14 septembre 2010

Injustice et terrorisme

On a souvent dit qu'il y aurait un avant et un après le 11 septembre 2001. Ce sera une date dans l'Histoire des hommes. Car ce fut (aussi) le déclenchement d'une catastrophe économique mondiale. On cite le chiffre de 240.000 emplois perdus rien que pour l'aviation américaine et la même chose se répercute partout. Sabena et Swissair sont des exemples de ce que la faillite était « programmée ), de longue date. De même, les difficultés actuelles à l'échelle mondiale : peut-on réellement attribuer à Ben Laden toutes ces catastrophes, ces centaines de milliers de pertes d'emplois ? Il est vraisemblablement responsable des milliers de morts du World Trade Center, mais la crise - et pas seulement dans l'aviation se préparait par un mode de vie anormal. C'est toute une civilisation qui est à revoir. Cette menace était annoncée voici vingt ans par ce que j'appellerais volontiers un prophète : Roger Garaudy, ancien... du Parti Communiste français (qu'il a quitté devant la dérive des goulags et autres erreurs soviétiques). Agrégé de philosophie, il a publié en 1980 un livre remarquable et fouillé : « Appel aux vivants », où entre autres il dénonce « la politique de croissance continue ». Après des siècles d'un progrès très lent et parfois relatif, le XIXe siècle a vu un bouleversement de l'économie par la mécanisation et la vapeur, puis l'électricité. Alphonse Daudet décrit fort bien, dans une de ses « Lettres de mon Moulin », « Le secret de maître Cornille », ce drame d'une population rurale : L’installation d'une minuterie mécanique tue tous les moulins de la région. Tout comme, plus récemment, le système commercial des grandes surfaces a tué les petits magasins, qui étaient sources de réelles relations humaines. Autre exemple : des Pharaons à Napoléon, la transmission d'une nouvelle mettait le même temps - le galop d'un cheval - durant cinq mille ans. Aujourd'hui, à l'instant, le monde entier a VU la chute des deux tours du W.T.C. à New York.
Mécanisation, informatique accélèrent encore le mouvement : tout va trop vite. Vertige...
Autres craintes : notre société de consommation (dénoncée pourtant lors de mai 68) exploite dangereusement les ressources de la Terre : en 30 ans (1950-1980), on a consommé la moitié du charbon extrait depuis huit siècles. Idem pour le pétrole : la moitié en dix ans ! Et les forêts : un tiers des arbres du monde ont été rasés de 1900 à 1950. Chaque édition du dimanche du New York Times (avec 80 % de publicité !) nécessite l'abattage de 15 hectares de forêts canadiennes... Gaspillages !
Mais, direz-vous, le monde a profité de ce progrès. C'est vrai qu'on note une remarquable amélioration dans les conditions de vie... pour beaucoup d'occidentaux, européens et nordaméricains. En réalité, les progrès technologiques n'ont profité qu'à un quart de la population mondiale. Et surtout à la haute finance. Il a fallu 2 millions d'années pour que la terre voie son premier million d'habitants. Puis, 6.000 ans d'agriculture ont propulsé cette population à 250 millions. Avec l'industrialisation, on a atteint un milliard en 1830; puis 2 en 1930; 3 en 1969, 4 en 1980, et on approche des dix milliards...
Mais tout cela, ce sont des consommateurs ! Eh non ! Le Tiers monde paie ses débuts de modernisation par un épouvantable endettement et reste affamé et de plus en plus exploité : en 1954, un paysan brésilien pouvait acheter une jeep pour la valeur de 14 sacs de café ; En 1967 (8 ans après/, il lui en fallait 39 ! Dom Helder Camara (dans « Spirale de la violence », en 1970) écrivait : Pour un Jamaïcain, un tracteur valait 680 tonnes de sucre en 1966, mais 3.500 tonnes en 1970 !...
Pendant un siècle, on a ainsi vécu sur cette idée de progrès sans fin. La situation actuelle (de plus en plus de " fusions", suscitent de plus en plus de pertes d'emplois) interpelle douloureusement : Est-ce une récession ? ...
Le 10 juin 1979, le chancelier Helmut Schmit lançait déjà un cri d'alarme (et il n'était pas le seul) : « Si nous ne sommes pas plus économes des sources d'énergie, nous connaîtrons une crise économique en comparaison de laquelle les autres apparaîtront dérisoires ». Parce que les faits immédiats semblaient lui donner tort, on ne l'a pas écouté. En outre, cette recherche d'une croissance sans fin marque lourdement les conditions morales de l'humanité : R. Garaudy dénonçait « la désintégration interne de nos sociétés qui meurent de n'avoir pas de but pas d'autre but que l'égoïsme, la recherche effrénée de la richesse et de la satisfaction personnelle. Ce qui ne peut déboucher que sur la violence ».
Et la violence, on la voit ! Partout. Bien sûr, il y en a toujours eu, elle fait partie intégrante de notre nature humaine. Mais tout de même... Ce fondement matérialiste de la civilisation avait déjà perdu la Grèce et la Rome antiques : les sophistes grecs prêchaient : « Le bien de l'homme, c'est d'avoir les désirs les plus forts possibles et trouver les moyens de les satisfaire ». On a vu où cela a mené.
Et où cela nous mène encore. On le voit tous les jours : vols, attaques armées, car-jackings, home-jackings, drogue, violences et suicides. Il est curieux de constater que les gens des pays pauvres et affamés luttent pour survivre ; c'est dans les pays les plus riches qu'on voit (de plus en plus) les suicides. « La croissance, écrit encore Garaudy, est le nouveau dieu moderne et la publicité sa liturgie démentielle ». Dans des sociétés ou, un grand nombre est privé de tout ce dont ces systèmes d'étalages l'appellent à jouir, la violence devient la loi des individus, des groupes et des peuples. Le système économique occidental et toute notre civilisation repose sur cette perversion fondamentale de croissance aveugle.
De temps à autre on parle de « miracles » économiques, c'est-à-dire d'élévation brusque du produit national brut d'un pays. On voit cela dans certains régimes d'Afrique, d'Amérique du Sud ou d'Asie. Mais on oublie que ce ne sont là que mirages de statistiques menteuses car le « miracle » n'a profité qu'à 2 ou 3 % de la population (ou à un dictateur : Voir les milliards de Mobutu à côté de la misère de la population congolaise), aggravant encore l'écart entre le luxe insolent d'une infime minorité et les miettes laissées (et encore) aux masses innombrables.
La société de croissance et de concurrence sauvage des individus et des peuples porte en elle la cause fondamentale du crime : pourquoi les tours du W.T.C. de New York ont-elles été choisies comme cibles ? Parce qu'elles incarnaient l'indécent orgueil de la haute finance.
Tant que durent ces immorales injustices sociales, on ne viendra pas à bout des violences terroristes.
Ce qui fait la force de l'Islam, c'est qu'il s'oppose foncièrement (et brutalement dans le cas de Ben Laden, ultra-déviationniste du Coran) au matérialisme égoïste occidental. Mais cela, c'est une autre histoire ...

JR. (publié en 2001, extrait)