10 septembre 2010

Brève histoire de l'Union soviétique (2)

Retour sur l’expérience de l’Union Soviétique et sur les raisons de son échec

Notre fin de siècle est à la recherche de redresseurs d’espérance. La formule créée, non sans bonheur, par et pour Edgar Morin, s’applique désormais à bien d’autres. Roger Garaudy, pour sa part, a sans conteste conquis ce titre avec son récent ouvrage « Souviens-toi, brève histoire de l’Union soviétique », paru...au Temps des cerises. L’auteur, connu des lecteurs de « l’Humanité », est convaincu qu’« enlever à un peuple sa mémoire est la condition nécessaire de toute régression historique ». C’est pourquoi, en partisan authentique du progrès, il s’efforce de rappeler quelques points de repères indispensables, selon lui, à notre mémoire, donc à notre avenir.
Son idée majeure tient dans ce constat qu’il expose d’emblée : les ex-composantes de l’Union soviétique sont en proie à une entreprise de « restauration du capitalisme ». Comme on appelle « restauration de la monarchie » le mouvement de 1815, précise-t-il. C’est cette analogie qui donne à l’essai de Roger Garaudy tout son relief et son caractère passionnant.
Car la question de savoir si la Restauration a réussi à rétablir la monarchie et à annuler les effets de la Révolution française demeure ouverte. En bon connaisseur des concepts du marxisme classique, le penseur est bien obligé de reconnaître, faits à l’appui, que « le capitalisme aujourd’hui triomphant en URSS n’est pas, à la manière du capitalisme anglais ou français du siècle dernier, un capitalisme créateur de biens ou de services, mais un capitalisme semblable à celui de la décadence actuelle du capitalisme américain, prédateur et spéculatif » (page 85). Qu’importe alors que, selon la prédiction de Francis Fukuyama, stratège auprès du Pentagone, l’histoire s’achève. Une autre commence : est-ce celle de la décadence du système capitaliste, qui, lui non plus, contrairement à toute prédiction, n’aurait pas triomphé ? Est-ce celle d’une alternative commençante à l’actuel « nouvel ordre mondial » ? L’histoire continue. Et l’ouvrage s’achève sur cette pétition de principe : « L’avenir n’est pas ce qui sera mais ce que nous en ferons » (page 125). Marx lui-même n’avait-il pas refusé « de fabriquer des recettes pour les gargotes de l’avenir ? »
Roger Garaudy a le verbe tranchant. Il écrit en noir et blanc. La peinture qu’il dresse d’emblée des vestiges actuels de l’URSS avertit son lecteur : « La restauration du capitalisme en Russie a fait en trois ans de l’ancienne Union soviétique un nouveau tiers-monde. L’intervention étrangère dans tous les domaines, de l’économie à la culture, a conduit, à l’intérieur, à la naissance d’une mafia de spéculateurs dont les fortunes poussent du jour au lendemain comme des champignons vénéneux. Pour les multitudes s’étend une misère allant jusqu’à la mendicité et à la faim » (page 3). Tiers-mondisation, financiarisation, mafiosisation, paupérisation, ainsi va « la braderie eltsinienne ». Exprimer cette réalité dans des termes datant de l’occupation hitlérienne (« collabos », « gauleiter »…) ne pousse-t-il pas à la comparaison plus qu’à l’analyse ? Roger Garaudy sait parfaitement que l’histoire ne recommence jamais. Cela donne d’autant plus de valeur à l’effort de mémoire lorsqu’il porte sur l’essentiel.
Une succession de points de repères occupe, avec un certain bonheur, la moitié de l’ouvrage. Ne pas oublier ce qu’était la Russie tsariste à la veille de la révolution d’Octobre. Ne pas perdre de vue que 1917 n’a pas été accomplie par une minorité agissante mais par trois décrets - la paix, la terre aux paysans, et le contrôle ouvrier - qui répondaient aux voeux de tout un peuple. Se souvenir de l’intervention étrangère, de la guerre civile, de la reconstruction, de la NEP, de l’autoritarisme de Staline en matière d’industrialisation et de réforme de l’agriculture. Ne pas perdre de vue qu’au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’Union soviétique, seule, a supporté tout le poids des offensives terrestres des nazis ; et ce, au prix de sacrifices inouïs. Garder en mémoire l’aide fournie par la grande puissance soviétique aux mouvements de libération nationale du monde entier à l’époque de la « guerre froide ».
Selon Roger Garaudy, la dérive s’accentue au moment où la rivalité entre les Etats-Unis et l’Union soviétique épuise le moins riche des deux pays. C’est l’époque où Khrouchtchev, sous prétexte de coexistence pacifique, lance le mot d’ordre de « rattraper et dépasser les pays capitalistes ». Roger Garaudy affirme que, dès lors, « il est trop tard pour réformer le socialisme ». De l’exigence démocratique que le socialisme soviétique lui-même a nourrie au cours de son développement, et à laquelle le régime s’avère incapable de répondre, il n’est que peu question. Mais n’est-ce pas l’autre face des impossibles relations de concurrence entre le capitalisme et le socialisme, que déplore l’auteur ?
Le tiers restant du livre affronte, avec franchise et lucidité, les problèmes théoriques afférant à ce que le philosophe désigne sous le nom de « restauration frénétique du capitalisme en URSS » (page 89). L’idôlatrie du marché et de l’argent a remplacé les valeurs perverties du communisme. « Tout homme comme toute chose vaut ce qu’il gagne ou le prix auquel il se vend. » A cet égard, Garaudy s’inquiète de la « montée en puissance des communistes en Pologne comme en Italie : puissent-ils, une fois encore, tirer les leçons de leurs erreurs passées » (page 97). Il saisit l’occasion pour montrer à quel point « la pensée de Marx ressemble fort peu à ce qu’on appelle en général le marxisme ». Pour le penseur, « une révolution a plus besoin de transcendance que de déterminisme » (page 103). Marx n’a défini que les fins et laissé totalement ouverte l’élaboration des moyens aux acteurs de la transformation sociale : « L’initiative de millions d’hommes apporte toujours quelque chose de plus génial que les pensées, même les plus géniales, de quelques dirigeants et théoriciens. » Cette réflexion empruntée à Lénine ne connaît, hélas ! guère de lendemains. C’est finalement « une théologie sans dieu » qu’exportera l’URSS, achevant ainsi de transformer « le marxisme de Marx en son contraire » (page 117).
Etatisme, bureaucratie, domestication du parti révolutionnaire ont-ils tué l’espoir ? Ce qui est mort en Union soviétique, rétorque Roger Garaudy, « ce n’est pas le marxisme, c’est sa caricature » (page 123). La thèse majeure de Marx, c’est que le capitalisme crée des richesses en même temps qu’il crée la misère par les inégalités qu’il engendre nécessairement. A l’échelle mondiale, 80% des ressources sont consommées par 20% de la population, 1% des citoyens américains bénéficie de 70% de la richesse nationale. Une nouvelle période de l’histoire commence.

Souviens-toi, brève histoire de l’Union soviétique , Roger Garaudy. Editions le Temps des cerises, 1994

[Article paru dans le journal "l'Humanité"]