25 août 2010

Réseaux ou partis ?


La démocratie a toujours été le camouflage du pouvoir d'une minorité, des propriétaires d'esclaves aux maîtres de la richesse. De nos jours, elle camoufle le monothéisme du marché, autrement dit le non-sens dans la vie et l'histoire des hommes.
Recréer un tissu social exige des communautés de base et la participation de chacun.
Il est urgent de remplacer la notion périmée de "partis" par celle de "réseaux" contre la nouvelle "occupation étrangère" des esprits comme de la société.
La bataille pour une économie à visage humain se perdra ou se gagnera sur le terrain des mentalités et de l'opinion. Au niveau de ce qui est le premier pouvoir: les "medias" [...]
Contre les monstres de l'information, des medias, de la télévision, faire pousser des milliers de feuilles sur l'arbre de la vie [...] Réfléchir sur le sens de ces informations pour faire naître des prises de position communes à partir du rappel des finalités sur les problèmes d'un peuple ou du monde.
Cette action première de dévoilement du non-sens, à partir de communautés de base, a besoin d'être coordonnée pour multiplier sa force par l'échange et l'action réciproque.
Pourquoi substituer la notion de réseau à la notion de parti ? La démocratie ne se fonde pas sur le pluralisme des partis mais sur la participation de la base à toutes les décisions dont dépend son destin.Le réseau est fondé non sur une direction, comme les partis, mais sur une coordination où aucun groupe n'a d'autre prééminence sur les autres que son pouvoir de proposition, d'initiative, dans la contribution au projet commun.
Ainsi, le réseau est l'inverse du parti. Le but commun étant fixé: se libérer des tyrannies de l'argent et du monothéisme du marché, chacun peut apporter sa pierre à la prise de conscience, à la "conscientisation", selon l'expression, en Amérique latine, des "communautés de base" et des théologiens de la libération.
Le rappel de finalités humaines contre la logique aveugle et mortelle du marché et du profit, permet la mise en oeuvre de nouvelles formes d'action.
Les initiatives de la base ont un rôle moteur. Mais il ne suffit pas de dénoncer et de refuser. De même que l'éclairage du quotidien à partir de finalités prépare des alternatives, de même l'action ne saurait être seulement négative mais orientée par les fins dernières, et traçant des perspectives d'avenir.
Telle pourrait être l'esquisse des formes d'organisation - le réseau et non plus le parti - et des formes d'action - non la seule négation des excès du système mais la reconversion, en fonction de finalités humaines, de l'ensemble des activités.
Il existe, en France et dans le monde, suffisamment de gens qui mettent en question les fins et le sens de l'ordre actuel et qui prennent conscience de sa perversité fondamentale et de ses périls, pour qu'une entreprise de "renaissance" devienne possible.
Ces réseaux peuvent naître dés demain, et partout, pour créer le tissu social nouveau, faire jaillir la petite étincelle qui deviendra brasier, comme autrefois une résistance lomgtemps obscure est devenue libération.
Cela exige un énorme effort, et d'abord sur soi-même, pour que chacun chasse les prétentions à la vérité absolue et à l'hégémonie de sa propre communauté, de son parti ou de sa chapelle.
Par quels moyens pratiques mettre en marche ce mouvement vital de reconversion matérielle et de conversion des consciences qui ne peuvent, sans illusion idéaliste ou mécanisme matérialiste, être dissociés ?
Il existe déjà sous forme embryonnaire...des institutions qui témoignent du besoin d'organismes échappant en principe aux tutelles politiques ou économiques, pour dire la vérité sur le fonctionnement du système. Un Conseil Constitutionnel, une Cour des comptes, un Comité d'éthique de la science, etc.
Les limites de telles institutions résident dans le fait qu'elles n'ont pas pour mission de changer le système, mais seulement d'en dévoiler quelques excès. Leur "indépendance" à l'égard du politique qui les institue et les nomme, des forces économiques et des lobbies qui s'efforcent d'en tirer parti, est loin d'être totale. Mais le besoin de telles instances est réel.
Il existe aussi, même dans le désarroi général, des hommes et des femmes qui, dans l'action et la pensée, font la preuve quotidienne que l'intérêt personnel ou de quelques-uns n'est pas leur seul moteur. Conscients de la misère de l'humanité et des dangers courus par la planète, des hommes et des femmes consacrent leur vie, sous les formes les plus diverses, à l'humain considéré dans son unité et sa totalité [...]
Au-delà du "valium" collectif des écrans, des catastrophes geignardes ou voyeuristes, des loteries de l'argent facile, il est possible d'inciter à la levée de milliers d'hommes et de femmesqui, dans tous les domaines, de l'agriculture aux arts, des énergies nouvelles aux machines simples ou complexes, constituent le gisement de la plus grande richesse: la création.
A partir de ces premières moissons peuvent se créer des centres d'échanges pour que personne ne s'enferme dans sa spécialité, et surtout prenne conscience de son insertion dans la totalité vivante de ceux qui aiment l'avenir, et ont conscience d'être responsables de son élaboration.
Une liaison étroite, dans la formation née de ces centres, entre les projets millénaires des hommes de toutes les civilisations et l'action quotidienne pour le service créateur de la communauté, ferait émerger des hommes "politiques" d'un type nouveau qui, dans la plus humble des tâches comme dans les plus hautes responsabilités, se poseraient la question du but final de la communauté.
Dans la si générale corruption du pouvoir et des puissants, je sais combien peut paraître aussi dérisoirement utopique, jusqu'à soulever le rire, d'exiger de quiconque brigue un mandat politique qu'il renonce à toute ressource supérieure à celle d'un cadre moyen de la fonction publique.A qui se moquera de la folle naïveté d'une telle suggestion, je ne répondrai pas par des exemples aussi exotiques ou historiquement lointains que ceux des ascètes et des sages de l'Inde védique, auxquels obéissaient les guerriers et les marchands, ou ceux du Coran où Dieu proclame:"Quand je veux détruire une cité, je donne le pouvoir aux riches", ou celui de moines chrétiens défricheurs ou savants. Je prendrai l'exemple le plus proche: celui de mon expérience personnelle d'un parti [le PCF, ndlr] dans lequel, à l'époque de sa grandeur, aucun député, aucun dirigeant ne recevait un salaire supérieur à celui d'un ouvrier qualifié de la région parisienne. Féconde expérience de vice-président de l'Assemblée nationale vivant quotidiennement les difficultés que connaît un ménage moyen pour élever une famille de trois enfants, exigeant que la mère travaille hors du foyer pour y parvenir.
Le résultat global est qu'aussi longtemps que la règle en est appliquée, aucun parlementaire ou dirigeant de ce parti n'est compromis dans aucune affaire de corruption.
Utopie ? Non: réalité quotidienne vécue pendant un tiers de siècle.
N'y aurait-il d'autre réalité que celle de la fange, et faudrait-il être un Don Quichotte pour s'efforcer d'en sortir ?

Ainsi seulement peut se former, puis se créer en tout un peuple, une "aristocratie" d'un type nouveau, non fondée sur le sang, la terre ou la richesse, mais sur le dépouillement. Cette aristocratie du renoncement est la condition d'une démocratie enfin véritable, où le pouvoir ne comporte plus des privilèges, mais des sacrifices.

Roger Garaudy, Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants, L'Archipel, pages 195 à 202