a quelques années…
La presse française s’est particulièrement déchaînée contre Garaudy qui a démonté «les mécanismes des mythes fondateurs de la politique israélienne», un livre de 260 pages, considéré comme un «brûlot», qualifié d’œuvre de Satan ou de Hitler.
Même l’humanité, le journal de référence de sa jeunesse, n’y est pas allé avec le dos de la cuillère en se réjouissant que la loi Gayssot, votée à l’époque, ait pu faire taire un homme dont pourtant l’humanisme a marqué une époque. Dans les médias, l’antisémitisme et le négationnisme sont brandis pour débusquer cet empêcheur de penser en rond.
Alors, Garaudy, qui n’a jamais considéré la philosophie, l’histoire ou la théologie comme une carrière libérale mais un combat pour l’homme contre tous les intégrismes, rappelle qu’il «a défendu Marx contre une Union soviétique et un parti qui le fossilisaient et l’excluaient en 1970, qu’il a défendu Jésus contre toute théologie de la domination, qu’il a défendu l’Islam contre l’islamisme et la trahison des princes et, enfin, les grands prophètes juifs contre le sionisme tribal».
C’est surtout son dernier livre qui a suscité la réprobation de ses contempteurs. Il y dénonce l’hérésie du sionisme politique, qui consiste à substituer à Dieu et Israël l’Etat d’Israël, «porte-avions nucléaire et insubmersible des provisoires maîtres du monde ; les Etats-Unis qui entendent s’approprier les pétroles du Moyen-Orient».
Garaudy y évoque «une mythologie plus moderne, celle de l’Etat d’Israël qui serait la réponse de Dieu à l’Holocauste», comme si Israël était le seul refuge des victimes de la barbarie de Hitler, alors qu’Yitzhak Shamir lui-même, qui offrait son alliance à Hitler jusqu’à son arrestation par les Anglais, pour collaboration avec l’ennemi et terrorisme écrit : «Contrairement à l’opinion connue, la plupart des immigrants israéliens n’étaient pas les restes survivants de l’Holocauste, mais des juifs des pays arabes, indigènes à la région (Yitzhak Shamir, Looking  back, looking ahead 1987 p. 574.) Il fallait faire croire avec le  mythe des six millions que «l’humanité avait assisté là au plus grand génocide de l’histoire» en oubliant 60 millions d’Indiens d’Amérique, 100 millions de Noirs, oubliant même Hiroshima et Nagazaki et les 50 millions de morts de cette Deuxième Guerre mondiale, dont 17 millions de Slaves, comme si l’hitlérisme n’avait été qu’un vaste pogrom et non un crime contre l’humanité entière. Serait-on antisémite pour dire que les juifs ont été très durement frappés, mais qu’ils ne furent pas les seuls sous prétexte que la télévision ne parle que de ces victimes mais pas des autres.
L’itinéraire communiste de Garaudy ne le préparait guère à devenir le chef de file d’une dissidence humaniste. Il était entré au parti comme on entre en religion. Sa jeunesse a été marquée par la quête religieuse. Jeune catholique, il rêvait de devenir prêtre avant de se convertir au protestanisme, à l’âge de 14 ans et d’adhérer au PCF à vingt ans. Jeune professeur de philo, repéré par Maurice Thorez en 1937, il voit sa foi vaciller en 1939 lors de la signature du pacte germano-soviétique. Mais il est mobilisé et retrouve le parti à son retour du front. Arrêté en 1940 pour propagande communiste, il est déporté en Algérie. Libéré en 1943 après le débarquement allié d’Afrique du Nord, il est réintégré comme professeur de philo et prend la responsabilité des publications du PCF en Algérie. De retour en métropole en 1945, il enseigne le marxisme stalinien et grimpe les échelons de la hiérarchie du parti. «Au début des années 1950, il venait donner des conférences à la salle Pierre Bordes sur la philosophie mais aussi sur les peuples opprimés dont le salut réside, selon lui, dans les luttes discontinues», se souvient Zahir Ihadaden alors étudiant en lettre.

Itinéraire déroutant
Il fut un universitaire apprécié. Professeur titulaire à Poitiers de 1969 à 1973, il enseignait notamment la philo : «Il donnait des cours d’esthétique, sur la danse et les arts premiers, se souvient l’un de ses anciens étudiants. A l’époque, ses cours affichaient complet. Il faisait le show, c’était brillant.» C’est à Poitiers que Roger Garaudy apprit, en mai 1970, son éviction du Parti communiste après avoir dénoncé la normalisation en Tchécoslovaquie et qualifié son premier secrétaire, Georges Marchais,  de fossoyeur du PC. Il avait déjà enseigné la philosophie en 1958 au lycée Bugeaud d’Alger. Arrêté pour faits de résistance, Garaudy a été déporté en Algérie en 1940.
«On nous a envoyés à Djelfa, la porte du désert. Quelques jours après notre arrivée, nous apprenons que nous allons changer de camp, remplacés par des brigades internationales. On a vu arriver des brigades, ils ont donné le signal, et tous les copains se sont mis à chanter : ‘‘Allons au-devant de la vie’’. Le colonel est rentré dans une fureur terrible. Il appelle des soldats du Sud, des combattants algériens à qui on donne l’ordre de nous fusiller, le peloton s’installe, et le colonel hurle : ‘‘Arme au  pied, épaulez, visez, feu’’ ! Mais ils n’ont pas tiré. C’était merveilleux ! Ils n’avaient aucune raison de nous aimer. Mais il est contraire à l’honneur d’un guerrier du Sud que quelqu’un qui est armé tire sur un homme désarmé. Ainsi les communistes furent sauvés par des Algériens !»
Roger Garaudy racontait qu’il avait par la suite revu l’un de ces trois hommes simplement purs qui lui avaient sauvé la vie. Exactement comme eux, Roger voua sa vie au salut in extremis d’inconnus, de ses concitoyens surtout en danger de mort spirituelle. «L’honneur d’un guerrier du Sud c’est la plus belle figure que je puisse trouver de l’Islam. Peut-être que ma venue à l’Islam était due à cette expérience», avait-il confié à la fin de sa vie. A la suite de cet événement, il rencontre en 1944, à Aflou, Cheikh Bachir El Ibrahimi alors l’un des chefs de file des oulémas.
C’est à  Genève qu’il rencontre, à l’occasion d’une conférence qui se tient au début des années 1980, Salma El Farouki, avec laquelle il se marie après s’être converti à l’Islam en prenant le prénom de Raja. L’imam qui officiait la cérémonie n’était autre que l’Algérien Mahmoud Bouzouzou, également membre de la fondation Cordoue. Déroutant, il surprendra même Jean Daniel, directeur du Nouvel Observateur qui, en 1983, avait claqué la porte de la salle Atlas parce qu’il n’avait pas apprécié les «outrances» de Garaudy qui y tenait une conférence en s’en prenant vigoureusement à la politique ségréganniste d’Israël. Parmi les nombreux questionnements de Garaudy, nous avons tiré celui-ci.

«Comment j’ai embrassé l’Islam ?»
«Pour choisir une fois encore son camp, contre l’idéologie dominante des dominés, j’ai choisi l’Islam, idéologie dominante des dominés non pour en partager les nostalgies du passé où l’imitation de l’Occident, mais pour prendre parti à l’exemple des théologies de la libération. Elles sont nées en  Amérique latine, en Afrique, en Asie, là où les multitudes meurent de leur misère, au rythme d’un Hiroshima, tous les deux jours, parce que le modèle de croissance de l’Occident ne cesse d’aggraver leur sous-développement, corollaire de leur dépendance.»
A un moment où l’existence de l’Islam et surtout ses perversions occupent une grande place dans la vie politique et son orchestration médiatique, il s’agit de fournir des repères à la pensée, pour porter un jugement serein sur les raisons qui firent la grandeur de l’Islam, puis sa décadence dans le passé et ses ambiguïtés dans le présent. Une religion qui représente sociologiquement le 1/5 de l’humanité. «Le problème de l’avenir de l’Islam se pose en termes très simples et très clairs : ou bien il entrera dans l’avenir à reculons, les yeux fixés sur le passé, rabâchant des commentaires et des commentaires de commentaires sur les problèmes juridiques qui se posaient au temps des Omeyades et des Abbassides, ou bien il se montrera capable de résoudre le problème d’un nouveau modèle de croissance et il reprendra son vol victorieux comme au temps où il résolvait au Ier siècle de l’Hégire les problèmes posés par la décadence des deux empires de Byzance et de Perse.»
Rien n’est plus contraire à la vision dynamique du monde, celle du Coran, que de croire avec suffisance que tous les problèmes du présent et de l’avenir ont été résolus et qu’il suffit de savoir par cœur les formules du passé pour avoir réponse à tout. Roger sera un habitué des séminaires sur la pensée islamique organisés en Algérie dans les années 1980. Roger avait cogité sur l’au-delà.
Dans son essai consacré à la pédagogie de la mort, il écrit : «Ma propre mort, c’est peut-être le rappel essentiel que mon projet n’est pas un projet individuel. C’est ainsi que la mort donne à la vie son sens le plus haut : elle exige que nous fassions des choix qui transcendent la vie, des choix qui témoignent que tel ou tel projet nous paraît préférable à la vie elle-même.»

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