24 juillet 2011

Interview de Roger Garaudy à la revue "L'autre histoire"

Texte de l'interview de Roger Garaudy, dans la revue l'Autre histoire, après la publication des "Mythes fondateurs de la politique israélienne"(1995).

Question : Monsieur Garaudy, pouvez-vous présenter en quelques mots votre itinéraire philosophique ?
A l'origine, je suis un philosophe. J'ai toujours voulu donner un sens à la vie de l'homme. Tout au long de ma carrière, j'ai suivi un principe simple, combattre 2000 ans de philosophie de l'être au profit d'une philosophie de l'action dont j'ai puisé les éléments fondateurs chez Fichte, Hegel et, surtout, Marx. Toutefois, j'ai également ressenti très vite qu'il manquait une dimension à cette philosophie, celle de la transcendance. J'étais convaincu qu'une philosophie de l'acte avait davantage de besoin de transcendance que de déterminisme.
Le fait que le déterminisme soit un conservatisme a, par exemple, été bien compris par un homme aussi éloigné de moi que Maurras.
Voilà pourquoi j'ai, dès 1933, été passionné par l'idée de la transcendance et que j'ai pensé l'homme dans toutes ses dimensions.
Une des clefs de la transcendance était à mes yeux la personnalité de Jésus (mais non pas telle qu'elle nous est rapportée par saint Paul).
Jésus rompait avec la notion de Dieu hérité de la Thora, ce Dieu vengeur, ordonnateur de sacrifices et imposant sa volonté du haut vers le bas comme un moloch.
Jésus inaugurait à mes yeux une nouvelle transcendance, celle des humbles, celle qui va du bas vers le haut. Cette transcendance ennoblissait l'homme, ne l'écrasait pas.
Ayant aussi au coeur de ma pensée la volonté marxiste de transformer le monde et non pas celle de me limiter à l'interpréter, j'ai été porté à m'intéresser à l'islam. Mahomet nous enseigne que Dieu n'a pas créé le monde une fois pour toutes. Le Quran nous dit que l'homme est son khalife. J'avais compris cet aspect des choses dès 1948 lorsque j'ai publié le roman "Le 8e Jour de la création".
Voilà, résumées en peu de mots mes idées philosophiques de base.

Q : Comment avez fait votre entrée dans le Parti communiste ?
Après la Seconde Guerre mondiale, le parti communiste semblait être le seul acteur réel de transformation de la société française et du monde. Après les horreurs des années quarante, il apportait un véritable espoir de changement. Mes convictions philosophiques et ma volonté personnelle de contribuer à l'unification du monde m'y conduisaient donc très naturellement.
Toutefois, mon premier engagement, je ne l'ai pas vécu au sein du communisme, mais dans la foi. Au grand étonnement de mon père qui était libre-penseur, j'avais rejoint auparavant le protestantisme qui me permettait de mieux vivre mon exigence religieuse.
J'ai pris ma carte au parti communiste alors que j'avais des responsabilités au sein du mouvement des étudiants protestants. Le parti n'a fait aucune difficulté à mon adhésion, bien au contraire.
En revanche, mes amis protestants m'ont demandé de choisir entre mes convictions religieuses et politiques.
Au sein du parti j'ai conservé l'intérêt que je portait aux religions et à la dimension spirituelle de l'homme. En 1958 j'ai animé des dialogues avec des chrétiens. J'ai même publié dans les "Cahiers du communisme" un article très favorable aux interrogations de l'église catholique au moment du concile Vatican II.
Évidemment, mes orientations ne plaisaient pas à tous les communistes. Mais je n'étais pas pour autant isolé. Avec les camarades qui partageaient mes convictions, Lombardo Radice du parti communiste italien et Manuel Ascarate du parti communiste espagnol, nous étions surnommés les trois mousquetaires.
Face à nous, nous pouvions compter sur des théologiens d'une grande valeur comme Chenu, Rahner, J. Moldeman, le père Cafarena, A. Bolardo avec qui nous avons défriché des chemins permettant une fécondation réciproque.

Q : Comment s'est faite votre évolution vers l'islam ?
L'islam, dans le Quran, n'est pas une religion nouvelle mais le rappel de la religion fondamentale et première depuis que Dieu a insufflé son esprit dans le premier homme.
Cette religion des origines a été interprétée différemment selon les lieux et selon les cultures. On ne peut pas enserrer Dieu d'une seule perspective. Ce n'est pas de l'éclectisme mais l'acceptation de sa transcendance.
Je ne nie pas les différences qui existent entre le christianisme et l'islam, notamment sur le plan de la pratique religieuse, mais j'affirme que l'on peut se dire chrétien et musulman car mon but est de faire comprendre au plus grand nombre qu'il n'existe qu'une seule foi.

Q : Vous affirmez que l'on peut se dire chrétien musulman. Le cardinal de Paris affirme quant à lui que l'on peut se dire juif et chrétien. Peut-on alors se dire juif et musulman ?
Le cardinal Luztiger affecte d'oublier qu'il existe une rupture fondamentale, essentielle, entre le Dieu de la Thora et le Dieu de Jésus. Cette rupture n'existe pas entre le christianisme et l'islam qui ne comporte pas l'idée de « peuple élu ».
Le cardinal s'abuse lui-même lorsqu'il prétend que l'on peut être à la fois juif et chrétien. A moins qu'il ne veuille abuser les autres.

Q : Comment voyez-vous la continuité entre le christianisme et l'islam ?
Les grands soufis musulmans affirment qu'un chrétien qui devient musulman ne change pas de religion. Pour Ibn Arabi, Jésus est le sceau de la sainteté.
Il serait naïf d'ignorer les différences entre les deux religions, mais ce qui est commun aux deux religions est plus important que ce qui les sépare.
L'islam n'est pas plus la propriété des Arabes que le christianisme n'est l'apanage des Européens.

Q : Comment vivez-vous votre islam ?
Vivre l'islam, c'est vouloir être un avec le tout. J'utilise à dessein cette phrase car elle a été écrite par un taoïste. Rien de mieux pourtant pour définir mon vécu islamique !
Élargissons la perspective et abordons la chari'a (telle qu'elle est définie dans le Quran dans la sourate 42, verset 13, et qui la considère commune à toutes les religions). Le livre saint nous demande d'agir selon les trois principes suivants :
- « Dieu seul possède ». Selon le Quran, la notion de propriété absolue n'existe pas (contrairement au droit romain). On n'est que le gérant des biens que vous confie Dieu. Par exemple, un paysan qui ne cultive pas sa terre peut en être dépossédé pour qu'elle soit confiée à un cultivateur qui la travaille.
- « Dieu seul commande ». Il ne s'agit pas bien sûr d'une affirmation théocratique, mais bien au contraire l'affirmation que nul ne peut parler au nom de Dieu et nul ne peut commander les hommes en son nom.
- « Dieu seul sait ». Ce principe rend possible toute discussion et tout révisionnisme, car si seul Dieu sait, les hommes peuvent se tromper et nul ne peut affirmer posséder la vérité.
Etre musulman c'est agir en respectant ces trois principes, car c'est agir humainement. Tout le reste dépend du contexte culturel.

Q : Comment s'est faite votre rupture avec le parti communiste ?
Ma rupture remonte à 1968. Dans ce phénomène social, il fallait voir plus loin que l'anarchie apparente.
Pour moi ce mouvement exprimait le sentiment que le système était plus dangereux par ses succès que par ses échecs. En fait, ils remettaient en cause le principe même de cette société. Malheureusement, le parti communiste n'a pas compris la signification du phénomène qui se déroulait sous ses yeux. J'ai eu l'occasion de dire à Georges Marchais : « Tu seras le fossoyeur du parti ». Ma prédiction s'est réalisée, le parti est tombé sur les bas côtés de l'histoire car il n'a pas été capable de voir et de comprendre ce qui se passait sous ses yeux. 

Q : Vous avez donc quitté le parti ?
Je n'ai pas quitté le parti, c'est le parti qui m'a exclu en 1970 lorsque j'ai dit : « l'Union soviétique n'est pas un pays socialiste ».

Q : A quelle occasion avez-vous prononcé ces paroles ?
 Au moment de l'invasion de la Tchécoslovaquie.

Q : Qu'avez-vous fait après votre exclusion du parti ?
Ce fut un des moments les plus pénibles de mon existence. J'ai même songé au suicide. J'ai renoué avec mes activités de professeur et j'ai repris mes recherches en faveur d'une alternative. En 1974 j'ai créé un Institut international pour le dialogue des cultures car j'avais conscience que notre grande erreur était d'être restés des occidentaux. Nous devions nous ouvrir au monde et aux autres grandes cultures, l'islam, l'hindouisme, la Chine.
C'est en ayant pour objectif cette ambition d'unifier spirituellement le monde que j'ai entrepris de m'attaquer aux intégrismes.
Dans mon livre "Avons-nous besoin de Dieu ?", j'ai critiqué l'intégrisme catholique romain en écrivant notamment que Jésus, à la différence de saint Paul, ne peut fonder des théologies de la domination.
Ensuite, j'ai publié "Grandeur et décadences de l'islam", où je dénonce « l'islamisme », maladie de l'Islam.
Enfin, dans mon dernier ouvrage, "Les Mythes fondateurs de la politique israélienne", j'analyse l'hérésie sioniste qui remplace le Dieu d'Israël par l'état d'Israël.

Q : Quelles furent les réactions soulevées par ces livres.
Pour les deux premiers les réactions normales que suscite toute polémique. Ce qui est en soi normal et fécond. Mon livre sur l'islam a trouvé un accueil enthousiaste parmi le peuple, j'ai reçu l'appui des intellectuels et j'ai déclenché la colère des dirigeants.

Q : Quelle a été la genèse du livre "Les Mythes fondateurs de la politique israélienne" ?
Ma démarche est avant tout politique. Je ne m'intéresse pas aux points de détail de l'histoire. Je considère que le meurtre de juifs durant la Seconde Guerre mondiale est un fait.
Je m'intéresse en revanche bien plus au rôle d'Israël en tant que « bastion avancé de l'Occident contre la barbarie » ainsi que le voulait Herzl, le fondateur du sionisme. Aujourd'hui la prophétie de Herzl s'est réalisée, mais au profit des Etats-Unis.
Les Américains sont un coin enfoncé dans le monde non-occidental et Israël est leur avant-garde dans une région cruciale pour l'avenir du monde, le Proche Orient.
Il existe des relations ambiguës entre ces deux pays. Sans les Etats-Unis, Israël ne peut pas exister et, en contre partie de l'appui financier américain, l'état sioniste sert les intérêts de Washington. D'un autre côté, les sionistes jouent un rôle considérable aux Etats-Unis dans la vie politique et médiatique.
En soutenant les intérêts de l'état sioniste, les présidents des Etats-Unis assurent leurs arrières. Sachez qu'Israël a été condamné 197 fois par l'ONU sans que cela ait la moindre conséquence.
Je me suis donc posé la question : comment un peuple peut-il se placer à ce point au-dessus des lois ?
J'ai donc cherché des justifications mythologiques, idéologiques et je me suis interrogé sur l'exploitation historique des persécutions des juifs durant le dernier conflit mondial.

Q : Pourquoi avez-vous confié votre manuscrit à la "Vieille Taupe" ?
La liberté d'expression en France est non seulement restreinte par la loi, mais aussi par les éléments les plus radicaux au service du lobby. Prenons l'exemple de mes deux précédents livres. "L'Affaire Israël", son éditeur n'a pas pu faire diffuser le livre et a connu des difficultés telles qu'il a fait faillite. Le suivant, "Palestine terre des messages divins", les libraires qui osaient le mettre en vente recevaient des messages de menaces et s'ils persévéraient, des pierres dans la vitrine.
Je me suis trouvé avec un manuscrit qui risquait de causer de graves troubles à l'éditeur qui aurait accepté de le publier. C'était pour moi un cas de conscience.
Pierre Guillaume a publié mon texte dans la publication qu'il réserve à ses amis ce qui en fait un courrier personnel. Par conséquent, toute poursuite contre lui est illégale.
Un abonné de Pierre Guillaume a remis un exemplaire au MRAP qui a annoncé urbi et orbi qu'il allait porter plainte contre moi. En réalité, c'est une dissidence de l'association de déportés dont je fais partie qui a porté plainte au titre de la loi Gayssot.
N'est-il pas extraordinaire de constater que la LICRA a jugé bon d'exclure l'abbé Pierre de ses rangs pour m'avoir apporté son soutien ?
Quel paradoxe. J'étais déporté avec Bernard Lecache, le fondateur de la LICRA. Dans le camp, j'assurais les cours clandestins sur les prophètes d'Israël. Bernard m'apportait le concours de sa mémoire car il connaissait les textes mieux que moi. Un vieux verrier athée, est venu me voir un soir, après une lecture du prophète Amos. Il m'a dit : « ton truc me donne un renforcement de courage ». Et bien, ce sont des mots comme ceux-là qui justifient une vie.
Dans la même veine, une journaliste du Figaro m'a avoué avoir téléphoné au MRAP pour avoir des renseignements sur la plainte que cette association allait déposer contre moi et elle a eu la stupéfaction d'apprendre de la bouche même de l'avocat de cette association qu'il n'avait même pas lu mon livre ! En définitive, sans le claironner, le MRAP n'a pas porté plainte.
La plainte déposée contre moi m'a valu une convocation par la police judiciaire. Les fonctionnaires ont été d'une correction parfaite. En juin 1996, j'ai été convoqué par un juge d'instruction qui me signifia ma mise en examen au titre de la funeste loi Gayssot. Je me suis rendu au palais de Justice de Paris, accompagné par mon conseil, Me Jacques Vergès, où j'ai rencontré un magistrat d'une grande civilité. Nous avons consulté le dossier et mon avocat et moi avons constaté qu'il était vide de tout argument sérieux.
Selon toute évidence, certains préféreraient enterrer l'affaire car le prétoire m'offrirait une tribune de plus pour m'adresser aux citoyens honnêtes.

Q : Quel peut être l'impact de votre livre sur les milieux juifs et sionistes.
Vous faites bien de distinguer les deux éléments du peuple juif. Le sionisme est aujourd'hui la fraction dominante au sein de la communauté juive car il flatte les passions nationales et l'orgueil tribal. Mais il existe des juifs qui n'ont pas accepté l'hérésie sioniste et qui voient les dangers qu'elle comporte pour l'âme de leur peuple et pour leur foi.
Il est difficile de percevoir l'impact de cet ouvrage sur les sionistes. Je crois qu'il peut exacerber leurs divisions, entre la droite travailliste, traditionnellement pro britannique puis pro américaine, en d'autres termes, les juifs occidentalisés ; et la droite israélienne, héritière du groupe Stern, celui qui offrait à l'Allemagne hitlérienne son alliance militaire et qui aujourd'hui s'engage dans le nationalisme le plus exacerbé.
Je souhaite que ce livre puisse être traduit au plus vite en hébreu et publié en Israël pour susciter dans ce pays un véritable débat public. Car Israël n'a d'avenir dans le concert des peuples que s'il est « désionisé »...